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Pniuerstty of ^oroitta
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The Estate of the late
G. Percival Best, Esq,.
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TROISIÈME LIVRE
DE
F. RABELAIS
Pantagruel
ÉDITION JOUAUST
Paris, 1876
LES CINQ LIVRES
DE
F. RABELAIS
Livre III : Pantagruel
PANURGI: WANGE SON BLE EN HEKQË
îr^bclais L 3.C.2)
LES CINQ. LIVRES
DE
F. RABELAIS
PUBLIES
AVEC DES VARIANTES ET UN GLOSSAIRE
PAR P. CHÉRON
ET ORNES DE
Onze Eaux-Fortes par E. Boilvin
Livre III : Pantagruel
PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
Rue Saint-Honoré, 338
M DCCC LXXVl
/p
■//
LE TIERS LIVRE
DES FAICTS ET DICTs HEROÏQUES
DU BON PANTAGRUEL
Composé par M. Fran. Rabelais
Docteur en medicine
Reveu et corrigé par l'authcur, sus la censure antique
L'autheur susdict
supplie les lecteurs bénévoles
soy reserver à rire
au soixante et dixhuytiesme Livre
A PARIS
De l'imprimerie de Michel Fezandat, au Mont
S. Hilaire, à l'hostel d'Albret
M. D. LU
Avec privilège du Roy
Rabelais. III.
François Kabdais
à l'esprit de la Koync de Navarre.
ocj SPRIT abstraict, ravy et ecstatic,
'ySOpi, fréquentant les Cieulx, ton origine,
P As délaissé ton hoste et domestic,
^ Ton corps concords, qui tant se morigine
A tes edictz, en vie peregrine
Sans sentement, et comme en apathie,
Vouldrois tu poinct faire quelque sortie
De ton manoir divin, perpétuel,
Et ça bas veoir une tierce partie
Des Faicts joyeux du bon Pantagruel?
PRIVILEGE DU ROY
. ENRY, par la grâce de Dieu roy de France,
Jl au prevost de Paris, bailly de Rouen, senes-
çcliaulx de Lyon, Tholouze, Bordeaux, Daul-
a phiné, Poictou, et à tous nos autres justiciers
€ ^^i)^ )É et officiers, ou à leurs lieutenants, et à chas-
c^^L 0 à^^i^ cun d'eulx si comme à luy appartiendra, sa-
lut et dilection. De la partie de nostre cher et bien aymé
M, François Rabelais, docteur en medicine , nous a esté
exposé que icelluy suppliant, ayant par cy devant baillé à
imprimer plusieurs livres en grec, latin, françois et thuscan,
mesmement certains volumes des Faicts et Dicts héroïques de
Pantagruel, non moins utiles que délectables, les imprimeurs
auroient iceulx livres corrompuz , dépravez et pervertiz en
plusieurs endroictz; auroient davantage imprimez plusieurs
autres livres scandaleux, au nom dudict suppliant, à son
grand desplaisir, préjudice et ignominie, par luy tostalement
desadvouez comme faulx et supposez, lesquelz il desireroit,
soubs nostre bon plaisir et volonté, supprimer. Ensemble le^
autres siens advouez, mais dépravez et déguisez, comme dict
est, reveoir et corriger et de nouveau reimprimer. Pareille-
ment mettre en lumière et vente la suitte des Faicts et Dicts
héroïques de Pantagruel, nous humblement requérant sur ce
luy octroyer nos letres à ce nécessaires et convenables. Pour
ce est-il que nous, enclinans libéralement à la supplication
4 PRIVILEGE DU ROY
et requeste dudict M. François Rabelais, exposant, et desi-
rans le bien et favorablement traicter en cest endroit, à icel-
luy, pour ces causes et autres bonnes considérations à ce
nous mouvans , avons permis, accordé et octroyé, et de nostre
certaine science, pleine puissance et auctorité royale, permet-
tons, accordons et octroyons par ces présentes qu'il puisse et
Uiy soit loysible, par tels imprimeurs qu'il advisera , faire
imprimer et de nouveau mettre et exposer en vente tous et
chascuns lesdicts livres et suitte de Pantagruel par luy com-
posez et entreprins, tant ceulx qui ont ja esté imprimez,
qui seront pour cest effect par luy reveuz et corrigez, que
aussi ceulx qu'il délibère de nouveau mettre en lumière ;
pareillement supprimer ceulx qui faulcement luy sont attri-
buez. Et, affin qu'il ait moyen de supporter les frais néces-
saires à l'ouverture de ladicte impression , avons par ces
présentes tresexpressement inhibé et deffendu , inhibons et
deffendons à tous autres libraires et imprimeurs de cestuy
nostre royaulme, et autres nos terres et seigneuries, qu'ilz
n'ayent à imprimer ne faire imprimer, mettre et exposer en
vente aucuns des dessus dicts livres, tant vieux que nouveaux,
durant le temps et terme de dix ans ensuivans et consecutifz,
commençans au jour et dacte de l'impression desdicts livres,
sans le vouloir et consentement dudict exposant, et ce sur
peine de confiscation des livres qui se trouveront avoir esté
imprimez au préjudice de ceste nostre présente permission,
et d'amende arbitraire.
Si voulons et vous mandons, et à chascun de vous en-
droict soy et si comme à luy appartiendra, que nos presens
congé, licence et permission, inhibitions et deffenses, vous
entretenez, gardez et observez. Et, si aucuns estoient trou-
vez y avoir contrevenu, procédez et faictes procéder à ren-
contre d'eulx par les peines susdictes et autrement. Et du
contenu cy dessus faictes ledict suppliant jouyr et user plai-
nement et paisiblement durant ledict temps, à commencer
et, tout ainsi que dessus est dict, cessans et faisans cesser
tous troubles et empeschemens au contraire. Car tel est
nostre plaisir. Nonobstant quelzconques ordonnances, res-
trinctions, mandemens ou deffenses à ce contraires. Et, pour
PRIVILEGE DU ROY 5
ce que de ces présentes l'on pourra avoir à faire en plusieurs
et divers lieux. Nous voulons que au vidimus d'icelles, faict
soubs seel royal, foy soit adjoustée comme à ce présent ori-
ginal.
Donné à Sainct Germain en Laye le sixiesme jour d'aoust,
l'an de grâce mil cinq cens cinquante, et de nosfre règne le
quatriesme.
Par le Roy, le cardinal de Chaslillon praesent.
Signé : DU THIER.
PROLOGUE DE UAUTHEUR
M. FRANÇOIS RABELAIS
POUR LE TIERS LIVRE DES FAICTS ET DICTS HEROÏQUES
DU BON PANTAGRUEL
ONNES gens, beuveurs tresillustres et vous
goutteux tresprecieux, vcistez-vous onc-
ques Diogenes le philosophe cynic ? Si
l'avez veu, vous n'aviez perdu la veue,
ou je suis vrayement forissu d'intelligence et de sens
logical. C'est belle chose veoir la clairté du — vin et
escuz — soleil. J'en demande à l'aveugle ne, tant
renommé par les tressacrés Bibles, lequel, ayant option
de requérir tout ce qu'il vouldroit, par le commande-
ment de Celluy qui est tout puissant, et le dire duquel
est en un moment par effect représente, rien plus ne
demanda que veoir.
Vous item n'estes jeunes, qui est qualité compé-
tente pour en vin, non en vain, ains plus que physi-
O PROLOGUE
calement philosopher, et désormais estre du conseil
bacchicque, pour en lopinant opiner des substance,
■ couleur, odeur, excellence, eminence, propriété, fa-
culté, vertus, effect et dignité du benoist et désiré piot.
Si veu ne l'avez, comme facilement je suis induict à
croire, pour le moins avez vous ouy de luy parler.
Car par Vaer et tout ce ciel est son bruyt et nom
jusques à présent resté mémorable et célèbre assez. Et
puys vous estes tous du sang de Phrygie extraictz, ou
je me abuse, et, si n'avez tant d'escuz comme avoit
Midas, si avez vous de luy je ne sçay quoy, que plus
jadis louoient les Perses en tous leurs otacustes, et que
plus soubhaytoit l'empereur Antonin, dont depuys
feut la Serpentine de Kohan surnommée Belles Au-
reilles.
Si nen avez ouy parler, de luy vous veulx présente-
ment une histoire narrer, pour entrer en vin, — beuvez
doncques, — et propous, — escoustez doncques, —
vous advertissant , affînque'ne soyez en simplessepippez
comme gens mescreans, qu'en son temps il feut philo-
sophe rare et joyeux entre mille. S'il avoit quelques
imperfections, aussi avez vous, aussi avons nous.
Kien nest, sinon Dieu, perfaict. Si est-ce que
Alexandre-le-Grcmd, quoy qu'il eust Aristoteles pour
précepteur et domestic, l'avoit en telle estimation
qu'il soubhaytoit, en cas que Alexandre ne feust, estre
Diogenes Sinopicn.
Qjiand Philippe, roy de Macedonie, entrcprint
assiéger et ruiner Corinthe , les Corinthiens, par
PROLOGUE 9
leurs espions advertiz que contre eulx il venoit en
grand arroy et cxercite numereux, tous [eurent non à
tort espoventez, et ne feurent negligens soy soigneuse-
ment mettre chascun en office et debvoir pour à son
liostile venue résister et leur ville défendre. Les uns des
champs es forteresses retiroient meubles, hestail,
grains, vins, fruictz, victuailles et munitions néces-
saires.
Les autres remparoient murailles, dressoient bas-
tions, esquarroient raveU:is, cavoient fossez, escuroient
contremines, gabionnoient défenses, ordonnoient plates-
formes, vuidoient chasmates, rembarroient faulses
brayes, erigeoient cav ailiers , ressapoient contres-
carpes, enduisoient courtines, produisoient moyneaux,
tcduoient parapetes, enclavoient barbacanes , asse-
roient mâchicoulis', renouoient herses sarrazinesques
et cataractes, assoyoient sentinelles, forissoient pa-
trouilles; chascun estoit au guet, chascun portoit la
hotte; les uns polissoient corseletz, vernissoient alc-
cretz, nettoioient bardes, chcmfrains , aubergeons,
briguandines, salades, bavieres, cappelines, guis-
armes, armetz, mourions, mailles, jazerans, bras-
salz, tassettes, goussetz, guorgeriz, ho guines, plastrons,
lamines, aubers, pavoys, boucliers, caliges, grèves,
soleretz, esprons ; les autres apprestoient arcs, fondes,
arbalestes, glands, catapultes, phcdarices , micraines,
potz, cercles et lances à feu, bcdistes, scorpions et
autres machines bellicques repugnatoires et destruc-
tives des Helepolides ; esguisoient vouges , picques ,
2.
lO PROLOGUE
rançons, halehardcs , hanicroches, volains, lances,
azes guaycs, fourches fieres, parthisanes , massues,
hasches, dards, dardelles, javelines, javelotz, espieux ;
affîloient cimeterres , hrands d'assier, badelaires ,
paffuz, espées, verduns , estocz, pistoletz, viroletz,
dagues, mandousianes , poignars , cousteaulx , allu-
melles, raillons.
Chascun cxerceoit son penard, chascun dcsrouil-
loit son hracquemard. Femme n'estoit, tant preude
ou vieille feust, qui ne feist fourbir son harnoys,
comme vous sçavez que les antiques Corinthienes
estoient au combat couraigeuses.
Diogenes, les voyant en telle ferveur mesnaige re-
muer, et n'estant par les magistratz eniployé à chose
auculne faire, contempla par quelques jours leur
contenance sans mot dire ; puys, comme excité d'es-
prit martial, ceignit son palle en escharpe, recoursa
SCS manches jusques es coubtes, se troussa en cuilleur
de pommes, bailla à un sien compaignon vieulx sa
bezasse, ses livres et opisto graphes, feit hors la ville
tirant vers le Cranie, qui est une colline et promon-
toire lez Corinthe, une belle esplanade, y roulla le
tonneau fîctil qui pour maison luy estoit contre les
injures du ciel, et, en grande véhémence d'esprit des-
ployant ses braz, le tournoit, viroit, brouilloit, bar-
bouilloit, hersoit, versoit, renversoit, nattoit, grattoit,
flattoit, barattoit, bastoit, boutoit, butoit, tabustoit,
cullebutoit, trepoit, trempoil, tapoit, timpoit, estoup-
poit, destouppoit, detraquoit, triquoioit , tripotoit.
PROLOGUE II
chapotoit, crouUoit, elançoit, chamailloit, bransloit,
esbransloit, levait, lavoit, clavo'it, entravoit, bracquoit^
bricquoit, blocquoit, tracassoit, ramassoit, clabossoit,
afestoit, affustoit, baffouoit, endouoit, amadouoit,
goildronnoit , mittoimoit, tastonnoit, bimbelotoit,
clabossoit, terrassoit, bistorioit, vreloppoit, chalup-
poity charmait j armait, gizarmait , enharnachait,
empennachait, caparassannoit ; le devalloitde mont à
val, et prxcipitoit par le Cranie • pays de val en
mont le rapportait, comme Sisyphiis faict sa pierre,
tant que peu s'en faillit qu'il ne le defonçast.
Ce voyant, quelq'un de ses amis hiy demanda
quelle cause le mouvoit à son corps, son esprit, son
tonneau ainsi tormenter. Auquel respandit le philo-
saphe qu'à aultre office n'estcmt pour la republicque
employé, il en ceste façon son tonneau tempestoit
pour, entre ce peuple tant fervent et occupé, n'estre
veu seul cessateur et ocieux.
Je pareillement , quay que soys hors d'effray, ne
suis toutesfoys hors d'esmay, de may voycmt n'estre
faict aulcun pris digne d'œuvre, et considérant par
tout ce tresnable royaulme de France, deçà, delà les
mans , un chascun aujourd'huy say instantement
exercer et travailler, part à la fortification de sa
patrie et la défendre, part au repoulsement des enne-
mis et les offendre, le tout en police tcmt belle, en
ordonnance si mirificque, et à profit tant évident pour
Vadvenir, car désormais sera France superbement
bournée, seront Françoys en repous asceurez, que peu
12 PROLOGUE
de chose me retient que je n'entre en l'opinion du bon
Heraclitus, affermant guerre estre de tous biens père,
et croye que guerre soit en latin dicte belle, non par
antiphrase , ainsi comme ont cuydé certains repe-
tasseurs de vieilles ferrailles latines, parce qu'en
guerre gueres de beaulté ne voyoient , mais absolu-
ment et simplenient par raison qu'en guerre appa-
roisse toute espèce de bien et beau, soit decelée toute
espèce de mal et laidure. Qii' ainsi soit , le roy saige et
pacifie Salomon n'a sceu mieulx nous représenter la
perfection indicible de la Sapience divine que la com-
parant à l'ordonnance d'une armée en camp.
Par doncques n' estre adscript et en ranc mis des
nostres en partie offensive, qui me ont estimé trop
imbecille et impotent; de l'autre, qui est défensive,
n'estre employé aulcunement, feust-ce portant hotte,
cachant crotte, ployant rotte ou cassant motte, tout
m'estoit indiffèrent, ay imputé à honte plus que mé-
diocre eshe veu spectateur ocieux de tant vaillans,
disers et chevalereux personnaiges qui, en veue et
spectacle de toute Europe, jouent ceste insigne fable
et tragicque comédie, ne me esvertuer de moy-mesmes,
et non y consommer ce rien mon tout qui me restoit.
Car peu de gloire me semble accroistre à ceulx qui
seulement y emploictent leurs ailz, au demeurant y
espargnent leurs forces, cèlent leurs escuz, cachent
leur argent, se grattent la teste avecques un doigt
comme Landorez desgoustez, baislent aux mousches
comme veaulx de disme, chauvent des aureilles
PROLOGUE l3
comme asnes de Arcadie au chant des musiciens, et
par mines en silence signifient qu'ilz consentent à la
prosopopée.
Prins ce choys et élection, ay pensé ne faire exer-
cice inutile et importun si je remuois mon tonneau
diogenic, qui seul m'est resté du naufrage faict par le
passé on Far de Mal'encontre. A ce triballement de
tonneau, que feray-je, en vostre advis ? Par la vierge
qui se rebrasse, je ne sçay encores.
Attendez un peu que je hume quelque traict de
ceste bouteille. C'est mon vray et seul Helicon, c'est
ma fontaine caballine, c'est mon unicque enthusiasme.
Icy, beuvant, je délibère, je discours, je resoulz et
concluds. Apres l'épilogue, je riz, j'escripz, je com-
pose, je boy. Ennius beuvant escrivoit , escrivant
beuvoit. jEschylus, si à Plutarche foy avez en Sym-
posiacis^ beuvoit composant, beuvant composoit ; Ho-
mère jamais nescrivit à jeun ; Caton jamais n'escrivit
que après boyre, affin que ne me dictez ainsi vivre sans
exemple des bien louez et mieulx prisez. Il est bon et
frays assez, comme vous diriez sus le commencement
du second degré. Dieu, le bon Dieu Sabaoth, c'est-
à-dire des armées, en soit éternellement loué ! Si de
mesmes vous autres beuvez un grand ou deux petitz
coups en robbe, je n'y trouve inconvénient aulcun,
pourveu que du tout louez Dieu un tantinet.
Puys doncque que telle est ou ma sort ou ma des-
tinée, car à chascun n'est oultroyé entrer et habiter
Corinthe, ma délibération est servir et es uns et es
14 PROLOGUE
autres; tant s'en fault que je reste cessatcur et inutile.
Envers les vastadours, pionniers et rempareurs, je
fcray ce que feircnt Neptune et Apollo en Troie,
soubs Laoniedon ; ce que feit Renaud de Montaulban
sus ses derniers jours. Je scrviray les massons , je
mettray bouillir pour les massons, et, le past termine,
au son de ma musette mesurcray la musarderie des
musars. Ainsi fonda, bastit et édifia Amphion, son-
nant de sa lyre^ la grande et célèbre cite de Thcbes.
Envers les guerroyans je voys de nouveau percer
mon tonneau, et de la traicte, laquelle par deux
prxcedens volumes, si par l'imposture des imprimeurs
n'eussent esté pervertiz et brouillez, vous feust assez
congneue, leurs tirer du crcu de nos passetemps epice-
naires un guallant tiercin, et consécutivement un
joyeulx quart de sentences pantagruelicciucs. Par moy
licite vous sera les appeler diogenicques. Et me auront,
puysque compaignon ne peux estre, pour architriclin
loyal refraischissant à mon petit povoir leur retour
des alarmes, et laudateur, je dix infatiguable , de
leurs prouesses et glorieulx faicts d'armes. Je n'y
fauldray, par lapathium acutum de Dieu, si Mars
ne failloit à Quaresme ; mais il s'en donnera bien
guarde, le paillard !
Me souvient toutesfoys avoir leu que Ptolemc, fîlz
de Lagus, quelque jour, entre autres despouilles et
butins de ses conquestes, présentant aux ^Egyptiens
en plain théâtre un chameau bactrian tout noir et un
esclave biguarre tellement que de son corps l'une part
PROLOGUE l5
cstoit noire, l'autre blanche, non en compartiment de
latitude par le diaphragme, comme feut celle femme
sacrée à Venus indicque, laquelle feut recongncue
du philosophe Tyanien entre le fleuve Hydaspes et le
mont Caucase, mais en dimension perpendiculaire,
choses non encores veues en Egypte, esperoit par
offre de ces nouveaultez Vamour du peuple envers soy
augmenter. Qu'en advient iU A la production du
chameau, tous f eurent effroyez et indignez; à la veue
de l'homme biguarré, aulcuns se mocquerent , autres
le abhominerent comme monstre infâme crée par
erreur de nature. Somnie, V espérance qu'il avoit de
complaire à ses ^Egyptiens, et par ce moyen extendre
l'affection qu'ils luy portoient naturellement, luy
decoulla des mains. Et entendit plus à plaisir et délices
leurs estre choses belles, eleguantes et parfaictes, que
ridicules et monstrueuses. Depuys , eut tant l'esclave
que le chameau en mespris, si que bien toust après,
par négligence et faulte de commun traictcment, fei-
rent de vie à mort eschange.
Cestuy exemple me faict entre espoir et craincte
varier, doublant que pour contentement propensé
je rencontre ce que je ahhorre : mon thesaur soit
charbons ; pour Venus advieigne Barbet le chien ; en
lieu de les servir, je les fasche; en lieu de les esbau-
dir, je les offense; en lieu de leurs complaire, je des-
plaise ; et soit mon adventure telle que du coq de
Euclion, tant célébré par Plaute en sa Marmite et
par Ausone en son Gryphon et ailleurs, lequel, pour
l6 PROLOGUE
en grattant avoir descouvert le thesaur, eut la couppe
guorgée.
Advenent le cas, ne seroit-ce pour chevreter?
Autresfoys est il advenu, advenir encorcs pourroit.
Non fera, Hercules ! Je recongnois en eulx tous une
forme specificque et propriété individuale , laquelle
nos majeurs nomnioient Pantagruclisme , moyennant
laquelle jamais en maulvaise partie ne prendront
choses quelconques; Hz congnoistront sourdre de
bon, franc et loycd couraige. Je les ay ordinairement
veuz bon vouloir en payement prendre, et en icel-
luy acquiescer, qucmd débilite de puissance y a este
associe.
De ce poinct expédié, à nion tonneau je retourne.
Sus à ce vin, compaings ! En fans, beuvcz à pleins guo-
detz. Si bon ne vous semble, laissez le. Je ne suys de
ces importuns Lifrelofres qui, par force, par oultraige
et violence, contrcdgnent les Lcms et compaignons trin-
quer, voire caros et alluz, qui pis est. Tout beuveur
de bien, tout goutteux de bien, altérez, venens à ce
mien tonneau, s'ilz ne voulcnt, ne bcuvent. S'ilz voû-
tent, et le vin plaist au guoust de la seigneurie de
leurs seigneuries, beuvent frcmchcment, librement,
hardiment, sans rien payer, et ne Vespargnent. Tel
est mon décret. Et paour ne ayez que le vin faille,
comme feist es nopces de Cana en Galilée. Autant
que vous en tirerez par la dille, autant en entonneray
par le bondon. Ainsi demeurera le tonneau inexpui-
siblc. Il a source vive et vene perpétuelle.
PROLOGUE
»7
Tel estait le brevaige contenu dedans la couppe
de Tantalus , représenté par figure entre les saiges
Brachmanes ; telle estait en Iberie la montaigne de
sel, tant célébrée par Caton ; tel estait le rameau
d'or sacré à la déesse soubsterraine, tant célébré par
Virgile. C'est un vray Cornucopie de joyeuseté et
raillerie; si quelque foys vous semble estre expuysé
jusques à la lie, non pourtant sera il à sec; bon
espoir y gist au fond, comme en la bouteille de Pan-
dora, non desespoir, comme on bussart des Da-
naïdes.
Notez bien ce que j'ay dict, et quelle manière de
gens je invite. Car, affin que personne n'y soit
trompé, à Vexemple de Lucillius , lequel protestait
n'escrire que à ses Tarentins et Consentinois , je ne
l'ay perse que pour vous, gens de bien, beuveurs de
la prime cuvée, et goutteux de franc alleu.
Les géants Dariphages, avalleurs de frimats, ont
au cul passions assez, et assez sacs au croc pour
venaison; y vacquent, s'ilz voulent, ce n'est icy leur
gibbier. Des cerveaulx à bourlet , grabeleurs de cor-
rections, ne me parlez, je vous supplie on nom et
révérence des quatre fesses qui vous engendrèrent et
de la vivificque cheville qui pour lors les coupploit.
Des Caphars encores moins, quoy que tous soient
beuveurs oultrez, tous verollez croustelevez, guarniz
de altération inextinguible et manducation insatiable.
Pourquoy ? Pource qu'ilz ne sont de bien , ains de
mal, et de ce mal duquel journellement à Dieu reque-
Rabelais. III, 3
15 PROLOGUE
rons cstre délivrez^ qiioy qu'ilz contrefacent quelques
foys des gueux. Oncques vieil cinge ne feit belle
moue.
Arrière, mastins! hors de la quarriere ! hors de
mon soleil, cahuaille au diable ! Venez vous icy cul-
letans articuler mon vin et compisser mon tonneau ?
Voyez cy le baston que Diogenes par testament
ordonna estre prés luy posé après sa mort pour chas-
ser et esrener ces larves bustuaires et mastins cerbe-
ricques. Pourtant, arrière, cagotz! Aux ouailles ,
mastins! Hors d'icy, caphards! de par le diable,
hay ! Estes vous encores là ! Je renonce ma part de
papimanie, si je vous happe, g2 2. ^222 ^222222.
Davant, davant! Iront Hz? Jamais ne puissiez vous
fianter que à sanglades d* estrivieres , jamais pisser
que à l'estrapade, jamais eschauffer que à coups de
baston !
LIVRE TROISIEME
CHAPITRE I
Comment Pantagruel transporta une colonie
de Utopiens en Dipsodie.
ANTAGRUEL, avoir entièrement con-
questé le pays de Dipsodie, en icelluy
transporta une colonie de Utopiens
en nombre de 9,876,543,210 hom-
mes, sans les femmes et petitz enfans, artizans de
tous mestiers et professeurs de toutes sciences libé-
rales, pour ledict pays refraichir, peupler et orner,
mal autrement habité et désert en grande partie.
Et les transporta non tant pour l'excessive mul-
titude d'hommes et femmes qui estoient en Utopie
multipliez comme locustes. Vous entendez assez,
20 LIVRE III, CHAPITRE I
ja besoin n'est dadventaige vous l'exposer, que les
Utopiens avoient les genitoires tant féconds et les
Utopienes portoient matrices tant amples, gloutes,
tenaces, et cellulées par bonne architecture, que au
bout de chascun neufvieme mois sept enfans pour
le moins, que masles^ que femelles, naissoient par
chascun mariaige : à l'imitation du peuple judaïc
en ^Egypte, si de Lyra ne delyre. Non tant aussi
pour la fertilité de sol, salubrité du ciel et commo-
dité du pays de Dipsodie, que pour icelluy contenir
en office et obéissance par nouveau transport de
ses antiques et feaulx subjects, lesquelz de toute
mémoire autre Seigneur n'avoient congneu, recon-
gneu, advoué ne servy que luy; et lesquelz, dés
lors que nasquirent et entrèrent on monde, avec
le laict de leurs mères nourrices avoient pareille-
ment sugcé la doulceur et debonnaireté de son
règne, et en icelle estoient tousdis confictz et
nourris, quiestoit espoir certain que plus tost de-
fauldroient de vie corporelle que de ceste première
et unicque subjection naturellement deue à leur
prince, quelque lieu que feussent espars et trans-
portez. Et non seulement telz seroient eulx et les
enfans successivement naissans de leur sang, mais
aussi en ceste féaulté et obéissance entretiendroient
les nations de nouveau adjoinctes à son empire.
Ce que véritablement advint, et ne feut aulcune-
ment frustré en sa délibération, car, si les Utopiens
avant cestuy transport avoient este feaulx et bien
PANTAGRUEL 21
recongnoissans, les Dipsodes, avoir peu de jours
avecques eulx conversé, l'estoient encore d'adven-
taige, par ne sçay quelle ferveur naturelle en tous
humains au commencement de toutes œuvres qui
leur viennent à gré ; seulement se plaignoient,
obtestans tous les cieulx et intelligences motrices,
de ce que plus toust n'estoit à leur notice venue
la renommée du bon Pantagruel.
Noterez doncques icy, beuveurs, que la manière
d'entretenir et retenir pays nouvellement conques-
tez n'est, comme a esté l'opinion erronée de certains
espritz tyrannicques, à leur dam et deshonneur, les
peuples pillant, forçant, angariant, ruinant, mal
vexant et régissant srvecques verges de fer; brief
les peuples mangeant et dévorant, en la façon que
Homère appelle le roy inique Demovore, c^est-à-
dire mangeur de peuple. Je ne vous allegueray
à ce propous les histoires antiques, seulement vous
revocqueray en recordation de ce qu'en ont veu
vos pères, et vous-mesmes, si trop jeunes n'estez.
Comme enfant nouvellement né, les faultalaicter,
berser, esjouir; comme arbre nouvellement planté,
les fault appuyer, asceurer, défendre de toutes
vimeres, injures et calamitez; comme personne
saulve de longue et forte maladie, et venent à con-
valescence, les fault choyer, espargner, restaurer;
de sorte qu"'ilz conçoipvent en soi cette opinion
n'estre on monde Roy ne Prince que moins voul-
sissent ennemy, plus optassent amy.
22 LIVRE III, CHAPITRE I
Ainsi Osiris, le grand roy des ^Egyptiens, toute
la terre conquesta, non tant à force d'armes que
par soulaigement des angaries, enseignemens de
bien et salubrement vivre, loix commodes, gratieu-
seté et biensfaicts. Pourtant du monde feut il sur-
nommé le grand roy Evergetes, c'est-à-dire Bien-
faicteur, par le commendement de Juppiter faict à
une Pamyle.
De faict, Hésiode, en sa Hiérarchie, colloque les
bons dsemons, appeliez les, si vous voulez, Anges
ou Génies, comme moyens et médiateurs des dieux
et hommes, supérieurs des hommes, inférieurs des
dieux. Et, pource que par leurs mains nous advien-
nent les richesses et biens du ciel, et sont conti-
nuellement envers nous bienfaisans, tousjours du
mal nous praeservent, les dict estre en office de
roys, comme bien tousjours faire, jamais mal, estant
acte unicquement royal.
Ainsi feut empereur de l'univers Alexandre Ma-
cedon; ainsi feut par Hercules tout le continent
possédé, les humains souUageant des monstres, op-
pressions, exactions et tyrannies, en bon traicte-
ment les gouvernant, en œquité et justice les
maintenant, en bénigne police et loix convenantes
à l'assiette des contrées les instituant, suppliant à ce
que deffailloit, ce que abondoit avalluant, et par-
donnant tout le passé, avecques oublianc.e sempi-
ternelle de toutes les offenses pra^cedentes, comme
estoit la Amnestie des Athéniens, lors que feurent
PANTAGRUEL 23
par la prouesse et industrie de Thrasibulus les ty-
rans exterminez, depuys en Rome exposée par
Ciceron, et renouvellée soubs l'empereur Aurelian.
Ce sont les philtres, iynges et attraictz d'amour,
moienans lesquelz pacificquement on retient ce que
péniblement on avoit conquesté, et plus en heur
ne peut le conquérant régner, soit roy, soit prince,
ou philosophe, que faisant Justice à Vertus succé-
der. Sa vertu est apparue en la victoire et conquesté,
sa justice apparoistra en ce que, par la volonté et
bonne affection du peuple, donnera loix, publiera
edictz, establira religions, feradroict à un chascun,
comme de Octavian Auguste dict le noble poëte
Maro :
II, qui estoit victeur, par le vouloir
De gens vaincuz faisoit ses loix valoir.
C'est pourquoy Homère, en son Iliade, les bons
princes et grands roy s appelle xocfjLYjTopaç Aawv,
c'est-à-dire ornateurs des peuples.
Telle estoit la considération de NumaPompilius,
roy second des Romains, juste, politic et philosophe,
quand il ordonna au dieu Terme, le jour de sa
feste, qu'on nommoitTermma/cs,rien n'estre sacrifié
qui eust prins mort, nous enseignant que les ter-
mes, frontières et annexes des royaulmes convient
en paix, amitié, debonnaireté, guarder et régir,
sans ses mains souiller de sang et pillerie. Qui aul-
trement faict, non-seulement perdera l'acquis, mais
24 LIVRE1II,CHAPITREI
aussi pâtira ce scandale et opprobre, qu'on le esti-
mera mal et à tort avoir acquis, par ceste consé-
quence que l'acquest luy est entre mains expiré,
car les choses mal acquises mal dépérissent; et ores
qu'il en eust toute sa vie pacificque jouissance, si
toutesfoys l'acquest dépérit en ses hoirs, pareil sera
le scandale sus le defunct, et sa mémoire en malé-
diction, comme de conquérant inique. Car vous
dictez en proverbe commun : « Des choses mal
acquises le tiers hoir ne jouira. »
Notez aussi, goutteux fieffez, en cestuy article,
comment par ce moyen Pantagruel feit d'un ange
deux, qui est accident opposite au conseil de Char-
les Maigne, lequel feit d'un diable deux, quand il
transporta les Saxons en Flandre, et les Flamens en
Saxe. Car, non povant en subjection contenir les
Saxons, par luy adjoincts à l'empire, que à tous
momens n'entrassent en rébellion, si par cas estoit
distraict en Hespaigne ou autres terres loingtaines,
les transporta en pays sien et obéissant naturelle-
ment, savoir est Flandres; et les Hannuiers et Fla-
mens, ses naturelz subjectz, transporta en Saxe,
non doubtant de leur feaulté, encores qu'ilz trans-
migrassent en régions estranges. Mais advint que
les Saxons continuèrent en leur rébellion et obsti-
nation première, et les Flamens, habitans en Saxe,
embeurent les meurs et contradictions des Saxons.
PANTAGRUEL 2$
CHAPITRE II
Comment Panurge feut faict chastellain de Salmi-
guondin en Dipsodie, et mangeait son bled en
herbe.
ONNANT Pantagruel ordre au gouver-
nement de toute Dipsodie, assigna
!a chastellenie de Salmiguondin à
Panurge, valent par chascun an
6,789,106,789 royaulx en deniers certains, non
comprins l'incertain revenu des hanetons et cacque-
roles, montant bon an mal an de 2,485,768 à
2,435,769 moutons à la grande laine. Quelques
foys revenoit 1,284^554,32 I seraphz, quand estoit
bonne année de cacqueroles, et hanetons de re-
queste, mais ce n'estoit tous les ans.
Et se gouverna si bien et prudentement Mon-
sieur le nouveau chastellain qu'en moins de qua-
torze jours il dilapida le revenu, certain et incertain,
de sa chastellenie pour troys ans. Non proprement
dilapida, comme vous pourriez dire, en fondations
de monastères, érections de temples, bastimens de
collieges et hospitaulx, ou jectant son lard aux
chiens, mais despendit en mille petitz bancquetzet
festins joyeulx, ouvers à tous venens, mesmement
tous bons compaignons, jeunes fillettes et mignon-
nes gualoises.
Abastant boys, bruslant les grosses souches pour
4
2b LIVRE III, CHAPITRE II
la vente des cendres, prenant argent d'avance,
achaptant cher, vendent a bon marché, et mangeant
son bled en herbe.
Pantagruel, adverti de l'affaire, n'en feut en soy
aulcunement indigné, fasché, ne marry. Je vous ay
jadict et encores rediz que c'estoit le meilleur petit
et grand bon hommet que oncques ceigneit espée.
Toutes choses prenoit en bonne partie, tout acte
interpretoit à bien. Jamais ne se tourmentoit, ja-
mais ne se scandalizoit. Aussi eust-il esté bien
forissu du déïficque manoir de raison, si aultrement
se feust contristé ou altéré, car tous les biens que
le ciel couvre, et que la terre contient en toutes
ses dimensions, haulteur, profundité, longitude et
latitude, ne sont dignes d''esmouvoir nos affections
et troubler nos sens et espritz.
Seulement tira Panurge à part et doulcettement
luy remonstra que, si ainsi vouloit vivre et n'estre
aultrement mesnagier, impossible seroit, ou pour
le moins bien difficile, le faire jamais riche. « Ri-
che? respondit Panurge. Aviez-vous là fermé vostre
pensée? Aviez-vous en soing pris me faire riche en
ce monde? Pensez vivre joyeulx, de par li bon
Dieu et li bons homs. Autre soing, autre soucy ne
soit receup on sacrosainct domicile de vostre céleste
cerveau. La sérénité d'icelluy jamais ne soit trou-
blée par nues quelconques de pensement passe-
menté de meshaing et fascherie. Vous vivent joyeulx,
guaillard, dehait, je ne seray riche que trop. Tout
PANTAGRUEL
27
le monde crie : « Mesnaige, mesnaige ! » Mais tel
parle de mesnaige, qui ne sçayt mie que c'est.
C'est de moj que fault conseil prendre. Et de moy
pour ceste heure prendrez advertissement que ce
qu'on me impute à vice a esté imitation des Uni-
versité et Parlement de Paris, lieux esquelz con-
siste la vraye source et vive idée de Pantheologie,
de toute justice aussi. Heereticque qui en doubte
et fermement ne le croyt. Hz toutesfoys en un jour
mangent leur evesque, ou revenu de l'evesché,
c'est tout un, pour une année entière, voyre pour
deux aulcunes foys. C'est au jour qu'il y faict son
entrée. Et n'y a lieu d'excuse, s'il ne vouloit estre
lapidé sur l'instant.
« A esté aussi acte desquatre vertus principales :
« De Prudence, en prenent argent d'avance.
Car on ne sçait qui mord ne qui rue. Qui sçayt si
le monde durera encores troys ans ? Et ores qu'il
durast dadventaige, est-il home tant fol qui se au-
sast promettre vivre troys ans?
Oncq' homme n'eut les Dieux tant bien à main
Qu'asceuré feust de vivre au lendemain.
« De Justice : commutative, en achapiant cher,
je diz à crédit, vendant à bon marché, je diz ar-
gent comptant. Que dict Caton en sa Mesnagerie
sur ce propos? Il fault, dict-il, que le perefamile
soit vendeur perpétuel. Par ce moyen est impos-
sible qu'en fin riche ne devieigne, sitousjours dure
28 LIVRE III, CHAPITRE II
l'apothecque ; dlstrihuùve, donnant à lepaistre aux
bons, notez bons, et gentilz compaignons, lesquelz
Fortune avoit jecté comme Ulyxes sus le roc de
bon appétit, sans provision de mangeaille, et aux
bonnes, notez bonnes, et jeunes gualoises, notez
jeunes, car, scelon la sentence de Hippocrates^ jeu-
nesse est impatiente de faim, mesmement si elle est
vivace, alaigre, brusque, movente, voltigeante. Les-
quelles gualoises voluntiers et de bon hayt font
plaisir à gens de bien, et sont Platonicques et Ci-
ceronianes jusques là qu'elles se reputent estre on
monde nées non pour soy seulement, ains de leurs
propres personnes font part à leur patrie, part à
leurs amis;
« De Force, en abastant les gros arbres, comme
un second Milo, ruinant les obscures forestz, tes-
nieres de loups, de sangliers, de renards, récepta-
cles de briguans et meurtriers, taulpinieres de
assassinateurs, officines de faulx monnoieurs, re-
traites d'hgereticques, et les complanissant en clai-
res guarigues et belles bruieres, jouant des haulx
boys, et préparant les sièges pour la nuict du ju-
gement;
(' De Tempérance, mangeant mon bled en
herbe, comme un hermite vivent de salades et ra-
cines, me émancipant des appetitz sensuelz, et
ainsi espargnant pour les estropiatz et souffreteux.
Car, ce faisant, j'espargne les sercleurs, qui guain-
gnent argent; les mestiviers, qui beuvent voluntiers
PANTAGRUEL 29
et sans eau; les gleneurs, esquelz fault de la fouace;
les basteurs, qui ne laissent ail, oignon ne escha-
lotte es jardins, par l'auclorité de Thestilis Virgi-
liane ; les meusniers, qui sont ordinairement larrons,
et les boulangiers, qui ne valent gueres mieulx.
Est-ce petite espargne? Oultre la calamité desmu-
lotz, le deschet des greniers, et la mangeaille des
charrantons et mourrins. De bled en herbe vous
faictez belle saulce verde, de legiere concoction,
de facile digestion, laquelle vous esbanoist le cer-
veau, esbaudist les espritz animaulx, resjouist la
veue, ouvre l'appétit, délecte le goust, assere le
cœur, chatouille la langue, faict le tainct clair, for-
tifie les muscles, tempère le sang, allègre le dia-
phragme, refraischist le foye, desoppile la râtelle,
soulaige les roignons, assouplist les reins, desgour-
dist les spondyles, vuide les uretères, dilate les vases
spermaticques, abbrevie les cremasteres, expurge la
vessie, enfle les genitoires, corrige le prépuce, in-
cruste le balane, rectifie le membre, vous faict bon
ventre, bien rotter, vessir, peder, fianter, uriner,
esternuer, sangloutir, toussir, cracher, vomiter,
baisler, mouscher, haleiner, inspirer, respirer, ron-
fler, suer, dresser le virolet, et mille autres rares
adventaiges.
— J'entend bien, dist Pantagruel : vous inferez
que gens de peu d'esprit ne sçauroient beaucoup
en brief temps despendre. Vous n'estez le premier
qui ayt conceu ceste haeresie. Néron le maintenoit,
3o LIVRE m, CHAPITRE II
et SUS tous humains admiroit C. Caligula, son on-
cle, lequel en peu de jours avoit, par invention mi-
rificque, despendu tout l'avoir et patrimoine que
Tiberius luy avoit laissé. Mais, en lieu de guarder
et observer les loix cœnaires et sumptuaires des
Romains, la Orchie, la Fannie, la Didie, la Licinie,
la Cornelie, la Lepidiane, la Antie, et des Corin-
thiens, par lesquelles estoit rigoreusement à un
chascun défendu plus par an despendre que por-
toit son annuel revenu, vous avez faict Protervie,
qui estoit entre les Romains sacrifice tel que l'ai-
gneau paschal entre les juifz. Il y convenoit tout
mangeable manger, le reste jecter on feu, rien ne
reserver au lendemain.
« Je le peuz de vous justement dire, comme le
dist Caton de Albidius, lequel, avoir en excessive
despense mangé tout ce qu'il possedoit, restant
seulement une maison, y mist le feu dedans pour
dire : Consummatum est, ainsi que depuys dist
sainct Thomas d'Acquin, quand il eust la lamproye
toute mangée. Cela non force. »
PANTAGRUEL 3l
CHAPITRE III
Comment Pamirge loue les debteurs ci emprunteurs.
,Ais, demanda Pantagruel, quand se-
rez-vous hors de debtes? — Es ca-
lendres grecques, respondit Panurge,
lors que tout le monde sera content,
et que serez héritier de vous-mesmes. Dieu me
garde d'en estre hors ! Plus lors ne trouverois qui
un denier me prestast. Qui au soir ne laisse levain,
ja ne fera au matin lever paste. Debvez-vous tous-
jours à quelq'un? Par icelluy sera continuelle-
ment Dieu prié vous donner bonne, longue et heu-
reuse vie : craignant sa debte perdre, tousjours
bien de vous dira en toutes compaignies, tousjours
nouveaulx créditeurs vous acquestera, affin que par
eulx vous faciez versure, et de terre d'aultruy rem-
plissez son fossé.
« Quand jadis en Gaulle, par l'institution des
Druydes, les serfs, varlets et appariteurs estoient
tout vifz bruslez aux funérailles et exeques de leurs
maistres et seigneurs, n'avoient-ilz belle paour que
leurs maistres et seigneurs mourussent, car ensem-
ble force leurs estoit mourir? Ne prioient-ilz conti-
nuellement leur grand dieu Mercure, avecq Dis, le
Père aux Escuz, longuement en santé les conser-
ver? N'estoient-ils soingneux de bien les traicteret
servir? Car ensemble povoient-ilz vivre au moins
32 LIVRE III , CHAPITRE III
jusques à la mort. Croyez qu'en plus fervente devo- ^
tion vos créditeurs priront Dieu que vivez, crain-
dront que mourez, d'autant que plus ayment la
manche que le braz et la denare que la vie. Tes-
moings les usuriers de Landerousse, qui n'a gueres
se pendirent, voyans les bleds et vins ravaller en
pris, et bon temps retourner. »
Pantagruel rien ne respondent, continua Pa-
nurge : « Vray bot, quand bien je y pense, vous
me remettez à poinct en ronfle veue, me reprochant
mes debtes et créditeurs. Dea ! en ceste seule qua-
lité je me reputois auguste, révérend et redoutable,
que^ sus l'opinion de tous philosophes qui disent
rien de rien n'estre faict, rien ne tenent, ne matière
première, estoys facteur et créateur.
« Avois créé, quoy? tant de beaulx et bons cré-
diteurs! Créditeurs sont, je le maintiens jusques au
feu exclusivement, créatures belles et bonnes. Qui
rien ne preste est créature laide et mauvaise, créa-
ture du grand villain diantre d'enfer. Et faict quoy ?
Debtes. O chose rare et antiquaire ! Debtes, diz-je,
excedentes le nombre des syllabes résultantes au
couplement de toutes les consonantes avecques les
vocales, jadis projecté et compté par le noble Xe-
nocrates. A la numerosité des créditeurs, si vous
estimez la perfection des debteurs, vous ne errerez
en arithmétique praticque.
« Cuidez-vous que je suis aise quand tous les
matins autour de moy je voy ces créditeurs tant
PANTAGRUEL 33
humbles, serviables et copieux en révérences? Et
quand je note que, moy faisant à l'un visaige plus
ouvert et chère meilleure que es autres, le paillard
pense avoir .sa depesche le premier, pense estre le
premier en date, et de mon ris cuyde que soit ar-
gent content, il m'est advis que je joue encores le
Dieu de la Passion de Saulmur, accompagné de ses
anges et chérubins. Ce sont mes candidatz, mes
parasites, mes salueurs, mes diseurs de bons-jours,
mes orateurs perpetuelz.
« Et pensois véritablement en debtes consister
la montaigne de vertus heroïcque descripte par
Hésiode, en laquelle je tenois degré premier de ma
licence, à laquelle tous humains semblent tirer et
aspirer; mais peu y montent, pour la difficulté du
chemin, voyant au jourd'huy tout le monde en de-
sir fervent et strident appétit de faire debtes et
créditeurs nouveaulx. Toutesfois il n'est debteur
qui veult, il ne fait créditeurs qui veult. Et vous
me voulez débouter de ceste félicité soubeline ?
Vous me demandez quand seray hors de debtes?
« Bien pis y ha. Je me donne à sainct Babolin,
le bon sainct, en cas que toute ma vie je n'aye es-
timé debtes estre comme une connexion et colli-
gence des cieulx et terre, ung entretenement unic-
que de l'humain lignaige, je dis sans lequel bien
tost tous humains periroient; estre par adventure
celle grande ame de l'univers, laquelle, scelon les
academicques, toutes choses vivifie.
Rabelais. IIL 5
34 LIVRE III, CHAPITRE III
« Qu'ainsi soit, reprgesentez-vous en esprit se-
rain l'idée et forme de quelque monde; prenez, si
bon vous semble, le trentiesme de ceulx queimagi-
noit le philosophe Metrodorus, ou le soixante et
dix huyctieme de Petron, on quel ne soit debteur
ne créditeur aulcun. Un monde sans debtes ! Là
entre les astres ne sera cours régulier quiconque ;
tous seront en desarroy.
« Juppiter, ne s'estimant débiteur à Saturne, le
dépossédera de sa sphaere, et avecques sa chaine
homericque suspendera toutes les intelligences,
dieux, cieulx, dsemons, génies, heroes, diables,
terre, mer, tous elemens; Saturne se r'aliera avec-
ques Mars, et mettront tout ce monde en pertur-
bation; Mercure ne vouldra soy asservir ésaultres;
plus ne seraleur Camille, comme en langue hetrusque
estoit nommé. Car il ne leurs est en rien debteur ;
Venus ne sera vénérée, car elle n'aura rien preste;
la lune restera sanglante et ténébreuse : à quel
propous luy departiroit le soleil sa lumière? Il n'y
estoit en rien tenu. Le soleil ne luyra sus leur
terre. Les astres ne y feront influence bonne, car
la terre desistoit leur prester nourrissement par va-
peurs et exhalations, desquelles disdit Heraditus,
prouvoient les stoïciens, Ciceron maintcnoit, estre
les estoilles alimentées.
« Entre les elemens ne sera symbolisation, al-
ternation ne transmutation aucune, car l'un ne se
reputera obligé à l'autre; il ne luy avoit rien
PANTAGRUEL 35
preste; de terre ne sera faicte eau; l'eau en aer ne
sera transmuée; de l'aer ne sera faict feu; le feu
n'eschauffera la terre; la terre rien ne produira
que monstres, Titanes, Aloïdes, Geans; il n'ypluyra
pluye, n'y luyra lumière, n'y ventera vent, n'y sera
esté ne automne; Lucifer se desliera, et, sortant
du profond d'enfer avecques les furies, les poines
et diables cornuz, vouldra deniger des cieulx tous
les dieux, tant des majeurs comme des mineurs
peuples.
(' De cestuy monde rien ne prestant ne sera
qu'une chienerie, que une brigue plus anomale que
celle du recteur de Paris , qu'une diablerie plus
confuse que celle des jeux de Doué,
« Entre les humains l'un ne saluera l'autre; il
aura beau crier : « A l'aide, au feu, à l'eau, au
meurtre! » personne ne ira à secours. Pourquoi?
Il n'avoit rien preste; on ne luy debvoitrien. Per-
sonne n'a interest en sa conflagration, en son nau-
frage, en sa ruine, en sa mort. Aussi bien ne pres-
toit-il rien. Aussi bien n'eust il par après rien
preste. Brief, de cestuy monde seront bannies Foy,
Espérance, Charité, car les homes sont nez pour
l'ayde et secours des homes. En lieu d'elles succé-
deront Défiance, Mespris, Rancune, avecques la
cohorte de tous maulx, toutes malédictions et tou-
tes misères.
'/ Vous penserez proprement que là eust Pan-
dora versé sa bouteille. Les hommes seront loups
36 LIVRE III, CHAPITRE III
és hommes, loups guaroiix et lutins, comme feurent
Lychaon , Bellerophon , Nabugotdonosor ; bri-
guans, assassineurs, empoisonneurs, malfaisans,
malpensans, malveillans, haine portans ; un chascun
contre tous, comme Ismaël, comme Metabus ,
comme Timon Athénien, qui pour ceste cause feut
surnommé {j.t(7avOpto7:oç ; si que chose plus facile en
nature seroit nourrir en l'aer les poissons, paistrè
les cerfz on fond de l'Océan, que supporter ceste
îruandaille de monde qui rien ne preste. Par ma
foy, je les hays bien.
« Et, si au patron de ce fascheux et chagrin
monde rien ne prestant vous figurez l'autre petit
monde, qui est l'homme, vous y trouverez un ter-
rible tintamarre. La teste ne vouldra prester la
veue de ses yeulx pour guider les piedz et les
mains; les piedz ne la daigneront porter; les
mains cesseront travailler pour elle; le cueur se
faschera de tant se mouvoir pour les pouls des
membres, et ne leurs prestera plus; le poulmon
ne lui fera prest de ses souffletz ; le foye ne lui en-
voyra sang pour son entretien ; la vessie ne voul-
dra estre débitrice aux roignons; l'urine sera sup-
primée; le cerveau, considérant ce train desnaturé,
se mettra en resverie, et ne baillera sentement és
" nerfz, ne mouvement és muscles.
« Somme, en ce monde desrayé, rien ne deb-
vant, rien ne prestant, rien ne empruntant, vous
voirez une conspiration plus pernicieuse que n'a
PANTAGRUEL 3y
figuré JEsoipe en son apologue, et périra sans
double; non périra seullement, mais bien tost pé-
rira, feust-ce ^sculapius mesme, et ira soubdain le
corps en putréfaction; l'ame toute indignée,
prendra course à tous les diables, après mon ar-
gent. »
CHAPITRE IV
Continuation du discours de Panurge, à la louange
des presteurs et debteurs.
u contraire , représentez-vous un
monde autre, on quel un chascun
preste, un chascun doibve, tous soient
I debteurs, tous soient presteurs. O
quelle harmonie sera parmy les réguliers mouve-
mens des cieulz ! Il m'est advis que je l'entends
aussi bien que feit oncques Platon. Quelle sympa-
thie entre les elemens ! O comment Nature se y
délectera en ses œuvres et productions , Ceres
chargée de bleds, Bacchus de vins, Flora de fleurs^
Pomona de fruictz, Juno, en son aer serain, seraine,
salubre, plaisante !
« Je me pers en ceste contemplation. Entre les
humains paix, amour, dilection, fidélité, repous,
banquetz, festins, joye, liesse, or, argent, menue
monnoye, chaisnes, bagues, marchandises, irote-
ront de main en main. Nul procès, nulle guerre,
38 LIVRE m, CHAPITRE IV
nul débat; nul n'y sera usurier, nul leschart, nul
chichart, nul refusant. VrayDieu ! ne sera ce l'aage
d'or, le règne de Saturne, l'idée des régions olym-
picques, es quelles toutes autres vertus cessent,
Charité seule règne, régente, domine, triumphe .
Tous seront bons, tous seront beaulx, tous seront
justes. O monde heureux ! O gens de cestuy monde
heureux ! O beatz troys et quatre foys ! Il m'est
advis que je y suis. Je vous jure le bon Vraybis que
si cestuy monde, beat monde, ainsi à un chascun
prestant, rien ne refusant, eust pape foizonnant en
cardinaulx, et associé de son sacré colliege, en peu
d'années vous y voiriez les sainctz plus druz, plus
miraclificques, à plus de leçons, plus de veuz, plus
de bastons et plus de chandelles, que ne sont tous
ceulx des neufz eveschez de Bretaigne, exceptez
seulement sainct Ives.
((■ Je vous prie, considérez comment le noble
Patelin, voulant déifier et par divines louenges
mettre jusques au tiers ciel le Père Guillaume Jous-
seaulme, rien plus ne dist, sinon,
Et si prestoit
Ses denrées à qui en vouloit,
« O le beau mot !
« A ce patron figurez nostre microcosme , id
est petit monde, c'est l'homme, en tous ses mem-
bres, prestans, empruntans, doivans, c'est à dire
en son naturel. Car Nature n'a créé l'homme que
PANTAGRUEL 89
pour prester et emprunter. Plus grande n'est l'har-
monie des cieux que sera de sa police. L'intention
du fondateur de ce microcosme est y entretenir
l'ame, laquelle il y a mise comme hoste, et la vie.
La vie consiste en sang, sang est le siège de l'ame;
pour tant, un seul labeur poine ce monde : c'est
forger sang continuellement. En ceste forge sont
tous membres en office propre, et est leur hiérar-
chie telle que sans cesse l'un de l'autre emprunte,
l'un à l'autre preste, l'un à l'autre est debteur. La
matière et métal convenable pour estre en sang
transmué est baillé par Nature : pain et vin. En ces
deux sont comprinses toutes espèces des alimens.
Et de ce est dict le companage en langue goth.
« Pour icelles trouver, praeparer et cuire, tra-
vaillent les mains, cheminent les piedz et portent
toute ceste machine; les yeulx tout conduisent;
l'appétit en l'orifice de l'estomach, moyenant un
peu de melancholie aigrette, queluy est transmis de
la râtelle, admonneste de enfourner viande ; la lan-
gue en faict l'assay, les dens la maschent, l'esto-
mac la reçoit, digère et chylifie; les veines mesa-
raïcques en sugcent ce qu'est bon et idoine ,
délaissent les excremens, les quelz, par vertus expul-
sive, sont vuidez hors par exprés conduictz, puys la
portent au foye : il la transmue de rechef, et en
faict sang.
« Lors quelle joye pensez vous estre entre ces
officiers, quand ilz ont veu ce ruisseau d'or, qui est
40 LIVRE III. CHAPITRE IV
leur seul restaurant? Plus grande n'est la joye des
alchymistes, quand, après longs travaulx, grand
soing et despense, ilz voyent les metaulx trans-
muez dedans leurs fourneaulx. Adoncques chascun
membre se prgepare et s'esvertue de nouveau à pu-
rifier et affiner cestuy thesaur. Les roignons par les
venes emulgentes en tirent l'aiguosité, que vous
nommez urine, et par les uretères la découlent en
bas. Au bas trouve réceptacle propre, c'est la ves-
sie, laquelle en temps opportun la vuide hors; la
râtelle en tire le terrestre et la lie, que vous nom-
mez melancholie ; la bouteille du fiel en soubstraict
la cholere superflue ; puys est transporté en une autre
officine pour mieulx estre affiné : c'est le cœur, le-
quel, parcesmouvemensdiastolicquesetsystolicques,
le subtilie et enflambe tellement que par le ventricule
dextre le met à perfection, et par les venes l'envoyé
à tous les membres; chascun membre l'attire à soy,
et s'en alimente à sa guise : pieds, mains, yeulx,
tous; et lors sont faictz debteurs, qui paravent es-
toient presteurs. Par le ventricule gausche il le
faict tant subtil qu'on le dict spirituel, et l'envoyé
à tous les membres par ses artères, pour l'autre
sang des venes eschauffer et esventer; le poulmon
ne cesse avecques ses lobes et souffletz le refrais-
chir : en recongnoissance de ce bien, le cœur luy
en départ le meilleur par la vene arteriale ; en fin,
tant est affiné dedans le retz merveilleux que par
après en sont faictz les esprits animaulx, moyen-
PANTAGRUEL ^^ I
nans les quelz elle imagine, discourt, juge, resoust,
délibère, ratiocine et remémore.
« Vertus guoy ! je me naye, je me pers, je
m'esguare, quand je entre on profond abisme de
ce monde ainsi prestant, ainsi doibvant. Croyez
que chose divine est prester : debvoir est vertus he-
roïcque.
« Encore n'est ce tout. Ce monde prestant,
doibvant, empruntant, est si bon que, ceste ali-
mentation parachevée, il pense desja prester à
ceulx qui ne sont encores nez, et par prest se per-
pétuer, s'il peult, et multiplier en images à soy sem-
blables, ce sont enfans. A ceste fin, chascun mem-
bre du plus précieux de son nourrissement décide
et roigne une portion, et la renvoyé en bas : Na-
ture y a praeparé vases et réceptacles opportuns,
par les quelz descendent es genitoires en longs
ambages et flexuositez, reçoit forme compétente,
et trouve lieux idoines, tant en l'homme comme
en la femme, pour conserver et perpétuer le genre
humain. Ce faict le tout par prestz et debtes de
l'un à l'autre : dont est dict le debvoir de mariage.
« Poine par Nature est au refusant interminée,
acre vexation parmy les membres, et furie parmy
les sens; au prestant, loyer consigné, plaisir, alai-
gresse et volupté. »
42 LIVRE III, CHAPITRE V
CHAPITRE V
Comment Pantagruel déteste les debteurs et em-
prunteurs.
'entends, respondit Pantagruel, et
me semblez bon topicqueur et af-
fecté à vostre cause. Mais preschez
et patrocinez d'icy à la Pentecoste,
en fin vous serez esbahy comment rien ne me au-
rez persuadé, et par vostre beau parler jà ne me
ferez entrer en debtes. Kien, dict lesainct Envoyé,
à personne ne doibveZy fors amours et dilection mu-
tuelle.
(( Vous me usez icy de belles graphides et dia-
typoses, et me plaisent très-bien. Mais je vous diz
que, si figurez un afîronteur efronté, et importun
emprunteur, entrant de nouveau en une ville jà
advertie de ses meurs, vous trouverez que à son
entrée plus seront les citoyens en efîroy et trépida-
tion que si la peste y entroit en habillement tel
que la trouva le philosophe Tyanien dedans Ephese.
Et suys d'opinion que ne erroient les Perses, esti-
mans le second vice estre mentir^ le premier estre
debvoir, car debtes et mensonges sont ordinaire-
ment ralliez.
« Je ne veulx pourtant inférer que jamais ne
faille debvoir, jamais ne faille prester. Il n'est si
pj^ntagruel 43
riche qui quelques foys ne doibve, il n'est si pauvre
de qui quelques foys on ne puisse emprunter. L'oc-
casion sera telle que la dict Platon en ses Loix,
quand il ordonne qu'on ne laisse chés soy les
voysins puiser eau, si premièrement ilz n'avoient
en leurs propres pastifz foussoié et bêché jusques à
trouver celle espèce de terre qu'on nomme cera-
mite, c'est terre à potier, et là n'eussent rencontré
source ou degout d'eaux. Car icelle terre, par sa
substance, qui est grasse, forte, lize et dense, re-
tient l'humidité, et n'en est facilement faict exha-
lation. Ainsi est-ce grande vergouigne tousjours,
en tous lieux, d'un chascun emprunter plus toust
que travailler et guaingner. Lors seulement deb-
vroit on, scelon mon jugement, prester, quand la
personne, travaillant, n'a peu par son labeur faire
guain, ou quand elle est soubdainement tumbée en
perte inopinée de ses biens.
« Pourtant laissons ce propos, et dorénavant ne
vous attachez à créditeurs ; du passé je vous de-
livre.
— Le moins de mon plus, dist Panurge, en ces-
tuy article sera vous remercier, et, si les remerci-
mens doibvent estre mesurez par l'affection des
biensfaicteurs, ce sera infiniment, sempilernelle-
ment, car l'amour que de vostre grâce me portez
est hors le dez d'estimation ; il transcende tout
poix, tout nombre, toute mesure; il estinfiny, sem-
piternel. Mais, le mesurant au qualibre des biens-
44 LIVRE III, CHAPITRE V
faictz et contentement des recepvans, ce sera assez
laschement. Vous me faictes des biens beaucoup,
et trop plus que ne m'appartient, plus que n'ay en-
vers vous deservy, plus que ne requeroient mes
mérites, force est que le confesse, mais non mie
tant que pensez en cestuy article. Ce n'est là que
me deult, ce n'est là que me cuist et démange,
car doresnavant, estant quitte, quelle contenence
auray-je? Croiez que je auray maulvaise grâce pour
les premiers inoys, veu que je n'y suis ne nourry
ne accoustumé. Je en ay grand paour.
« D'adventaige, désormais ne naistra ped en
tout Salmiguondinoys qui ne ayt son renvoy
vers mon nez. Tous les peteurs du monde petans
disent : « Voy là pour les quittes. » Ma vie finera
bien toust, je le praevoy. Je vous recommande
mon epitaphe, et mourray tout confict en pedz. Si
quelque jour, pour restaurant à faire peter les bon-
nes femmes en extrême passion de colicque ven-
teuse, les medicamens ordinaires ne satisfont aux
medicins, la momie de mon paillard et empeté
corps leurs sera remède praesent. En prenent tant
peu que direz, elles péteront plus qu'ilz n'enten-
dent. C'est pourquoy je vous prirois voluntiersque
de debtes me laissez quelque centurie, comme le
roy Loys unziesme, jectant hors de procès Miles
d'Illiers, evesques de Chartres, feut importuné luy
en laisser quelque un pour se exercer. J'ayme mieux
eurs donner toute ma cacqueroliere, ensemble ma
PANTAGRUEL ^5
hannetonnieie, rien pourtant ne déduisant du sort
principal.
— Laissons, dist Pantagruel, ce propos, je vous
l'ay ja dict une foys. »
CHAPITRE VI
Pourquoy les nouveaidx mariés estaient exemptz
d'aller en guerre.
Aïs, demanda Panurge, en quelle loy
estoit-ce constitué et establyque ceulx
qui vigne nouvelle planteroient, ceulx
qui logis neuf bastiroient et les nou-
veaulx mariés seroient exemptz d'aller en guerre
pour la première année? — En la loy, respondit
Pantagruel, de Moses. — Pourquoy, demanda Pa-
nurge, les nouveaulx mariés? Des planteurs de vi-
gne je suis trop vieux pour me soucier; je acquiesce
on soucy des vendangeurs, et les beaulx bastisseurs
nouveaulx de pierres mortes ne sont escriptz en
mon livre de vie. Je ne bastis que pierres vives, ce
sont hommes. — Selon mon jugement, respondit
Pantagruel, c'estoit affin que pour la première an-
née ilz jouissent de leurs amours à plaisir, vacassent
à production de lignage et feissent provision de
héritiers ; ainsi, pour le moins, si l'année seconde
estoient en guerre occis, leur nom et armes restast
en leurs enfans. Aussi que leurs femmes on con-
46 LIVRE III, CHAPITRE VI
gneust certainement estre ou brehaignes, ou fé-
condes, car l'essay d'un an leurs sembloit suffisant,
attendu la maturité de l'aage en laquelle ilz fai-
soient nopces, pour mieulx, après le decés des ma-
riz premiers, les colloquer en secondes nopces : les
fécondes, à ceulx qui vouldroient multiplier en en-
fans; les brehaignes, à ceulx qui n'en appeteroient,
et les prendroient pour leurs vertus, sçavoir bonnes
grâces, seulement en consolation domesticque et
entretenement de mesnage. — Les prescheurs de
Varenes, dist Panurge, détestent les secondes nop-
ces comme folles et deshonnestes. — Elles sont,
respondit Pantagruel, leurs fortes fiebvres quar-
taines. — Voire^ dist Panurge, et à frère Enguain-
nant aussi, qui, en plain sermon, preschant à Pa-
rillé et détestant les nopces secondes, juroit et se
donnoit au plus viste diable d'enfer en cas que
mieulx n'aymast depuceller cent filles que biscoter
une vefve. Je trouve vostre raison bonne et bien
fondée. Mais que diriez-vous si ceste exemption
leurs estoit oultroyée pour raison que, tout le de-
cours d'icelle prime année; ilz auroienî tant talo-
che leurs amours de nouveau possédez, comme
c'est l'œquité et debvoir, et tant esgoutté leurs
vases spermaticques, qu'ilzen restoient tous effilez,
tous evirez, tous énervez et flatriz, si que, adve-
nent le jour de bataille, plus tost se mettroient au
plongeon comme canes avecques le baguaige que
avecques les combatans et vaillans champions, on
PANTAGRUEL
47
lieu onquel par Enyo est meu le hourd, et sont les
coups departiz, et soubs l'estandart de Mars ne
frapperoient coup qui vaille, car les grands coups
auroient ruez sous les courtines de Venus s'amie?
Qu'ainsi soit, nous voyons encores maintenant, en-
tre autres reliques et monumens d'antiquité, qu'en
toutes bonnes maisons^ après ne sçaj quantz jours,
l'on envoyé ces nouveauz mariez veoir leur oncle
pour les absenter de leurs femmes, et ce pendent
soy reposer et de rechief se avitaller pour mieux
au retour combatre, quoy que souvent ilz n'ayent
ne oncle ne tante. En pareille forme que le roy
Petault, après la journée des Cornabons, ne nous
cassa proprement parlant, je diz moi et Courcail-
let, mais nous envoya refraischir en nos maisons. Il
est encores cherchant la sienne. La marraine de
mon grand-pere me disoit, quand j'estois petit,
que
Patenostres et oraisons
Sont pour ceulx là qui les retiennent ;
Un fiffre allans en fenaisons
Est plus fort que deux qui en viennent.
« Ce que me induict en ceste opinion est que
les planteurs de vigne à peine mangeoient raisins
ou beuvoient vin de leur labeur durant la première
année, et les bastisseurs, pour l'an premier, ne ha-
bitoient en leurs logis de nouveau faictz, sur poine
de y mourir sufîocquez par defîault de expiration.
48 LIVRE III, CHAPITRE VI
comme doctement l'a noté Galen, lib. 2, De la
difficulté de respirer.
« Je ne Tay demandé sans cause bien causée,
ne sans raison bien resonnante. Ne vous des-
plaise. »
CHAPITRE VII
Comment Pamirge avoit la pusse en Vaureille, et dé-
sista porter sa magnificque braguette.
u lendemain, Panurge se feit perser
l'oreille dextre à la judaïque, ety ata-
cha un petit anneau d'or à ouvraige
;de tauchie, on caston duquel estoit
une pusse enchâssée ; et estoit la pusse noire, affîn
que de rien ne doublez (c'est belle chose,, estre en
tous cas bien informé), la despence de laquelle, ra-
portée à son bureau, ne montoit par quartier gue-
res plus que le mariage d'une tigresse hircanicque,
comme vous pourriez dire 600,000 malvedis. De
tant excessive despense se fascha lors qu'il feut
quitte, et depuis la nourrit en la façon des tyrans
et advocatz, de la sueur et du sang de ses sub-
jectz.
« Print quatre aulnes de bureau, s'en acoustra
comme d'une robbe longue à simple cousture, dé-
sista porter le hault de ses chausses, et attacha des
lunettes à son bonnet. En tel estât se présenta da-
PANTAGRUEL
49
vant Pantagruel, lequel trouva le desguisement es-
trange, mesmement ne voyant plus sa belle et ma-
gnificque braguette, en laquelle il souloit comme
en l'ancre sacre constituer son dernier refuge contre
tous naufraiges d'adversité. N'entendant le bon
Pantagruel ce mystère, le interrogea, demandant
que pretendoit ceste nouvelle prosopopée.
« J'ai, respondit Panurge, la pusse en Taureille :
je me veulx marier. — En bonne heure soit, dist
Pantagruel, vous m'en avez bien resjouy. Vraye-
ment, je n'en vouldrois pas tenir un fer chauld .
Mais ce n'est la guise des amoureux ainsi avoir
bragues avalades et laisser pendre sa chemise sur
les genoilx sans hault de chausses, avecques robbe
longue de bureau, qui est couleur inusitée en rob-
bes talares entre gens de bien et de vertus. Si
quelques personaiges de haeresies et sectes parti-
culiaires s'en sont autres fois acoutrez, quoy que
plusieurs l'ayent imputé à piperie, imposture et af-
fectation de tyrannie sus le rude populaire, je ne
veulx pourtant les blâmer, et en cela faire d'eulx
jugement sinistre. Chascun abonde en son sens,
mesmement en choses foraines, externes et in-
différentes, lesquelles de soy ne sont bonnes ne
maulvaises, pource qu'elles ne sortent de nos cœurs
et pensées, qui est l'officine de tout bien et tout
mal; bien, si bonne est, et par le esprit munde rei-
glée l'affection; mal, si hors asquité par l'esprit
maling est l'affection dépravée. Seulement me
Rabelais. III. 7
5o LIVRE III, CHAPITRE VII
deplaist la nouveaulté , et mespris du commun
usaige.
— La couleur, respondit Panurge, est aspre aux
potz, à propos : c'est mon bureau; je le veulx do-
rénavant tenir et de prés reguarder à mes affaires.
Pays qu'une foys je suis quitte, vous ne veistes
oncques homme plus mal plaisant que je seray, si
Dieu ne me ayde. Voiez cy mes bezicles : à me
veoir de loing, vous diriez proprement que c'est
frère Jan Bourgeoys. Je croy bien que, l'année qui
vient, je prescheray encores une foys la croisade.
Dieu guard de mal les pelotons. Voiez vous ce
bureau ? Croiez qu'en luy consiste quelque occulte
propriété à peu de gens congneue. Je ne l'ay
prins qu'à ce matin, mais desjà j'endesve, je de-
guene, je grezille d'estre marié et labourer en dia-
ble bur dessus ma femme, sans craincte des coups
de baston. O le grand mesnaiger que [je seray!
Après ma mort, on me fera brusler en bust hono-
rificque^ pour en avoir les cendres, en mémoire et
exemplaire du mesnaiger pcrfaict. Corbieu ! sus
cestuy mien bureau ne se joue pas mon argentier
d'allonger les ss, car coups de poing troteroient en
face. Voyez moy davant et darriere : c'est la forme
d'une toge, antique habillement des Romains on
temps de paix. J'en ay prins la forme en la co-
lumne de Trajan à Rome, en l'arc triumphal
aussi de Septimius Severus. Je suis las de guerre,
las de sages et hocquetons; j'ay les espaulcs
PANTAGRUEL 5l
toutes usées à force de porter harnois. Cessent
les armes, reignent les toges, au moins pour toute
ceste subséquente année, si je suis marié, comme
vous me allegastez hier par la loy mosaïque.
« Au reguard du hault de chausses, ma grande
tante Laurence jadis me disoit qu'il estoit faict
pour la braguette. Je le croy, en pareille induction
que le gentil falot Galen, lib. <^, De Vusage de nos
membres^ dict la teste estre faicte pour les yeulx,
car nature eust peu mettre nos testes aux genoulx
ou aux coubtes; mais ordonnant les yeulx pour des-
couvrir au loing, les fixa en la teste comme en un
baston au plus hault du corps, comme nous voyons
les phares et haultes tours sus les havres de mer
estre érigées, pour de loing estre veue la lanterne.
« Et, pource que je vouldrois quelque espace
de temps, un an pour le moins, respirer de l'art
militaire, c'est à dire me marier, je ne porte plus
braguette, ne par conséquent hault de chausses,
car la braguette est première pièce de harnoys pour
armer l'homme de guerre; et maintiens jusques au
feu, exclusivement entendez, que les Turcs ne sont
aptement armez, veu que braguettes porter est
chose en leurs loix défendue. »
52 LIVRE III, CHAPITRE VIII
CHAPITRE VIII
Comment la braguette est première pièce de harnois
entre gens de guerre.
ouLEz-vous, dist Pantagruel, mainte-
nir que la braguette est pièce pre-
mière de harnois militaire ? C'est doc-
trine moult paradoxe et nouvelle, car
nous disons que par esprons on commence sov
armer.
— Je le maintiens, respondit Panurge, et non à
tord je le maintiens. Voyez comment Nature, vou-
lant les plantes, arbres, arbrisseaulx , herbes et
zoophytes, une] fois par elle créez, perpétuer et
durer en toute succession de temps, sans jamais
dépérir les espèces, encores que les individuz pé-
rissent, curieusement arma leurs germes et semen-
ces, es quelles consiste icelle perpétuité, et les a
muniz et couvers, par admirable industrie, de gous-
ses, vagines, testz, noyaulx, calicules, coques, es-
piz, pappes, escorces, échines poignans, qui leurs
sont comme belles et fortes braguettes naturelles.
L'exemple y est manifeste en poix, febves, faseolz,
noix, alberges, cotton, colocynthes, bledz, pavot,
citrons, chastaignes, toutes plantes généralement,
es quelles voyons apcrtement le germe et la se-
PANTAGRUEL 53
mence plus estre couverte, munie et armée qu'au-
tre partie d'icelles.
« Ainsi ne pourveut Nature à la perpétuité de
l'humain genre, ains créa l'home nud, tendre, fra-
gile, sans armes ne offensives ne défensives, en
estât d'innocence et premier aage d'or, comme
animant, non plante : comme animant, diz-je, né
à paix, non à guerre, animant né à jouissance miri-
fîcque de tous fruictz et plantes vegetables, ani-
mant né à domination pacifîcque sus toutes bestes.
Advenent la multiplication de malice entre les hu-
mains en succession de l'aage de fer et règne de
Juppiter, la terre commença à produire orties, char-
dons, espines, et telle aultre manière de rébellion
contre l'home entre les vegetables. D'autre part,
presque tous animaulx, par fatale disposition, se
émancipèrent de luy, et ensemble tacitement cons-
pirèrent plus ne le servir, plus ne luy obéir, en
tant que résister pourroient, mais luy nuire scelon
leur faculté et puissance. L'home adoncques, vou-
lent sa première jouissance maintenir et sa pre-
mière domination continuer, non aussi povant soy
commodément passer du service de plusieurs ani-
maulx, eut nécessité soy armer de nouveau.
— Par la dive Oye Guenet! s'escria Pantagruel,
depuys les dernières pluyes tu es devenu grand ii-
frelofre, voyre, diz-je, philosophe.
— Considérez, dist Panurge, comment Nature
l'inspira soy armer, et quelle partie de son corps il
34 LIVRE m, CHAPITRE VIII
commencza premier armer. Ce feut, par la vertus
Dieu, la couille
Et le bon messer Priapus,
Quand eut faict, ne la pria plus.
« Ainsi nous le tesmoigne le capitaine et philo-
sophe Hebrieu Moses, affermant qu'il se arma
d'une brave et gualante braguette, faicte par moult
belle invention de feueilles de figuier, lesquelles
sont naïfves et du tout commodes en dureté, in-
cisure, frizure, polissure, grandeur, couleur, odeur,
vertus et faculté pour couvrir et armer couilles.
« Exceptez moy les horrificques couilles de
Lorraine, lesquelles à bride avalée descendent au
fond des chausses, abhorrent le mannoir des bra-
guettes haultaines, et sont hors toute méthode;
tesmoing Viardiere, le noble valentin, lequel, un
premier jour de may, pour plus guorgias estre , je
trouvay à Nancy, descrotant ses couilles extendues
sur une table comme une cappe à l'espaignole.
« Doncques ne fauldra dorénavant dire, qui ne
vouldra improprement parler, quand on envoyra le
franc taulpin en guerre :
Saulve Tevot le pot au vin,
c'est le cruon. Il faut dire :
Saulve Tevot le pot au laict,
ce sont les couilles, de par tous les diables d'enfer.
La teste perdue, ne perist que la personne : les
PANTAGRUEL 5î>
couilles perdues, periroit toute humaine nature.
C'est ce que meut le gualant Cl. Galon, lib. i, De
spermate, à bravement conclure que mieulx, c'est à
dire moindre mal seroit poinct de cœur n'avoir
que poinct n'avoir de genitoires. Car là consiste,
comme en un sacré repositoire, le germe conserva-
tif de l'humain lignage. Et croieroys pour moins de
cent francs que ce sont les propres pierres moye-
nans les quelles Deucalion et Pyrrha restituèrent le
genre humain, aboly par le déluge poétique. C'est ce
qui meut le vaillant Justinian, lib. 4^ De cagotis tollcn-
dis, à mettre summum h oniim in braguibusetbraguetis.
« Pour ceste et aultres causes, le seigneur de
Merville, essayant quelque jour un harnoys neuf,
pour suyvre son Roy en guerre, car du sien anti-
que et à demy rouillé plus bien servir ne se povoit,
à cause que depuys certaines années la peau de son
ventre s'estoit beaucoup esloignée des roignons ,
sa femme consydera, en esprit contemplatif, que
peu de soing avoit du pacquet et baston commun
de leur mariage, veu qu'il ne l'armoit que de mail-
les, et feut d'advis qu'il le munist très bien et ga-
bionnast d'ung gros armet de joustes, lequel estoit
en son cabinet inutile.
« D'icelle sont escriptz ces vers on tiers livre du
Chiabrena des pucelles :
Celle qui veid son mary tout armé.
Fors la braguette, aller à l'escarmouche.
56 LIVRE III, CHAPITRE VIII
Luy dist : « Amy, de paour qu'on ne vous touche.
Armez cela, qui est le plus aymé. »
Quoy? tel conseil doibt-il estre blasmé?
Je diz que non : car sa paour la plus grande
De perdre estoit, le voyant animé,
Le bon morceau dont elle estoit friande.
< Désistez doncques vous esbahir de ce nouveau
mien acoustrement. »
CHAPITRE IX
Comment Panurge se conseille à Pantagruel pour
sçavoir s'il se doibt marier.
ANTAGRUEL rien ne replicquant, conti-
y -ç nua Panurge, et dist avecques un pro-
IH I fond soupir : « Seigneur, vous avez
_M ma délibération entendue, qui est me
marier, si de mal encontre n'estoient tous les trous
fermez, clous et bouclez. Je vous supply, par l'a-
mour que si long temps m'avez porté, dictez m'en
vostre advis. — Puis, respondit Pantagruel, qu'une
foys en avez jecté le dez, et ainsi l'avez décrété et
prins en ferme délibération, plus parler n'en fault :
reste seullement la mettre à exécution.
— Voyre mais, dist Panurge, je ne la voul-
drois exécuter sans votre conseil et bon advis. —
J'en suis, respondit Pantagruel, d'advis et vous le
conseille. — Mais, dist Panurge, si vous congnois-
PANTAGRUEL Sy
siez que mon meilleur feust tel que je suys demeu-
rer, sans entreprendre cas de nouvelleté, j'ayme-
rois mieulx ne me marier poinct. — Poinct
doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel. —
Voyre mais, dist Panurge, vouldriez vous qu'ainsi
seulet je demeurasse toute ma vie sans compaignie
conjugale? Vous sçavez qu'il est escript : Veh soli.
L'homme seul n'a jamais tel soûlas qu'on veoyd
entre gens mariez. — Mariez vous doncq, de par
Dieu, respondit Pantagruel.
— Mais si, dist Panurge, ma femme me faisoit
coqu, comme vous sçavez qu'il en est grande année,
ce seroit assez pour me faire trespasser hors les
gonds de patience. J'aime bien les coquz, et me
semblent gens de bien, et les hante voluntiers ;
mais, pour mourir, je ne le vouldroys estre. C'est
un poinct qui trop me poingt. — Poinct doncques
ne vous mariez, respondit Pantagruel, car la sen-
tence de Senecque est véritable hors toute excep-
tion : Ce qu'à aultruy tu auras faict, soys certain
qu'aultruy te fera. — Dictez vous, demanda Pa-
nurge, cela sans exception? — Sans exception il le
dict, respondit Pantagruel. — Ho ho ! dist Pa-
nurge, de par le petit diable, il entend en ce
monde ou en l'aultre.
« Voyre mais, puis que de femme ne me peuz
passer en plus qu'un aveugle de baston, car il fault
que le virolet trote, aultrement vivre ne sçauroys,
n'est ce le mieulx que je me associe quelque hon-
58 LIVRE III, CHAPITRE IX
neste et preude femme qu'ainsi changer de jour
en jour avecques continuel dangier de quelque
coup de baston, ou de la verolle pour le pire? Car
femme de bien oncques ne me feut rien, et n'en
desplaise à leurs mariz. — Mariez vous doncq, de
par Dieu, respondit Pantagruel.
— Mais si, dist Panurge, Dieu le vouloit, et
advint que j'esposasse quelque femme de bien, et
elle me batist, je seroys plus que tiercelet de Job
si je n'enrageois tout vif, car l'on m'a dict que ces
tant femmes de bien ont communément maulvaise
teste, aussi ont elles bon vinaigre en leur mesnaige.
Je l'auroys encores pire, et luy battroys tant et
trestant sa petite oye, ce sont braz, jambes, teste,
poulmon, foye et râtelle, tant luy deschicqueterois
ses habillemens à bastons rompuz, que le grand
Diole en attendroit l'ame damnée à la porte. De
ces tabus je me passerois bien pour ceste année, et
content serois n'y entrer poinct. — Point doncques
ne vous mariez, respondit Pantagruel.
— Voire mais, dist Panurge, estant en estât tel
que je suis, quitte, et non marié; notez que je diz
quitte en la maie heure, car, estant bien fort en-
debté, mes créditeurs ne seroient que trop soin-
gneux de ma paternité; mais quitte, et non marié,
je n'ay personne qui tant de moy se souciast et
amour tel me portast qu'on dit estre amour con-
jugal, et, si par cas tombois en maladie, traicté ne
serois qu'au rebours. Le saige dict : Là ou n'est
PANTAGRUEL 59
femme, j'entends merefamiles, et en mariage légi-
time, le malade est en grand estrif. J'en ay veu claire
expérience en papes, legatz, cardinaulx, evesques,
abbez, prieurs, presbtres et moines. Or là jamais
ne m'auriez. — Mariez-vous doncq, de par Dieu,
respondit Pantagruel.
— Mais si, dist Panurge, estant malade et im-
potent au debvoir de mariage, ma femme, impa-
tiente de ma langueur, à aultruy se abandonnoit, et
non seulement ne me secourust au besoing, mais
aussi se mocquast de ma calamité, et, que pis est,
me desrobast, comme j'ay veu souvent advenir, ce
seroit pour m'achever de paindre, et courir les
champs en pourpoinct. — Poinct doncques ne vous
mariez, respondit Pantagruel.
— Voire mais, dist Panurge, je n'aurois jamais
aultrement filz ne filles légitimes, es quelz j'eusse
espoir mon nom et armes perpétuer, es quelz je
puisse laisser mes heritaiges et acquestz, j'en feray
de beaulx un de ces matins, n'en doubtez, et d'a-
bondant seray grand retireur de rantes, avecques
les quelz je me puisse esbauldir, quand d'ailleurs
serois meshaigné, comme je voys journellement
vostre tant bening et débonnaire père faire avecques
vous, et font tous gens de bien en leur serrail et
privé. Car, quitte estant, marié non estant, estant
par accident fasché, en lieu de me consoler, advis
m'est que de mon mal riez. — Mariez voui doncq,
de par Dieu, respondit Pantagruel.
6o
LIVRE III. CHAPITRE X
CHAPITRE X
Comment Pantagruel remonstre à Panurge difficile
chose estre le conseil de mariage, et des sors Ho-
mériques et Virgilianes.
OSTRE conseil, dist Panurge, soubs
correction, semble à la chanson de
Ricochet. Ce ne sont que sarcasmes,
mocqueries et redictes contradictoires.
Les unes destruisent les aultres. Je ne sçay es quelles
me tenir. — Aussi, respondit Pantagruel, en vos
propositions tant y a de Si et de Mais que je n'y
sçaurois rien fonder ne rien resouldre. N'estez vous
asceuré de vostre vouloir? Le poinct principal y
gist, tout le reste est fortuit et dépendent des fa-
tales dispositions du Ciel. Nous voyons nombre de
gens tant heureux à ceste rencontre qu'en leur ma-
riage semble reluire quelque idée et reprcesentation
des joyes de paradis. Aultres y sont tant malheu-
reux que les diables qui tentent les hermites par
les déserts de Thebaïde et Monsserrat ne le sont
dadventaige. Il se y convient mettre à l'adventure,
les yeulx bandez, baissant la teste, baisant la terre,
et se recommandant à Dieu au demourant, puis-
qu'une foys l'on se y veult mettre. Aultre asceu-
rance ne vous en sçauroys-je donner.
« Or voyez cy que vous ferez, si bon vous sem-
ble. Apportez moy les Œuvres de Virgile, et, par
PANTAGRUEL 6l
troys foys avecques l'ongle les ouvrans, explorerons,
par les vers du nombre entre nous convenu, le sort
futur de votre mariage. Car, comme par sors Ho-
mericques souvent on a rencontré sa destinée, tes-
moing Socrates, lequel, oyant en prison reciter ce
mètre de Homère, dict de Achiles, 9. Iliad. :
Je parviendray, sans faire long séjour,
En Phthie, belle et fertile, au tiers jour,
praeveid qu'il mourroit le tiers subséquent jour, et
le asceura à iEschines, comme escrivent Plato in
Critone, Ciceron primo De Divinafione, et Diogenes
Laertius :
« Tesmoing Opilius Macrinius, auquel, convoi-
tant sçavoir s'il seroit empereur de Rome, advint en
sort ceste sentence, 8. Iliad. :
'D yépov, '/j aàya or^ ie vioi xeipouort [j.'xyr^z'xi .
O home vieulx, les soubdars désormais,
Jeunes et forts, te lassent, certes; mais
Ta vigueur est résolue, et vieillesse
Dure et moleste accourt, et trop te presse.
« De faict il estoit ja vieulx, et ayant obtenu
l'empire seulement un an et deux mois, feut par
Heliogabalus, jeune et puissant, dépossédé et occis.
« Tesmoing Brutus, lequel, voulant explorer le
sort de la bataille Pharsalicque, en laquelle il feut
b2 LIVRE III, CHAPITRE X
occis, rencontra ce vers dictde Patroclus, ///ac/. i6:
'AÀÀa ijt,£ MoTp' 6ao"/], xai Ar^rouç sxTavev uioç...
Par mal engrouin de la Parce félonne
Je feuz occis, et du fils de Latonne...
c'est Apollo, qui feut pour mot du guet le jour
d'icelle bataille.
<( Aussi par sors Virgilianes ont esté congneues
anciennement et preveues choses insignes, et cas
de grande importance, voire jusques à obtenir
l'empire romain, comme advint à Alexandre Severe,
qui rencontra en ceste manière de sort ce vers
escript, A^neid. 6 :
Tu regere imperio populos. Romane, mémento...
Romain enfant, quand viendras à l'Empire,
Regiz le monde en sorte qu'il n'empire.
« Puys feut, après certaines années, realement
et de faict créé empereur de Rome.
« En Adrian, empereur romain, lequel, estant en
doubte et poine de sçavoir quelle opinion de luy avoit
Trajan, et quelle affection il luy portoit, print advis
par sors Virgilianes, et rencontra ces vers, Encid. 6 :
Quis procul, ille autem ramis insignis olivse
Sacra ferens? Nosco crines, incanaque menta
Régis romani...
Qui est cestuy qui là loing en sa main
Porte rameaulx d'olive illustrement ?
A son gris poil et sacre accoustrement,
Je recongnois l'antique roy rommain...
PANTAGRUEL 63
'( Puys feut adopté de Trajan, et luy succéda à
l'empire.
« En Claude, second empereur de Rome, bien
loué, auquel advintpar sort ce vers escript 6 JEneid. :
Tertia dum Latio regnantem vider it xstas...
Lors que t'aura régnant manifesté
En Rome et veu tel le troiziesme aesté...
« De faict, il ne régna que deux ans. A icelluy
mesmes, s'enquerant de son frère Quintel, lequel
il vouloit prendre au gouvernement de l'Empire,
advint ce vers 6 ^neid. •
Ostendent terris hune tantum Fata...
Les Destins seulement le montreront es terres...
Laquelle chose advint, car il feut occis dix et
sept jours après qu'il eut le maniment de l'empire.
Ce mesmes sort escheut à l'empereur Gordian le
jeune.
« A Clode Albin, soucieux d'entendre sa bonne
adventure, advint ce qu'est escript jEneid. 6 :
Hic rem romanam, magno turbante tumultu,
Sistet eques, etc..
Ce chevallier, grand tumulte advenent,
L'Estat romain sera entretenent ;
Des Cartagiens victoires aura belles,
Et des Gaullois, s'ilz se montrent rebelles...
« En D. Claude empereur, prédécesseur de Au-
relian, auquel, se guementant de sa postérité,
advint ce vers en sort, Mneid. i :
64 LIVRE 111, CHAPITRE X
His ego nec metas rerum, ntc tempora pono...
Longue durée à ceulx cy je prétends.
Et à leurs biens ne mets borne ne temps...
« Aussi eut-il successeurs en longues généalogies ;
<-. En M. Pierre Amy^ cjuand il explora pour
sçavoir s'il eschapperoit de l'embusche des Farfa
detz, el rencontra ce vers, A^neid. 3 :
Heu ! fuge crudeles terras, fuge littus avarum...
Laisse soubdain ces nations barbares,
Laisse soubdain ces rivages avares...
« Puys eschappa de leurs mains sain et saulve.
'( Mille aultres, desquelz trop prolix seroit narrer
les adventures advenues scelon la sentence du vers
par tel sort rencontré. Je ne veulx toutesfoys in-
férer que ce sort universellement soit infaillible,
afïin que ne y soyez abusé. )>
CHAPITRE XI
Comment Pantagruel remonstre le sort des dez
estrc illicite.
^E seroit, dist Panurge, plus toust faict
et expédié à troysbeaulxdez. — Non,
respondit Pantagruel; ce sort est abu-
^, ^ . _ sif, illicite et grandement scandaleux.
Jamais ne vous y fiez. Le mauldict livre du Passe
temps des dez feut, longtemps a, inventé par le Ca-
PANTAGRUEL 65
lumniateurEnnemy en Achaïe présBoure, etdavant
la statue de Hercules Bouraïque y faisoit jadis, de
praesent en plusieurs lieux faict, maintes simples
âmes errer, et en ses lacz tomber. Vous sçavez
comment Gargantua, mon père, par tous sesroyaul-
mes l'a défendu, bruslé avecques les moules et pro-
traictz, et du tout exterminé, supprimé et aboly,
comme peste tresdangereuse. Ce que des dez je
vous ay dict, je diz semblablement des taies : c'est
sort de pareil abus. Et ne m'alléguez au contraire
le fortuné ject des taies que feit Tibère dedans la
fontaine de Apone à l'oracle de Gerion : ce sont
hamessons par les quelz le Calumniateur tire les
simples âmes à perdition éternelle.
(( Pour toutesfoys vous satisfaire, bien suys d'avis
que jectez troys dez sus ceste table. Au nombre
des poinctz advenens nous prendrons les vers du
feuillet que aurez ouvert. Avez-vous icy dez en
bourse? — Pleine gibessiere, respondit Panurge.
C'est le verd du diable, comme expose Merl.
Coccaius, libro secundo De Patria diabolonim. Le
diable me prendroit sans verd, s'il me rencontroit
sans dez. »
Les dez feurent tirez et jectez, et tombèrent es
poinctz de cinq, six, cinq. «Ce sont, dist Panurge,
seze. Prenons les vers seziemes du feuillet. Le nom-
bre me plaist, et croy que nos rencontres seront
heureuses. Je me donne à travers tous les diables,
comme un coup de boulle à travers ung jeu de
Rabelais. IH, o
66 LIVRE III, CHAPITRE XI
quilles, ou comme un coup de canon à travers un
bataillon de gens de pied, guare diables qui voul-
dra en cas que aultant de foys je ne belute ma
femme future la première nuict de mes nopces.
— Je ne en fays doubte, repondit Pantagruel; ja
besoing n'estoit en faire si horrifîcque dévotion. La
première foys sera une faulte, et vauldra quinze :
au desjucher vous l'amenderez : par ce moyen se-
ront seze. — Et ainsi, dist Panurge, l'entendez?
Oncques ne feut faict solœcisme par le vaillant
champion qui pour moy faict sentinelle au bas
ventre. Me avez vous trouvé en la confrairie des
faultiers? Jamais, jamais, au grand fin jamais. Je le
fays en père, et en beat père, sans faulte. J'en de-
mande aux joueurs. »
Cesparolles achevées, feurentaportez les œuvres
de Virgile. Avant les ouvrir, Panurge dist à Panta-
gruel : (( Le cœur me bat dedans le corps comme
une mitaine; touchez un peu mon pouls en ceste
artère du braz guausche. A sa fréquence et éléva-
tion vous diriez qu'on me pelaude en tentative de
Sorbone. Seriez-vous poinct d'avis, avant procéder
oultre, que invocquions Hercules et les déesses
Tenites, les quelles on dict prcesider en la cham-
bre des Sorts? — Ne l'un, respondit Pantagruel, ne
les aultrcs. Ouvrez seulement avec l'ongle. »
PANTAGRUEL 67
CHAPITRE XII
Comment Pantagruel explore par sors Virgilianes
quel sera le mariage de Panurge.
DONCQUES, ouvrant Panurge le livre,
rencontra on ranc sezieme ce vers :
Nec Deus hune mmsa, Dea nec dignata cu-
bili est;
Digne ne feut d'estre en table du dieu,
Et n'eut on lict de la déesse lieu.
(( Cestuy, dist Pantagruel, n'est à vostre adven-
taige. Il dénote que vostre femme sera ribaulde,
vouscoqu par conséquent. La déesse que vous n'au-
rez favorable est Minerve, vierge très redoublée,
déesse puissante, fouldroiante, ennemie des coquz,
des muguetz, des adultères, ennemie des femmes
iubricques, non tenentes la foy promise à leurs ma-
riz, et à aultruy soy abandonnantes. Le dieu est
Juppiter tonnant et fouldroyant des cieulx.
« Et noterez par la doctrine des anciens Ethrus-
ques que les manubies, ainsi appelloient ilz lesjectz
des fouldres vulcaniques, compétent à elle seule-
ment : exemple de ce feut donné en la conflagration
des navires de Ajax Oileus, et à Juppiter, son père
capital. A aultres dieux Olympicques n'est licite
fouldroier; pourtant ne sont ilz tant redoubtez des
humains. Plus vous diray, et le prendrez comme
68 LIVRE III, CHAPITRE XII
extiaict de haute mythologie. Quand les geantz
entreprindrent guerre contre les dieux, les dieux au
commencement se mocquerent de telz ennemis, et
disoient qu'il n'y en avoit pas pour leurs pages.
Mais, quand ilz veirent par le labeur des geantz le
monsPelion posé dessus le monsOsse, et jaesbranlé
le mons Olympe pour estre mis au dessus des deux,
feurent tous effrayez.
« Adoncques tint Juppiter chapitre gênerai. Là
feut conclud de tous les dieux qu'ilz se mettroient
vertueusement en deffence; et, pource qu'ilz
avoient plusieurs foys veu les batailles perdues par
l'empeschement des femmes qui estoient parmy les
armées, feut décrété que pour l'heure on chasse-
roit des cieulx en ^Egypte et vers les confins du
Nil toute ceste vessaille des déesses, desguisées en
beletes, fouines, ratepenades, museraigneset aultres
métamorphoses. Seule Minerve feut de retenue
pour fouldroier avecques Juppiter, comme déesse
des lettres et de guerre, de conseil et exécution,
déesse née armée, déesse redoubtée on ciel, en
l'air, en la mer et en terre.
— Ventre guoy, dist Panurge, seroys-je bien
Vulcan, duquel parle le Poète? Non. Je ne suys
ne boiteux, ne faulx monnoieur, ne forgeron, comme
il estoit. Par adventure ma femme sera aussi belle et
advenente comme sa Venus, mais non ribaulde
comme elle, ne moy coqu comme luy. Le villain
jambe-lorte se feist declairer coqu par arrest et en
PANTAGRUEL 69
vente figure de tous les dieux. Pource entendez au
rebours.
« Ce sort dénote que ma femme sera preude,
pudicque et loyalle, non mie armée, rebousse, ne
ecervelée et extraite de cervelle comme Pallas, et
ne me sera corrival ce beau Juppin, et ja ne saul-
sera son pain en masouppe, quand ensemble serions
à table. Considérez ses gestes et beaulx faitz. Il a
esté le plus fort ruffien et plus infâme cor, je diz
bordelier, qui oncques feut, paillard tousjours comme
un verrat : aussi feut il nourry par une truie en Dicte
de Candie, si Agathocles Babylonien ne ment, et
plus boucquin que n'est un boucq; aussi disent les
autres qu'il feut alaicté d'une chèvre Amalthée.
Vertus de Acheron ! il belina pour un jour la tierce
partie du monde, bestes et gens, fleuves et mon-
taignes : ce feut Europe. Pour cestuy belinaige les
Ammoniens le faisoient protraire en figure de bé-
lier belinant, bélier cornu,
« Mais je sçay comment guarder se fault de ce
cornard. Croyez qu'il n'aura trouvé un sot Amphi-
tryon, un niais Argus avecques ses cent bezicles,
un couart Acrisius, un lanternier Lycus de Thebes,
un resveur Agenor, un Asope phlegmaticq, un Ly-
chaon patepelue, un madourré Corytus de la Tos-
cane, un Atlas à la grande eschine. Il pourroit cent
et cent foys se transformer en cycne, en taureau,
en satyre, en or, en coqu, comme feist quand il
depucella Juno sa sœur; en aigle, en bélier, en pi-
yO LIVRE lil, CHAPITRE XII
geon, comme feist estant amoureux de la pucelle
Phtie, laquelle demouroit en ^Egie; en feu, en
serpent, voire certes en pusse, en atomes epicureic-
ques, ou magistronostralement en secondes inten-
tions, je le vous grupperay au crue; et sçavez que
luy feray? Coi bieu, ce que feist Saturne au Ciel
son père (Seneque l'a de moy predict, et Lactance
confirmé), ce que Rhea feist à Athys. Je vous luy
coupperay les couillons tout rasibus du cul; il ne
s'en fauldra un pelet. Par ceste raison ne sera il
jamais Pape, car testiculos non hahet.
— Tout beau, fillol, dist Pantagruel, tout beau !
Ouvrez pour la seconde foys. » Lors rencontra ce
vers :
Membra quatit, gelidusque coït formidine sanguis...
Les os luy rompt, et les membres luy casse.
Dont de la paour le sang on corps luy glasse.
(( Il dénote, dist Pantagruel, qu'elle vous battera
dos et ventre. — Au rebours, respondit Panurge.
C'est de moy qu'il prognosticque, et di£t que je la
batteray en tigre si elle me fasche. Martin baston
en fera l'office. En faulte de baston, le diable me
mange si je ne la mangeroys toute vive, comme
la sienne mangea Cambles, roy des Lydiens. —
Vous estez, dist Pantagruel, bien couraigeux. Her-
cules ne vous combatteroit en ceste fureur; mais
c'est ce que l'on dict, que le Jan en vault deux, et
Hercules seul n'auza contre deux combatre. —
PANTAGRUEL 7I
Je suys Jan ? distPanurge. — Rien, rien, lespondit
Pantagruel. Je pensois au jeu du lourche et tric-
quetrac. »
Au tiers coup rencontra ce vers :
Fœmineo prxdx et spoliorum ardebat amore...
Brusloit d'ardeur en féminin usaige,
De butiner et robber le baguaige.
(( 1! dénote, dist Pantagruel, qu'elle vousdesro-
bera. Et je vous voy bien en poinct, selon ces
troys sors : vous serez coqu, vous serez batu, vous
serez desrobbé. — Au rebours, respondit Panurge,
ce vers dénote qu'elle m'aimera d'amour perfaict.
Oncques n'en mentit le Satyricque, quand il dict
que femme bruslant d'amour suprême prend quel-
ques foys plaisir àdesrobber son amy. Sçavezquoy?
Un guand, une aiguillette pour la faire chercher,
peu de chose, rien d'importance. Pareillement, ces
petites noisettes, ces riottes qui par certain temps
sourdent entre les amans, sont nouveaulx refrais-
chissemens et aiguillons d'amour, comme nous
voyons par exemple les coustelliers leurs coz quel-
ques foys marteler pour mieulx aiguiser les ferre-
mens.
« C'est pourquoy je prends ces trois sors à mon
grand adventaige. Aultrement j'en appelle. —
Appeller, dist Pantagruel, jamais on ne peult des
jugemens décidez par Sort et Fortune, comme at-
testent nos antiques jurisconsultes; et le dictBalde,
72 LIVRE III, CHAPITRE XII
L. ult., C. de Leg. La raison est pource que For-
tune ne recongnoist poinct de supérieur, auquel
d'elle et de ses sors on puisse appeller, et ne peult
en ce cas le mineur estre en son entier restitué,
comme apertement il dict in L. Ait prœtor, § u/f.,
ff. de minor. »
CHAPITRE XIII.
Comment Pantagruel conseille Panurge prévoir l'heur
ou malheur de son mariage par songes.
^<R, puysque ne convenons ensemble en
l'exposition des sors Virgilianes, pre-
nons aultre voye de divination. —
(o^C^^f^^fe Quelle ? demanda Panurge. — Bonne,
respondit Pantagruel, antique et authenticque : c'est
par songes, car, en songeant avecques conditions les-
quelles descrivent Hippocrates, Lib. Trepi 'Evuxi/iwv,
Platon, Plotin, Jamblicque, Synesius, Aristoteles,
Xenophon, Galen, Plutarche, Artemidorus Daldia-
nus, Herophilus, Q. Calaber, Theocrite, Pline,
Atheneus et aultres, l'ame souvent prévoit les cho-
ses futures; ja n'est besoing plus au long vous le
prouver.
« Vous l'entendez par exemple vulguaire, quand
vous voyez, lors que les enfants bien nettiz, bien
repeux et alaictez, dorment profondement, les nour-
rices s'en aller esbattre en liberté, comme pour
PANTAGRUEL
73
icelle heure licentiées à faire ce que vouldront, car
leur présence au tour du bers sembleroit inutile. En
ceste façon nostre ame, lors que le corps dort et
que la concoction est de tous endroictz parache-
vée, rien plus n'y estant nécessaire jusques au res-
veil, s'esbat et reveoit sa patrie, qui est le ciel. De
là receoit participation insigne de sa prime et di-
vine origine, et en contemplation de ceste infinie
et intellectuale sphaere, le centre de laquelle est en
chascun lieu de l'univers, la circunference point,
c'est Dieu, selon la doctrine de Hermès Trisme-
gistus, à laquelle rien ne advient, rien ne passe,
rien ne déchet, tous temps sont prsesens; notez
non seulement les choses passées en mouvemens
inférieurs, mais aussi les futures, et les raportent à
son corps, et par les sens et organes d'icelluy les ex-
posant aux amys, est dicte vaticinatrice et prophète.
Vray est qu'elle ne les rapporte en telle syncerité
comme les avoit vues, obstant l'imperfection et
fragihté des sens corporelz, comme la lune, re-
cevant du soleil sa lumière, ne nous la communic-
que telle, tant lucide, tant pure, tant vive et ar-
dente comme l'avoit receue.
« Pour tant reste à ces vaticinations somniales
interprète qui soit dextre, saige, industrieux,
expert, rational, et absolu onirocrite et oniropole:
ainsi sont appelez desGraecs. C'est pourquoy Hera-
clitus disoit rien par songe ne nous estre exposé,
rien aussi ne nous estre celé, seulement nous estre
y 4 LIVRE III, CHAPITRE X II I
donnée signification el indice des choses advenir, ou
pour l'heur et malheur nostre, ou pour l'heur et
malheur d'aultruy. Les Sacres Lettres le tesmoi-
gnent, les histoires prophanes l'asceurent, nous
exposant mille cas advenuz scelon les songes, tant
de la persone songeante que d'aultruy pareille-
ment.
« Les Atlanticques et ceulx qui habitent en l'isle
de Thasos, Tune des Cyclades, sont privez de ceste
commodité, on pays desquelz jamais persone ne
songea. Aussi feurent Cleon de Daulie, Thrasmedes,
et de nostre temps le docte Villanovanus François,
lesquelz oncques ne songèrent.
(( Demain doncques, sus l'heure que la joyeuse
Aurore aux doigtz rosatz dechassera les ténèbres
nocturnes, adonnez vous à songer parfondement.
Cependant despouillez vous de toute affection hu-
maine : d'amour, de haine, d'espoir et de craincte.
Car, comme jadis le grand vaticinateur Proteus,
estant desguisé et transformé en feu, en eau, en
tigre, en dracon et aultres masques estranges, ne
praedisoit les choses advenir, pour les prédire force
estoit qu'il feust restitué en sa propre et naïfve
forme, aussi ne peult l'homme recepvoir divinité,
et art de vaticiner, sinon lorsque la partie qui en
luy plus est divine, c'est Nou; et Mens, soit coye,
tranquille, paisible, non occupée ne distraicte par
passions et affections foraines.
— Je le veulx, dist Panurge. Fauldra il peu
PANTAGRUEL yS
OU beaucoup soupper à ce soir? Je ne le demande
sans cause. Car, si bien et largement je ne souppe,
je ne dors rien qui vaille, la nuict ne fais que ra-
vasser, et autant songe creux que pour lors estoient
mon ventre. — Poinct soupper, respondit Panta-
gruel, seroit le meilleur, attendu vostre bon en
poinct et habitude. Amphiaraus, vaticinateur anti-
que, vouloit ceulx qui par songes recepvoient ses
oracles rien tout celluy jour ne manger, et vin ne
boyre troys jours davant. Nous ne userons de tant
extrême et rigoureuse diaete. Bien croy-je l'homme
replet de viandes et crapule difficilement concep-
voir notice des choses spirituelles; ne suis toutesfois
en l'opinion de ceux qui, après longs et obstinez
jeusnes, cuydent plus avant entrer en contempla-
tion des choses célestes.
«Souvenir assez vous peult comment Gargantua,
mon père, lequel par honneur je nomme, nous a
souvent dict les escriptz de ces hermites jeusneurs
aultant estre fades, jejunes, et de maulvaise salive,
comme estoient leurs corps lorsqu'ilz composoient,
et difficile chose estre bons et serains rester les
espritz estant le corps en inanition, veu que les
philosophes et medicins afferment les espritz ani-
maulx sourdre, naistre et practiquer par le sang
arterial purifié et affiné à perfection dedans le retz
admirable qui gist soubs les ventricules du cerveau,
nous baillans exemple d'un philosophe, qui en so-
litude pensant estre, et hors la tourbe, pour mieulx
76 LIVRE III, CHAPITRE XIII
commenter, discourir et composer, cependant
toutesfoys au tour de luy abayent les chiens, ullent
les loups, rugient les lyons, bannissent les cbe-
vaulx, barrient les elephans, siflent les serpens,
braislent les asnes, sonnent les cigalles, lamentent
les tourterelles, c'est à dire plus estoit troublé que
s'il feust à la foyre de Fontenay, ou Niort, car la
faim estoit on corps, pour à laquelle remédier,
abaye l'estomach, la veue esblouist, les veines sug-
cent de la propre substance des membres carnifor-
mes, et retirent en bas cestuy esprit vaguabond,
négligent du traictement de son nourrisson et hoste
naturel, qui est le corps, comme si l'oizeau, sus le
poing estant, vouloit en l'aër son vol prendre, et
incontinent par les longes seroit plus bas déprimé.
« Et, à ce propos, nous alléguant l'auctorité de
Homère, père de toute philosophie, qui dict les
Gregeoys lors, non plustost, avoir mis à leurs lar-
mes fin de dueil de Patroclus, le grand amy de
Achilles, quand la faim se déclaira et leurs ventres
protestèrent plus de larmes ne les fournir, car en
corps exinaniz par long jeusne plusn'estoit dequoy
pleurer et larmoier.
« Médiocrité est en tous cas louée, et icy la
maintiendrez. Vous mangerez à soupper non febves,
non lièvres, ne aultre chair, non poulpre, qu'on
nomme polype, non choulx, ne aultres viandes qui
peussent vos espritz animaulx troubler et obfusquer.
Car, comme le mirouoir ne peult repraesenter les
PANTAGRUEL 77
simulachres des choses objectées et à luy exposées,
si sa polissure est par halaines ou temps nubileux
obfusquée, aussi l'esprit ne receoit les formes de
divination par songes, si le corps est inquiété et
troublé par les vapeurs et fumées de viandes prae-
cedentes, à cause de la sympathie laquelle est entre
eulx deux indissoluble.
<( Vous mangerez bonnes poyres Crustumenies,
et Berguamottes, une pome de Court pendu, quel-
ques pruneaulx de Tours, quelques cerizes de mon
verger. Et ne sera pour quoy doibvez craindre que
vos songes en proviennent doubteux, fallaces, ou
suspectz^ comme les ont declairez aulcuns Peripa-
teticques on temps de automne, lors, sçavoir est,
que les humains plus copieusement usent fructaiges
qu'en aultre saison. Ce que les anciens prophètes
et poètes mysticquement nous enseignent, disans les
vains et fallacieux songes gésir et estre cachez soubs
les feuilles cheutes en terre, par ce qu'en automne
les feuilles tombent des arbres. Car ceste ferveur
naturelle, laquelle abonde es fruictz nouveaulx,
laquelle par son ebuUition facilement évapore es
parties animales, comme nous voyons faire le moust,
et est, long temps a, expirée et résolue. Et boyrez
belle eau de ma fontaine.
— La condition, dist Panurge, m'est quelque
peu dure. Je y consens toutesfois. Coustc et vaille
Protestant desjeuner demain à bonne heure, incon-
tinent après mes songeailles. Au surplus, je me
78 LIVRE III, CHAPITRE XIII
recommande aux deux portes de Homère, à Mor-
pheus^ à Icelon, à Phantasus et Phabetor. Si au
besoing ilz me secourent, je leur erigeray un autel
joyeulx tout composé de fin dumet. Si en Laconie
j'estois dedans le temple de Ino entre Œtyle et
Thalames, par elle seroit ma perplexité résolue en
dormant à beaulx et joyeulx songes. »
Puis demanda à Pantagruel : « Seroit ce poinct
bien faict si je mettoys dessoubs mon coissin quel-
ques branches de laurier? — Il n'est, respondit
Pantagruel, ja besoing. C'est chose superstitieuse,
et n'est que abus ce qu'en ont escriptSerapion As-
calonites, Antiphon, Philochorus, Artemon, et
Fulgentius Placiades. Autant vous en diroys-je de
Tespaule guausche du crocodile et du chameleon,
sauf l'honneur du vieulx Democrite; autant de la
pierre des Bactrians nommée Eumetrides; autant de
la corne de Hammon : ainsi nomment les ^Ethiopiens
une pierre précieuse à couleur d'or et forme d'une
corne de bélier, comme est la corne de Juppiter
Hammonien, affirmans autant estre vrays et infail-
libles les songes de ceulx qui la portent que sont
les oracles divins.
« Par adventure est ce que escrivent Homère et
Virgile des deux portes de songe, esquelles vous
estes recommandé. L'une est de yvoyre, par la-
quelle entrent les songes confus, fallaces et incer-
tains, comme à travers l'ivoire, tant soit déliée que
vouldrez, possible n'est rien veoir : sa densité et
Roilvin del * se
SONGE DE PANURGE
lR«b.l*i«,L.2, C. i4 )
PANTAGRUEL
79
opacité empesche la pénétration des espritz visifz
et réception des espèces visibles. L'aultre est de
corne, par laquelle entrent les songes certains,
vrays, et infaillibles, comme à travers la corne, par
sa resplendeur et diaphaneïté, apparoissent toutes
espèces certainement et distinctement. — Vous
voulez inférer, dist frère Jan, que les songes des
coquz cornuz, comme sera Panurge, Dieu aydant
et sa femme, sont tousjours vrays et infaillibles. »
CHAPITRE XIV
Le songe de Panurge et interprétation d'icelluy.
us les sept heures du matin subsé-
quent, Panurge se praesenta davant
Pantagruel, estans en la chambre
Epistemon, frère Jan des Entommeu-
res, Ponocrates, Eudemon, Carpalim et aultres, es
quelz, à la venue de Panurge, dist Pantagruel :
'( Voyez cy nostre songeur. — Ceste parolle, dict
Epistemon, jadis cousta bon et feut cherememt
vendue es enfans de Jacob. »
— Adoncques, dist Panurge : <( J'en suys bien
chez Guillot le songeur. J'ay songé tant et plus,
mais je n'y entends note, exceptez que par mes
songeries j'avoys une femme jeune, gualante, belle
en perfection, laquelle me traictoit et entretenoit
mignonnement, comme un petit dorelot. Jamais
8o LIVRE III, CHAPITRE XIV
home ne feut plus aise ne plus joyeulx; elle me
flattoit, me chatouilloit, me tastonnoit, me teston-
noit, me baisoit, me accolloit, et par esbattement
me faisoit deux belles petites cornes au dessus du
front. Je luy remontroys en follians qu'elle me les
debvoit mettre au dessoubz des yeulx, pour mieux
veoir ce que j'en vouldroys ferir, affin que Momus
ne trouvast en elle chose aulcune imperfaicte et di-
gne de correction, comme il feist en la position
des cornes bovines. Lafollastre, non obstant ma re-
monstrance,me les fischoyt encore plus avant, et en
ce ne me faisoit mal quiconques, qui est cas admirable.
Peu après me sembla que je feuz ne say comment
transformé en tabourin, et elle en chouette. Là feut
mon sommeil interrompu, et en sursault me resvei-
glay tout fasché, perplex et indigné. Voyez là une
belle platelée de songes; faictez grand chère là
dessus et l'exposez comme l'entendez. Allons des-
jeuner, Carpalim.
— J'entends, dit Pantagruel, si j'ay jugement
aulcun en l'art de divination par songes, que vostre
femme ne vous fera reallement et en apparence
extérieure cornes on front comme portent les Sa-
tyres, mais elle ne vous tiendra foy ne loyauté con-
jugalle, ains à aultruy se abandonnera et vous fera
coqu. Cestuy poinct est apertement exposé par Ar-
temidorus comme le diz. Aussi ne sera de vous
faicte métamorphose en tabourin, mais d'elle vous
serez battu comme tabour à nopces, ne d'elle en
PANTAGRUEL bl
chouette, mais elle vous desrobbera, comme est le
naturel de la chouette. Et voyez vos songes con-
formes es sors Virgilianes : vous serez coqu, vous
serez battu, vous serez desrobbé. »
Là s'escria frère Jean, et dist : « Il dict par Dieu
vray; tu seras coqu, home de bien, je t'en asseure;
tu auras belles cornes. Hay, hay, hay ! nostre mais-
tre de Cornibus, Dieu te guard ! Fayz nous deux
motz de praedication, et je feray la queste parmy
la paroece.
— Au rebours, dist Panurge, mon songe presa-
gist qu'en mon mariage j'auray planté de tous
biens, avecques la corne d'abondance : vous dictez
que seront cornes de satyres. Amerij amen, fiât;
fiatur, ad differentiam Papx. Ainsi auroys je éter-
nellement le virolet en poinct et infatiguable,
comme l'ont les satyres, chose que tous désirent,
et peu de gens l'impetrent des cieulx. Par consé-
quent coqu jamais, car faulte de ce est cause, sans
laquelle non, cause unicque, de faire les mariz co-
quz. Qui faict les coquins mendier? C'est qu'ils
n'ont en leurs maisons dequoy leur sac emplir. Qui
faict le loup sortir du bois? Default de carnage.
Qui faict les femmes ribauldes? Vous m'entendez
assez. J'en demande à messieurs les clercs, à mes-
sieurs les presidens, conseilliers, advocats, procul-
teurs et autres glossateurs de la vénérable rubricque
de Frigidis et Maleficiatis.
« Vous, pardonnez moy si je mesprens, me sem-
Rabelais. IL 1 1
i52 LIVRE III, CHAPITRE XIV
blez evidentement errer, interprétant cornes pour
cocuage. Diane les porte en teste en forme de
beau croissant, est-elle coque pourtant? Comment
diable seroit-elle coque, qui nefeut oncques mariée?
Parlez, de grâce, correct, craignant qu'ellevous en
face au patron que feist à Acteon. Le bon Bacchus
porte cornes semblablement ; Pan, Juppiter Ammo-
nien, tant d'aultres. Sont ilz coquz? Juno seroit elle
putain? Car il s'ensuivroyt par la figure dicte Meta-
Icpsis, comme appelant un enfant, en preesence de ses
père et mère, champis ou avoistre, c'est honneste-
ment, tacitement dire le père coqu et sa femme ri-
baulde. Parlons mieulx : les cornes que me faisoit
ma femme sont cornes d'abondance et planté de
tous biens, je le vous affîe. Au demourant, je seray
joyeulx comme un tabour à nopces, tousjours son-
nant, tousjours ronflant, tousjours bourdonnant et
pétant. Croyez que c'est l'heur de mon bien.
Ma femme sera coincte et jolie comme une belle
petite chouette.
Qui ne !e croid,
D'enfer aille au gibbet.
Noël nouvelet.
— Je note, dist Pantagruel, le poinct dernier
qu'avez dict, et le confère avecques le premier. Au
commencement vous estiez tout confîct en délices
de vostre songe ; enfin vous eveiglastez en sursault
fasché, perplex et indigné. — Voire, dist Panurge,
PANTAGRUEL 83
car je n'avoys poinct dipné. — Tout ira en déso-
lation, je le prevoy. Sçaichez pour vray que tout
sommeil finissant en sursault, et laissant la persone
faschée et indignée, ou mal signifie, ou mal prae-
sagist. Mal signifie, c'est-à-dire maladie cacoethe,
maligne, pestilente, oculte et latente dedans le
centre du corps, laquelle par sommeil, quitousjours
renforce la vertus concoctrice, selon les théorèmes
de medicine, commenceroit soy declairer et mou-
voir vers la superficie. Au quel triste mouvement
seroyt le repous dissolu, et le premier sensitif
admonnesté de y compatir et pourveoir, comme en
proverbe l'on dict : « Irriter les freslons, mouvoir
(( la Camarine^ esveigler le chat qui dort. »
« Mal praesagist, c'est-à-dire, quant au faict de
l'ame en matière de divination somnialle, nous
donne entendre que quelque malheur y est destiné
et préparé, lequel de brief sortira en son effect.
Exemple on songe et resveil espouvantable de He-
cuba, on songe de Eurydice, femme de Orpheus,
lequel parfaict, les dict Ennius s'estre esveiglées en
sursault et espovantées : aussi après veid Hecuba
son mary Priam, ses enfans, sa patrie occis et des-
truictz ; Eurydice bientost après mourut misérable-
ment; en yEneas, songeant qu'il parloit à Hector
defunct, soubdain en sursault s'esveiglant : aussi
feut celle propre nuict Troye sacagée et bruslée.
Aultre foys songeant qu'il veoyt ses dieux familiers
et pénates, et en espouvantement s'esveiglant, pa-
84 LIVRE m, CHAPITRE XIV
tit au subséquent jour horrible tourmente sus mer ,
en Turnus, lequel estant incité par vision phantas-
tique de la furie infernale à commencer guerre con-
tre i£neas, s'esveigla en sursault tout indigné, puis
feut après longues désolations occis par iceUuy
iEneas. Mille aultres. Quand je vous compte de
iEneas, notez que Fabius Pictor dict rien par luy
n'avoir esté faict ne entreprins, rien ne luy estre
advenu, que preallablement il n'eust congneu et
praeveu par divination somniale. Raison ne default
es exemples, car, si le sommeil et repous est don et
bénéfice spécial des dieux, comme maintiennent les
philosophes et atteste le poëte, disant :
Lors l'heure estoit que sommeil, don des cieulx.
Vient aux humains fatiguez gracieux,
tel don en fascherie et indignation ne peut estre ter-
miné sans grande infelicité preetendue. Aultrement
seroit repous non repous, don non don,nondesdieux
amis provenent, mais des diables ennemis, jouxte
le mot vulgaire : s/Optov àoioca owpa. Comme si le
perefamiles estant à table opulente, en bon appétit,
au commencement de son repas, on voyoid en sur-
sault espouventé soy lever. Qui n'ei) sçauroit la
cause s'en pourroit esbahir. Mais quoy? Il avoit
ouy ses serviteurs crier au feu, ses servantes crier au
larron, ses cnfans crier au meurtre. Là failloit, le
repas laissé, accourir pour y remédier 'et donner
ordre.
PANTAGRUEL 85
« Vrayement je me recorde que les Cabalistes et
Massoretez, interprètes des Sacres Letres, expo-
sans en quoy l'onpourroit par discrétion congnois-
tre la vérité des apparitions angelicques, car sou-
vent l'Ange de Sathan se transfigure en Ange de
lumière, disent la différence de ces deux estre en ce
que l'Ange bening et consolateur apparoissant à
l'homme, l'espovante au commencement, le console
en la fin, le rend content et satisfaict; l'Ange ma-
ling et séducteur au commencement resjouist
l'home, en fin le laisse perturbé, fasché et per-
plex. »
CHAPITRE XV
Excuse de Panurge et exposition de Cahalle
monasticque en matière de beuf salé.
lEU, dist Panurge, guard' de mal qui
void bien et n'oyt goutte. Je vous
voy tresbien, mais je ne vous oy
poinct, et ne sçay que dictez. Le
ventre affamé n'a poinct d'aureilles. Je brame par
Dieu de mal rage de faim. J'ay faict courvée trop
extraordinaire. Il sera plus que maistre Mousche,
qui de cestuy an me fera estre de songeailles. Ne
souper poinct, de par le Diable ! Cancre ! Allons,
Frère Jan, desjeuner. Quand j'ay bien a poinct
desjeuné, et mon stomach est bien à point affené
86 LIVRE III, CHAPITRE XV
et agrené, encores pour un besoing et en cas de
nécessité me passerojs je de dipner. Mais ne soup-
per poinct? Cancre! C'est erreur. C'est scandale
en nature. Nature a faict le jour pour soy exercer,
pour travailler et pour vacquer chascun en sa né-
guociation, et, pour ce plus aptement faire, elle
nous fournist de chandelle, c'est la claire et joyeuse
lumière du soleil. Au soir, elle commence nous la
toUir, et nous dict tacitement : Enfans, vous estez
gens de bien. C'est assez travaillé. La nuyct vient;
il convient cesser du labeur et se restaurer par bon
pain, bon vin, bonnes viandes, puis soy quelque
peu esbaudir, coucher et reposer, pour au len-
demain estre frays et alaigres au labeur comme
devant.
« Ainsi font les faulconniers : quand ilz ont re-
peu leurs oyzeaulx, ilz ne les font voler sus leurs
guorges, ilz les laissent enduire sus la perche. Ce
que tresbien entendit le bon pape premier institu-
teur des jeusnes. Il ordonna qu'on jeusnast jusques
à l'heure de nones, le reste du jour feut mis en
liberté de repaistre. On temps jadis, peu de gens
dipnoient, comme vous diriez les moines et cha-
noines; aussi bien n'ont-ilz aultre occupation; tous
les jours leur sont festes, et ils observent diligem-
ment un proverbe claustral : De Missa ad mcnsani,
et ne differeroient seulement, attendans la venue
de l'abbé pour soy enfourner à table; là, en bauf-
frant, attendent les moines l'abbé tant qu'il voudra,
PANTAGRUEL 87
non aultrement ne en aultre condition; mais tout
le monde souppoit, exceptez quelques resveurs son-
gears, d«nt est dicte la cène comme cane, c'est à
dire à tous commune. Tu le sçaiz bien, frère Jan.
Allons, mon amy, de par tous les diables, allons.
Mon stomach abboye de maie faim comme un
chien. Jectons luy force souppes en gueule pour
l'appaiser, à l'exemple de la Sibylle envers Gerbe-
ras. Tu ayme les souppes de prime, plus me plai-
sent les souppes de leurier, associées de quelque
pièce de laboureur salle à neuf leçons.
— Je te entends, respondit frère Jan. Geste mé-
taphore est extraicte de la Marmite claustrale. Le
laboureur c'est le beuf, qui laboure ou a labouré;
à neuf leçons, c'est à dire cuyct à perfection. Gar
les bons pères de religion, par certaine caballis-
ticque institution des anciens, non escripte, mais
baillée de main en main, soy levans, de mon temps,
pour matines, faisoient certains préambules nota-
bles avant entrer en l'eclise : fiantoient aux fian-
touoirs, pissoient aux pissouoirs, crachoient aux
crachouoirs, toussoient aux toussouoirs mélodieuse-
ment, resvoient aux resvouoirs, affin de rien im-
monde ne porter au service divin. Ges choses
faictes, dévotement se transportoient en la saincte
chapelle : ^ainsi estoit en leurs rébus nommée la cui-
sine claustrale, et dévotement sollicitoient que dés
lors feust au feu le beuf mis pour le desjeuner des
religieux frères de nostre Seigneur. Eulx mesmes
88 LIVRE III, CHAPITRE XV
souvent allumoient le feu soubs la marmite. Or est
que matines ayant neuf leçons, plus matin se le-
voient, par raison plus aussi multiplioient en appétit
et altération aux abboys du parchemin, que matines
estant ourlées d'une ou trois leçons seulement.
Plus matin se levans, par ladicte caballe, plus tost
estoit le beuf au feu ; plus y estant, plus cuict res-
toit; plus cuict restant, plus tendre estoit, moins
usoit les dents, plus delectoit le palat, moins gre-
voit l'estomach, plus nourrissoit les bons religieux.
Qui est la fin unicque et intention première des
fondateurs, en contemplation de ce qu'ilz ne man-
gent mie pour vivre; ilz vivent pour manger, et ne
ont que leur vie en ce monde. Allons, Panurge.
— A ceste heure, dist Panurge, te ay je en-
tendu, couillon velouté, couillon claustral et caba-
licque. Il me y va du propre cabal. Le sort, l'usure
et les interestz je pardonne; je me contente des
despens, puys que tant disertement nous as faict
répétition sur le chapitre singulier de la Caballe
culinaire et monasticque. Allons, Carpalim. Frère
Jan, mon baudrier, allons. Bon jour, tous mes bons
seigneurs. J'avoys assez songé pour boyre. Al-
lons. ))
Panurge n'avoit ce mot achevé, quand Episte-
mon à haulte voix s'escria, disant : « Chose bien
commune et vulguaire entre les humains est le mal-
heur d'aultruy entendre, praevoir, congnoistre et
praedire. Mais ô que chose rare est son malheur
PANTAGRUEL 89
propre praedire, congnoistre, praevoir ei entendre !
Et que prudentement le figura iEsope en ses Apo-
loges, disant chascun homme en ce monde naissant
une bezace au coul porter, on sachet de laquelle
davant pendent sont les faultes et malheurs d'aul-
truy, tousjours exposées à nostre veue et congnois-
sance, on sachet darriere pendent sont les faultes
et malheurs propres, et jam.ais ne sont veues ne
entendues^ fors de ceulx qui des cieulx ont le bé-
névole aspect ! »
CHAPITRE XVI
Comment Pantagruel conseille à Panurge de conférer
avecques une sibylle de Panzoust.
EU de temps après, Pantagruel manda
quérir Panurge, et luy dist : « L'a-
mour que je vous porte, invétéré par
succession de long temps, me sollicite
de penser à vostre bien et profîct. Entendez ma
conception : on m'a dict que à Panzoust, prés le
Croulay, est une sibylle tresinsigne, laquelle pree-
dit toutes choses futures; prenez Epistemon de
compaignie et vous transportez devers elle, et oyez
ce que vous dira. — C'est, dist Epistemon, par
adventure une Canidie^ une Sagane, une pitho-
nisse et sorcière. Ce que me le faict penser est
que celluy lieu est en ce nom diffamé qu'il abonde
go LIVRE III, CHAPITRE XVI
en sorcières plus que ne feist oncques Thessalie.
Je ne iray pas voluntiers. La chose est illicite et
défendue en la loy de Moses. — Nous, dist Pan-
tagruel, ne sommez mie Juifz, et n'est chose con-
fessée ne avérée que elle soit sorcière. Remettons
à vostre retour le grabeau et belutement de ces
matières. Que sçavons nous si c'est une unzieme
sibylle, une seconde Cassandre ? Et ores, que si-
bylle ne feust, et de sibylle ne meritast le nom,
quel interest encourrez vous avec elle conférant de
vostre perplexité ? Entendu mesmement qu'elle est
en existimation de plus sçavoir, plus entendre que
ne porte l'usance ne du pays ne du sexe ? Que
nuist sçavoir tousjours, et tousjours apprendre,
feust ce d'un sot, d'un pot, d'une guedoufle, d'une
moufle, d'une pantoufle? Vous soubvieigne que
Alexandre le Grand, ayant obtenu victoire du roy
Darie en Arbelles, presens ses satrapes, quelque
foys refusa audience à un compaignon, puys en
vain mille et mille foys s'en repentit. Il estoit en
Perse victorieux, mais tant esloigné de Macedonie,
son royaulme héréditaire, que grandement se con-
tristoit par non povoir moyen aulcun inventer d'en
sçavoir nouvelles, tant à cause de l'énorme distance
des lieux que de l'interposition des grands fleuves,
empeschement des desers et objection des mon-
taignes. En cestuy estrif et soigneux pensement,
qui n'estoit petit, car on eust peu son pays et
royaulme occuper, et \h installer roy nouveau et
PANTAGRUEL 9I
nouvelle colonie long temps davant que il en eust
advertissement pour y obvier, davant luy se pré-
senta un homme de Sidoine, marchant périt et de
bon sens, mais au reste assez pauvre et de peu d'ap-
parence, luy denonceant et affermant avoir chemin
et moyen inventé par lequel son pays pourroit de
ses victoires indianes, luy de Testât de Macedonie
et JEgy^te, estre en moins de cinq jours asçavanté.
Il estima la promesse tant abhorrente et impossible
qu'oncques l'aureille prester ne luy voulut, ne don-
ner audience.
« Que luy eust cousté ouyr et entendre ce que
l'homme avoit inventé ? Quelle nuisance, quel dom-
maige eust il encouru, pour sçavoir quel estoit le
moyen, quel estoit le chemin que l'homme luy
vouloit demonstrer ? Nature me semble non sans
cause nous avoir formé aureilles ouvertes, n'y ap-
pousant porte ne clousture aulcune, comme a faict
ésyeulx, langue et aultres issues du corps. La cause,
je cuide estre afïin que tousjours, toutes nuyctz,
continuellement, puissions ouyr, et par ouye per-
pétuellement aprendre, car c'est le sens sus tous
aultres plus apte es disciplines. Et peut estre que
celluy home estoit ange, c'est à dire messagier de
Dieu envoyé, comme feut Raphaël à Tobie. Trop
soubdain le comtemna, trop long temps après s'en
repentit.
— Vous dictez bien, respondit Epistemon ; mais
ja ne me ferez entendre que chose beaucoup ad-
9*2 LIVRE III, CHAPITRE XVI
ventaigeuse soit prendre d'une femme, et d'une
telle femme, en tel pays, conseil et advis. — Je,
dist Panurge, me trouve fort bien du conseil des
femmes, et mesmement des vieilles. A leur conseil
je foys tousjours une selle ou deux extraordinaires.
Mon amy, ce sont vrays chiens de monstre, vrays
rubricques de droict. Et bien proprement parlent
ceulx qui les appellent sages femmes. Ma coustume
et mon style est les nommer praesages femmes.
Sages sont elles, car dextrement elles congnois-
sent. Mais je les nomme praesages, car divinement
elles preveoyent et praedisent certainement toutes
choses advenir. Aulcunesfoys je les appelle non
Maunettes, mais Monettes, comme la Juno des
Romains. Car de elles tousjours nous viennent ad-
monitions salutaires et profitables. Demandez en à
Pythagoras, Socrates, Empedocles, et nostre mais-
tre Ortvinus. Ensemble je loue jusques es haulx
cieulx l'antique institution des Germains, les quelz
prisoient au poix du Sanctuaire et cordialement re-
veroient le conseil des- vieilles ; par leurs advis et
responses tant heureusement prosperoient comme
les avoient prudentement receues. Tesmoings la
vieille Aurinie et la bonne mère Vellede, on temps
de Vaspasian. Croyez que vieillesse féminine est
tousjours foisonnante en qualité soubeline, je vou-
loys dire sibylline. Allons, par l'ayde, allons, par
la vertus Dieu, allons. Adieu, frère Jan ; je te re-
commande ma braguette.
PANTAGRUEL 9$
— Bien, dist Epistemon, je vous suivray, pro-
testant que, si j'ay advertissement qu'elle use de
sort ou enchantement en ses responses, je vous
laisseray à la porte, et plus de moy acompaigné
ne serez. »
CHAPITRE XVII
Comment Panurge parle à la sibylle de Panzoust.
EUR chemin feut de troys journées.
''>/ La treizième , à la croppe de une
|-'''montaigne, soubs un grand et ample
^chastaignier, leurs feut monstrée la
maison de la vaticinatrice. Sans difficulté ilz entrè-
rent en la case chaumine, mal bastie, mal meublée,
toute enfumée.
« Baste, dist Epistemon, Heraclitus, grand Sco-
tiste et ténébreux philosophe, ne s'estonna entrant
en maison semblable, exposant à ses sectateurs et
disciples que là aussi bien residoient les dieux
comme en palais pleins de délices. Et croy que
telle estoit la case de la tant célébrée Hecale, lors
qu'elle y festoya le jeune Theseus; telle aussi celle
de Hireus ou Œnopion, en laquelle Juppiter,
Neptune et Mercure ensemble ne prindrent à des-
daing entrer, repaistre et loger, en laquelle officia-
lement pour l'escot forgèrent Orion. »
Au coing de la cheminée trouvèrent la vieille.
94 LIVRE III, CHAPITRE XVII
« Elle est, s'escria Epistemon, vraye sibylle et vray
protraict naïfvement représenté par xv) xaatvoî de
Homère. »
La vieille estoit mal en poinct, mal vestue^ mal
' nourrie, edentée, chassieuse, courbassée, roupieuse,
languoureuse, et faisoit un potaige de choux verds,
avecques une couane de lard jausne, et un vieil
savorados.
a Verd et bleu, dist Epistemon, nous avons
failly. Nous ne aurons d'elle responce aulcune,
car nous n'avons le rameau d'or. — Je y ay, res-
pondit Panurge, pourveu. Je l'ay icy dedans ma
gibbessierre en une verge d'or, acompaigné de
beaulx et joyeulx Carolus. »
Ces mots dictz, Panurge la salua profondement,
luy praesenta six langues de bœuf fumées, un grand
pot beurrier plein de coscotons, ung bourrabaquin
guarny de brevaige, une couille de bélier pleine de
carolus nouvellement forgez; enfin, avecques pro-
fonde révérence luy mist on doigt médical une
verge d'or bien belle, en laquelle estoit une cra-
paudine de Beussc magnificquement enchâssée.
Puys en briefves parolles luy exposa le motif de
sa venue, la priant courtoisement luy dire son ad-
vis et bonne fortune de son mariage entreprins.
La vieille resta quelque temps en silence, pen-
sive et richinante des dens ; puys s'assist sus le
cul d'un boisseau, print en ses mains troys vieulx
fuseaulx, les tourna et vira entre ses doigtz en di-
PANTAGRUEL ^5
verses manières, puys esprouva leurs poinctes ; le
plus poinctu retint en main, les deux aultres jecta
soubs une pille à mil. Après print ses devidoueres,
et par neuf foys les tourna; au neufvieme tour
consydera sans plus toucher le mouvement des de-
vidoueres, et attendit leur repous perfaict. Depuys
je veitz qu'elle deschaussa un de ses esclos, nous
les nommons sabotz, mist son davantau sus sa teste,
comme les presbtres mettent leur amict quand ils
voulent messe chanter; puys, avecques un antique
tissu riolé, piolé, le lia soubs la guorge. Ainsi af-
feublée, tira un grand traict du bourrabaquin, print
de la couille beliniere trois carolus, les mist en trois
coques de noix, et les posa sus le cul d'un pot à
plume ; feist trois tours de balay par la cheminée,
jecta on feu demy fagot de bruiere et ung rameau
de laurier sec. Le consydera brusler en silence, et veid
que bruslant ne faisoit grislement ne bruyt aulcun.
Adoncques s'escria espouvantablement, sonnant
entre les dens quelques motz barbares etd'estrange
termination; de mode que Panurge dist à Episte-
mon : « Par la vertus Dieu, je tremble; jecroyque
je suys charmé. Elle ne parle poinct Christian. Voyez
comment elle me semble de quatre empans plus
grande que n'estoit lorsqu'elle se capitonna de son
davantau! Que signifie ce remument de badi-
guouinces? Que prétend ceste jectigation des es-
pauUes? A quelle fin fredonne elle des babines
comme un cinge démembrant escrevisses? Les au-
96 LIVRE m, CHAPITRE XVII
reilles me cornent, il m'est advis que je oy Pro-
serpine bruyante; les diables bien toust en place
sortiront. O les laydes bestes ! Fuyons. Serpe Dieu,
je meurs de paour. Je n'ayme poinct les diables.
Hz me faschentetsontmalplaisans. Fuyons. Adieu,
ma dame, grand mercy de vos biens. Je ne me ma-
riray poinct, non. Je y renonce dés à présent
comme allors. »
Ainsi commençoit escamper de la chambre, mais
la vieille anticipa, tenente le fuseau en sa main, et
sortit en un courtil prés sa maison. Là estoit un
sycomore antique ; elle l'escrousla par trois foys, et
sus huyct feueillesqui en tumberent, sommairement
avecques le fuseau escrivit quelques briefz vers.
Puys les jecta au vent, et leur dist: « Allez les
chercher, si voulez; trouvez les, si povez; le sort
fatal de vostre mariage y est escript. »
Ces paroles dictes^ se retira en sa tesniere, et sus
le perron de la porte se recoursa robbe, cotte et
chemise, jusques auxescelles, et leurs monstroit
son cul. Panurge l'aperceut, et dist à Epistemon :
« Par le sambre goy de boys, voy la le trou de la
sibylle. » Soubdain elle barra sus soy la porte; de-
puys ne feut veue.
Hz coururent après les feueilles, et les recuille-
rent, mais non sans grand labeur, car le vent les
avoit esquartées par les buissons de la vallée. Et, les
ordonnans Tune après Taultre, trouvèrent ceste sen-
tence en mètres :
PANTAGRUEL
T'esgoussera
de renom.
Engroissera,
de toy non.
Te sugsera
le bon bout.
T'escorchera,
mais non tout.
CHAPITRE XVIII
97
Comment Pantagruel et Panurge diversement exposent
les vers de la sibylle de Panzoust.
ES feueilies recuillies, retournèrent Epi-
stemon et Panurge en la court de Pan-
tagruel, part joyeulx, part faschez.
Joyeulx pour le retour, faschez pour
le travail du chemin, lequel trouvèrent raboteux,
pierreux et mal ordonné. De leur voyage feirent
ample rapport à Pantagruel, et de Testât de la
sibylle ; en fin luy présentèrent les feueilies de sy-
comore, et monstrerent l'escripture en petitzvers.
Pantagruel, avoir leu le totaige, dist à Panurge en
souspirant: «Vous estez bien en poinct. La prophétie
de la sibylle apertement expose ce que ja nous estoii
dénoté, tant par les sorts Virgilianes que par vos pro-
pres songes : c'est que parvostre femme serez des-
Rabelais. III. i3
^8 LIVRE III, CHAPITRE XVI II
honoré; que elle vous fera coqu, se abandonnant à
aultruy, et par aultruy devenent grosse; que elle
vous desrobbera par quelque bonne partie, et qu'elle
vous battera, escorchant'et meurtrissant quelque
membre du corps.
— Vous entendez autant, respondit Panurge, en
exposition de ces récentes prophéties, comme faict
truye en espices. Ne vous desplaise si je le diz, car
je me sens ung peu fasché. Le contraire est véritable.
Prenez bien mes motz. La vieille dict: «Ma femme
« m'esgoussera de renom. » Ainsi comme la febve
n'est veue se elle ne est esgoussée, aussi ma vertus
et ma perfection jamais ne seroit mise en renom si
marié je n'estoys. Quantes foys vous ay je ouy di-
sant que le magistrat et l'office descœuvre l'homme
et mect en évidence ce qu'il avoit dedans le jabot?
C'est à dire que, lors on congnoist certainement
quel est le personaige, et combien il vault, quand il
est appelé au maniment des affaires. Paravant, sça-
voir est, estant l'homme en son privé, on ne sçait
pour certain quel il est, non plus que d'une febve
en gousse. Voylà quant au premier article. Aultre-
ment vouldriez vous maintenir que l'honneur et bon
renom d'un homme de bien pendist au cul d'une
putain?
((Le second dict: «Ma femme engroissera», en-
tendez icy la prime félicité de mariage, (( mais non de
((moy. » CorBieu, je lecroy. Ce sera d'un beau petit
enfantelet qu'elle sera grosse. Je l'ayme desja tout
PANTAGRUEL
99
plein, et ja en suys tout assoty. Ce sera mon petit
bedault. Fascherie du monde tant grande et véhé-
mente n'entrera désormais à mon esprit, que je ne
passe, seulement le voyant et le oyant jargonner en
son jargonnoys puéril. Et benoiste soit la vieille !
Je luy veulx vraybis constituer en Salmigondinois
quelque bonne rente, non courante comme bache-
liers insensez, mais assise comme beaulx docteurs
regens. Aultrement vouldriez vous que ma femme
dedans ses flans me portast, me conceust, me en-
fantast, et qu'on dist : Panurge est un second Bac-
chus, il est deux foys né. Il est René, comme feut
Hippolytus, comme feut Proteus, une foys de The-
tis, et secondement de la mère du philosophe Apol-
lonius; comme feurent les deux Palices prés le
fleuve Symethos en Sicile. Sa femme estoit grosse
de luy : en luy est renouvellée l'antique palintocie
des Megariens, et la palingenesie de Democritus?
Erreur! Ne m'en parlez jamais.
« Le tiers dict : « Ma femme me sugsera le bon
« bout.» Je m'y dispose. Vous entendez assez que
c'est le baston àun boutqui me pend entre les jambes.
Je vous jure et promectz que tousjourslemaintien-
dray succulent et bien avitaillé. Elle ne me le sug-
sera poinct en vain. Eternellement y sera le petit
picotin, ou mieulx. Vous exposez allegoricquement
ce lieu, et le interprétez à larrecin et furt. Je loue
l'exposition, l'allégorie me plaist, mais non à votre
sens. Peut estre que raff"ection syncerequemepor-
lOO LIVRE III, CHAPITRE XVIII
tez vous tire en partie adverse et refraictaire, comme
disent les clercs chose merveilleusement crainctive
estre amour, et jamais le bon amour ne estre sans
craincte. Mais, scelon mon jugement, en vous mes-
mes vous entendez que furt, en ce passaige comme
en tant d'aultres des scripteurs latins et antiques,
signifie le doulx fruict de amourettes, lequel veult
Venus estre secrètement et furtivement cuilly.
Pourquoy, par vostre foy? Pour ce que la chosette
faicte à l'emblée, entre deux huys, à travers les de-
grez, darriere la tapisserie, en tapinois, sus un fagot
desroté, plus plaist à la déesse de Cypre, etensuys
là, sans praejudice de meilleur advis, que faicte en
veue du soleil, à la cynique, ou entre les precieulx
conopées, entre les courtines dorées, à longs inter-
valles, à plein guogo, avec un esmouchail de soye
cramoisine, et un panache de plumes indicques
chassant les mousches d'autour, et la femelle s'es-
curante les dens avecques un brin de paille, qu'elle
ce pendant auroit desraché du fond de la paillasse.
Aultrement vouldriez vous dire qu'elle me desrob-
bast en sugsant, comme on avalle les huystres en
escalle, et comme les femmes de Cilicie, tesmoing
Dioscorides, cuillent la graine de Alkermes? Er-
reur. Qui desrobbe ne sugse, mais gruppe, ne
avalle, mais emballe^ ravist et joue de passe passe.
■' Le quart dict : (( Ma femme me l'escorchcra,
'< mais non tout. » O le beau mot! Vous l'inter-
prétez à batterie et meurtrissure.
PANTAGRUEL I 04
C'est bien à propous, Truelle,
Dieu te guard de mal, Masson.
<( Je VOUS supply, levez un peu vos espritzde ter-
riene pensée en contemplation haultaine des mer-
veilles de nature, et ici condemnez vous vous
mesmes pour les erreurs qu'avez commis perverse-
ment exposant les dictz propheticques de la dive
sibylle. Posé, mais non admis ne concédé, le cas
que ma femme, par l'instigation de l'ennemy d'en-
fer, voulust et entreprint me faire un maulvais tour,
me diffamer, me faire coqu jusqu'au cul, me desro-
ber et oultrager, encores ne viendra elle à fin de
son vouloir et entreprinse.
« La raison qui à ce me meut est en ce poinct
dernier fondée, et est extraicte du fond de Pan-
theologie monasticque. Frère Artus Culletant me
Ta aultres foys dict, et feut par un lundy matin,
mangeans ensemble ung boisseau de guodiveaulx,
et si pleuvoit, il m'en souvient. Dieu luy doint le
bonjour.
« Les femmes, au commencement du monde, ou
peu après, ensemblement conspirèrent escorcherles
hommes tous vifz, parce que sus elles maistriser
vouloient en tous lieux. Et feut cestuy décret pro-
mis, confermé et juré entre elles par le sainct sang
breguoy. Mais, ô vaines entreprinses des femmes!
ô grande fragilité du sexe féminin! elles commen-
cèrent escorcher l'homme, ou gluber, comme le
nomme Catulle, par la partie qui plus leurs hayte,
102 LIVRE III, CHAPITRE XVIH
c'est le membre neiveulx, caverneulx, plus de six
mille ans a, et toutesfoys jusques à présent n'en ont
escorché que la teste. Dont par fin despit les Juifz
eulx mesmes en circuncision se le couppent et re-
taillent, mieulx aymans estre dictz recutitz et re-
taillatz Marranes que escorchez par femmes, comme
les aultres nations. Ma femme, non dégénérante
de ceste commune entreprinse, m.e l'escorchera, s'il
ne l'est. Je y consens de franc vouloir, mais non
tout, je vous en asceure, mon bon Roy.
— Vous, dist Epistemon,ne respondez à ce que
le rameau de laurier, nous voyans, elle consyderant
et exclamante en voix furieuse et espouvantable ,
brusloit sans bruyt ne grislement aulcun. Vous sça-
vez que c'est triste augure et signe grandement re-
doubtable, comme attestent Properce, Tibulle,
Porphyre, philosophe argut, Eusiathius sur VIliadc
homericque, et aultres. — Vrayement^ respondit
Panurge, vous me alléguez de gentilz veaulx! Hz
feurent folz comme poètes et resveurs comme phi-
losophes, autant pleins de fine folie comme estoit
leur philosophie. »
PANTAGRUEL I05
CHAPITRE XIX.
Comment Pantagruel loue le conseil des muetz.
ANTAGRUEL, CCS motz achcvez, se teut
assez long temps, et sembloit grande-
ment pensif; puys dist à Panurge :
« L'esprit maling vous seduyt; mais
escoutez. J'ay ieu qu'on temps passé les plus véri-
tables et seurs oracles n'estoient ceulx que par es-
cript on bailloit, ou par parolle on proferoit.
Maintes foys y ont faict erreur ceulx voyre qui es-
toient estimez fins et ingénieux, tant à cause des
amphibologies, equivocques et obscuritez des motz
que de la briefvelé des sentences. Pourtant feut
Apolîo , dieu de vaticination, surnommé Ao;iaç
Ceulx que l'on exposoit par gestes et par signes
estoient les plus véritables et certains estimez. Telle
estoit l'opinion de Heraclitus. Et ainsi vaticinoit
Juppiter en Amon, ainsi prophetisoit Apollo entre
les Assyriens; pour ceste raison le paingnoient-ilz
avecques longue barbe et vestu comme personaige
vieulx et de sens rassis, non nud, jeune et sans
barbe, comme faisoient les Grecz. Usons de ceste
manière, et, par signes, sans parler, conseil prenez
de quelque mut. — J'en suys d'advis , respondit
Panurge. — Mais, dist Pantagruel, il conviendroit
que le mut feust sourd de sa naissance, et par con-
I04 LIVRE III, CHAPITRE XIX
séquent mut, car il n'est mut plus naïf que celluy
qui oncques ne ouyt.
— Comment, respondit Panurge, l'entendez?
Si vray feust que l'homme ne parlast qui n'eust
ouy parler, je vous menerois à logicalement inférer
une proposition bien abhorrente et paradoxe ; mais
laissons la. Vous doncques ne croyez ce qu'escript
Hérodote des deux enfans guardez dedans une
case par le vouloir de Psammetic, roy des ^Egyp-
tiens, et nourriz en perpétuelle silence, les quelz,
après certain temps, prononcèrent ceste paroUe :
Becus, laquelle, en langue phrygienne, signifie
pain? — Rien moins, respondit Pantagruel. C'est
abus dire que ayons languaige naturel : les languai-
ges sont par institutions arbitraires et convenences
des peuples; les voix, comme disent les dialecti-
ciens, ne signifient naturellement, mais à plaisir.
Je ne vous dis ce propous sans cause, car Bartole,
/. prima De Vcrb. oblig., raconte que de son temps
feut en Eugube un nommé messer Nello de Ga-
brielis, lequel par accident estoit sourd devenu, ce
non obstant entendoit tout homme italian, parlant
tant secrètement que ce feust, seullement à la veue
de ses gestes et mouvement des baulevres.
« J'ay d'adventaige leu en authcur docte et ele-
guant que Tyridates, roy de Arménie, on temps
de Néron, visita Rome et feut receu en solennité
honorable et pompes magnificques, afin de l'entre-
tenir en amitié sempiternelle du Sénat et peuple
PANTAGRUEL Io5
romain, et n'y eut chose mémorable en la cité qui
ne luy feust monstrée et exposée. A son départe-
ment, l'empereur luy feist dons grands et excessifz ;
oultre, luy feist option de choisir ce que plus en
Rome luy plairoit , avecques promesse jurée de
non l'esconduire, quoy qu'il demandast. Il de-
manda seullement un joueur de farces, lequel il
avoit veu on théâtre, et ne entendent ce qu'il di-
soit, entendoit ce qu'il exprimoit par signes et
gesticulations, alléguant que soubs sa domination
estoient peuples de divers languaiges, pour esquelz
respondre et parler luy convenoit user de plusieurs
truchemens ; il seul à tous suffiroit, car en matière
de signifier par gestes estoit tant excellent qu'il
sembloit parler des doigtz. Pourtant, vous fault
choisir un mut sourd de nature, affin que ses gestes
et signes vous soient naïfvement propheticques,
non faincts, fardez, ne affectez. Reste encores
sçavoir si tel advis voulez ou d'homme ou de
femme prendre.
— Je , respondit Panurge , voluntiers d'une
femme le prendroys, ne feust que je crains deux
choses: Tune, que les femmes, quelques choses
qu'elles voyent, elles se repraesentent en leurs
esperitz, elles pensent, elles imaginent que soit
l'entrée du sacre Ithyphalle. Quelques gestes, si-
gnes et maintiens que l'on face en leur veue et
praesence, elles les interprètent et réfèrent à l'acte
mouvent de belutaige. Pourtant y serions nous
»4
Io6 LIVRE III, CHAPITRE XIX
abusez, car la femme penseroit tous nos signes
estre signes vénériens. Vous souvieigne de ce que
advint en Rome deux cens Ix ans après la fonda-
tion d'icelle. Un jeune gentil homme romain, ren-
contrant on mons Ceelion une dame latine nommée
Vérone, mute et sourde de nature, luy demanda
avecques gesticulations italicques, en ignorance
d'icelle surdité, quelz sénateurs elle avoit rencontré
par la montée? Elle, non entendent ce qu'il disoit,
imagina estre ce qu'elle pourpensoit, et ce que un
jeune home naturellement demande d'une femme.
Adoncques par signes, qui en amour sont incom-
parablement plus attractifz, efficaces et vallables
que parolles, le tira à part en sa maison; signes
luy feist que le jeu luy plaisoit, en fin, sans de
bouche mot dire, feirent beau bruit de culletis.
« L'aultre, qu'elles ne feroient à nos signes res-
ponse aulcune, elles soubdain tomberoient en ar-
rière, comme reallement consententes à nos tacites
demandes. Ou, si signes aulcuns nous faisoient
responsifz à nos propositions, ilz seroient tant fol-
lastres et ridicules que nous mesmes estimerions
leurs pensemens estre venereicques. Vous sçavez
comment à Croquignoles, quand la nonnain seur
Fessue feut par le jeune briffault Dam Royddimet
engroissée, et la groisse congnue , appellée par
l'abesse en Chapitre et arguée de inceste, elle
s'excusoit, alléguante que ce n'avoit esté de son
consentement, ce avoit esté par violence et par la
PANTAGRUEL IO7
force du frère Royddimet. L'abbesse, replicante et
disante : « Meschante, c'estoit on dortouoir, pour-
quoy ne crioys-tu à la force ? Nous toutes eussions
couru à ton ayde. » Respondit qu'elle ne ausoit
crier on dortouoir, pour ce qu'on dortouoir y a
silence sempiternelle. « Mais, dist l'abbesse, mes-
chante que tu es, pourquoy ne faisois tu signes
à tes voisines de chambre? — Je, respondit la Fes-
sue, leurs faisois signes du cul tant que povois,
mais personne ne me secourut. — Mais, demanda
l'abbesse, meschante, pourquoy incontinent ne me
le veins tu dire et l'accuser reguliairement ? Ainsi
eusse je faict, si le cas me feust advenu, pour de-
monstrer mon innocence. — Pource, respondit la
Fessue, que, craignante demourer en péché et
estât de damnation, de paour que ne feusse de
mort soubdaine praevenue, je me confessay à luy
avant qu'il departist de la chambre, et il me bailla
en pénitence non le dire ne déceler à personne.
Trop énorme eust esté le péché révéler sa con-
fession, et trop détestable, davant Dieu et les
anges. Par adventure eust ce esté cause que le feu
du Ciel eust ars toute l'abbaye, et toutes feussions
tombées en abysme, avecques Datan et Abi-
ron. »
— Vous, dist Pantagruel, ja ne m'en ferez rire.
Je sçay assez que toute moinerie moins crainct les
commandemens de Dieu transgresser que leurs
statutz provinciaulx. Prenez doncques un homme.
o8
LIVRE m, CHAPITRE XIX
Nazdecabre me semble idoine : il est mut et sourd
de naissance. »
CHAPITRE XX
Comment Nazdecabre par signes respond à Panurge.
AZDECABRE feut mandé, et au lende-
main arriva. Panurge, à son arrivée,
luy donna un veau gras, un demy
pourceau, deux bussars de vin, une
charge de bled et trente francs en menue mon-
noye; puis le mena davant Pantagruel, et, en prse-
sence des gentilz homes de chambre, luy feist tel
signe :
Il baisla assez longuement, et en baislant faisoit
hors la bouche, avecques le poulce de la main dex-
tre, la figure de la lettre grecque dicte Tau, par
fréquentes réitérations; puis leva les yeulx au ciel
et les tournoyoit en la teste comme une chèvre qui
avorte, toussoit, ce faisant, et profondement sou-
spiroit. Cela faict, monstroit le default de sa bra-
guette; puys sous sa chemise print son pistolandier
à plein poing, et le faisoit mélodieusement clicquer
entre ses cuisses; se enclina, fléchissant le genoil
guausche, et resta tenent ses deux bras sus la poic-
trine lassez l'un sus l'aulire.
Nazdecabre curieusement le reguardoit, puys
leva la main guausche en l'aer, et retint clous en
PANTAGRUEL I09
poing tous les doigtz d'icelle, excepté le poulce et
le doigt indice, des quelz il accoubla mollement
les deux ongles ensemble.
(( J'entends, dist Pantagruel, ce qu'il prgetend
par cestuy signe : il dénote mariage, et d'abondant
le nombre trentenaire, scelon la profession des Py-
thagoriens. Vous serez marié. — Grand mercy^
dist Panurge, se tournant vers Nazdecabre, mon
petit architriclin, mon comité, mon algousan, mon
sbire, mon barizel. »
Puis leva en l'aër plus hault la dicte main
guausche, extendent tous les cinq doigtz d'icelle,
et les esloignant uns des aultres tant que esloigner
povoit. « Icy, dist Pantagruel, plus amplement
nous insinue, par signification du nombre quinaire,
que serez marié. Et non-seulement effiancé, es-
pousé et marié, mais en oultre que habiterez et
serez bien avant de feste. Car Pythagoras appelîoit
le nombre quinaire nombre nuptial, nopces et ma-
riage consommé, pour ceste raison qu'il est com-
posé de Trias, qui est nombre premier impar et
superflu, et de Dyas, qui est nombre premier par,
comme de masle et de femelle coublez ensemble-
ment. De faict, à Rome, jadis, au jour des nopces,
on allumoit cinq flambeaulx de cire, et n'estoit
licite d'en allumer plus, feust es nopces des plus
riches, ne moins, feust es nopces des plus indigens.
D'advantaige, on temps passé, les Payens implo-
roient cinq dieux, ou un dieu en cinq bénéfices.
IIO LIVRE III, CHAPITRE XX
SUS ceulx que l'on marioit : Juppiter nuptial; Juno,
présidente de la feste ; Venus la belle ; Pytho,
déesse de persuasion et beau parler, et Diane,
pour secours on travail d'enfantement.
— O, s'escria Panurge, le gentil Nazdecabre !
Je luy veulx donner une métairie prés Cinays et un
moulin à vent en Mirebalais. »
Ce faict, le mut esternua en insigne véhémence
et concussion de tout le corps, se destournant à
guausche. «Vertus beuf de boys, dist Pantagruel,,
qu'est ce là ? Ce n'est à vostre adventaige. Il de-
note que vostre mariage sera infauste et malheu-
reux. Cestuy esternuement, scelon la doctrine de
Terpsion, est le démon Socraticque, lequel, faict à
dextre, signifie qu'en asceurance et hardiment on
peut faire et aller ce et la part qu'on a délibéré,
les entrée, progrés et succès seront bons et heu-
reux; faict à guausche, au contraire. — Vous, dist
Panurge, tous jours prenez les matières au pis, et
tous jours obturbez, comme un aultre Davus. Je
n'en croy rien. Et ne congneuz oncques sinon en
déception ce vieulx trepelu Terpsion. — Toutes-
foys, dist Pantagruel, Ciceron en dict je ne sçay
quoy, on second livre De Divination. »
Puys se tourne vers Nazdecabre, et luy faict tel
signe : il renversa les paulpieres des yeulx contre
mont, tortoit les mandibules de dextre en senestrc,
tira la langue à demy hors la bouche. Ce faict,
posa la main guausche ouverte, exceptez le mais-
PANTAGRUEL III
tre doigt, lequel retint perpendiculairement sus la
paulme, et ainsi l'assist au lieu de sa braguette; la
dextre retint clause en poing, exceptez le poulce,
lequel droict il retourna arrière soubs l'escelle dex-
tre, et l'assist au dessus des fesses, on lieu que les
Arabes appellent al Katim. Soubdain après chan-
gea, et la main dextre tint en forme de la se-
nestre, et la posa sus le lieu de la braguette; la
guausche tint en forme de la dextre, et la posa sus
Val Katim. Cestuy changement de mains réitéra
par neuf foys. A la neuviesme remist les paulpieres
des yeulx en leur position naturelle; aussi feist les
mandibules et la langue; puys jecta son regard
biscle sus Nazdecabre, branlant les baulevres,
comme font les cinges de séjour, et comme font
les connins mangeans avoine en gerbe.
Adoncques Nazdecabre éleva en l'aër la main
dextre toute ouverte, puys mist le poulce d'icelle
jusques à la première articulation entre la tierce
joincture du maistre doigt et du doigt médical, les
resserrant assez fort au tour du poulce, le reste des
joinctures d'iceulx retirant on poing et droictz exten-
dent les doigtz indice et petit. La main ainsi com-
posée posa sus le nombril de Panurge, mouvent
continuellement le poulce susdict, et appuyant icelle
main sus les doigtz petit et indice comme sus deux
jambes. Ainsi montoit d'icelle main successivement
à travers le ventre, le stomach, la poictrine et le
coul de Panurge; puys au menton et dedans la
112 LIVRE III, CHAPITRE XX
bouche luy mist le susdict poulce branslant; puys
luy en frota le nez, et, montant oultre aux yeulx,
faignoit les luy vouloir crever avecques le poulce.
A tant Panurge se fascha, et taschoit se défaire et
retirer du mut. Mais Nazdecabre continuoit, luy
touchant avecques celuy poulce branslant, mainte-
nant les yeulx, maintenant le front et les limittesde
son bonnet.
En fin Panurge s'escria, disant : « Par Dieu,
maistre fol, vous serez battu si ne me laissez; si
plus me faschez, vous aurez de ma main un masque
sus vostre paillard visaige. — Il est, dist lors frère
Jan, sourd; il n'entend ce que tu luy diz, couillon.
Faictz luy en signe une gresle de coups de poing
sus le mourre. — Que diable, dist Panurge, veult
praetendre ce maistre Alliboron? Il m'a presque
poché les yeulx au beurre noir. Par Dieu, da ju-
randi, je vous festoiray d*un banquet de nazardes,
entrelardé de doubles chinquenaudes. » Puys le
laissa, luy faisant la petarrade.
Le mut, voyant Panurge démarcher, gaingna le
davant, l'arresta par force, et luy feist tel signe :
il baissa le braz dextre vers le genoil tant que po-
voit l'extendre, clouant tous les doigtz en poing, et
passant le poulce entre les doigtz maistre et indice;
puys avecques la main guausche frottoit le dessus
du coubte du susdict braz dextre, et peu à peu à
ce frottement levoit en l'aër la main d'icelluy jus-
qucs au coubte et au dessus; soubdain la rabaissoit
PANTAGRUEL I I 5
comme davant, puys à intervalles la relevoit, la ra-
baissoit et la monstroit à Panurge.
Panurge, de ce fasché, leva le poing pour frap-
per le mut; mais il rêvera la praesence de Panta-
gruel, et se retint. Alors dist Pantagruel : « Si les
signes vous faschent, ô quant vous fascheront les
choses signifiées! Tout vraj à tout vraj consone.
Le mut praetend et dénote que serez marié, coqu,
battu et desrobbé. — Le mariage, dist Panurge, je
concède; je nie le demourant, et vous prie me faire
ce bien de croyreque jamais homme n'eut en femme
et en chevaulx heur tel que m'est prédestiné. »
CHAPITRE XXI
Comment Panurge prent conseil d'ung vieil poète
françois nommé Kaminagrobis.
' E ne pensoys, distjPantagruel, jamais
'^^ rencontrer homme tant obstiné à ses
iyX appréhensions comme je vous voj.
b?=a Pour toutesfoys vostre doubte esclar-
cir, suys d'advis que mouvons toute pierre. Enten-
dez ma conception : les cycnes, qui sont oyseaulx
sacrez à Apollo, ne chantent jamais, sinon quand ilz
approchent de leur mort, mesmement en Meander,
fleuve de Phrygie; je le diz pource que iElianus et
Alexander Myndius escriveni en avoir ailleurs veu
plusieurs mourir, mais nul chanter en mourant, de
Rabelais, llï. i5
114 LIVRE III, CHAPITRE XXI
mode que chant de c^ycne est praesaige certain de
&a mort prochaine, et ne meurt que praealablement
n'ayt chanté. Semblablement les poètes, qui sont
en protection de Apollo, approchans de leur mort,
ordinairement deviennent prophètes, et chantent
par Apolline inspiration, vaticinans des choses fu-
tures.
« J'ay d'adventaige souvent ouy dire que tout
homme vieulx, décrépit et prés de sa fin, facilement
divine des cas advenir. Et me souvient que Aris-
tophanes, en quelque comédie, appelle les gens
vieulx Sibylles,
'O BÈ vÉptov ciêuXXta.
« Car, comme nous, estans sus le moule, et de
loing voyans les mariniers et voyagiers dedans leurs
naufz en haulte mer, seulement en silence les con-
sidérons, et bien prions pour leur prospère abour-
dement; mais, lors qu'ilz approchent du havre, et
par parolles et par gestes les saluons et congratu-
lons de ce que à port de saulveté sont avecques
nous arrivez, aussi les anges, les heroes, les bons
daemons, scelon la doctrine des Platonicques, voyans
les humains prochains de mort, comme de port tiés-
ceur et salutaire, port de repous et de tranquilité,
hors les troubles et sollicitudes terriencs, les saluent,
les consolent, parlent avecques eulx, et ja commen-
cent leurs communicquer art de divination.
u Je ne vous allegueray exemples antiques do
PANTAGRUEL IlD
Isaac, de Jacob, de Patroclus envers Hector, de
Hector envers Achilles, de Polynestor envers Aga-
memnon et Hecuba, du Rhodien célébré par Posi-
donius, de Calanus Indian envers Alexandre le
grand, de Orodes envers Mezentius, et aultres;
seulement vous veulx ramentevoir le docte et preux
chevallier Guillaume du Bellay, seigneur jadis de
Langey, lequel on mont de Tarare mourut le lo de
janvier, l'an de son aage le climatere, et de nostre
supputation l'an i543, en compte romanicque. Les
troys et quatre heures avant son decés il employa
en paroUes viguoureuses, en sens tranquil et serain
nous prédisant ce que depuis part avons veu, part
attendons advenir, combien que pour lors nous
semblassent ces prophéties aulcunement abhor-
rentes et estranges, par ne nous apparoistre cause
ne signe aulcun présent prognostic de ce qu'il prae-
disoit.
«Nous avons icy, prés laVillaumere, un homme
et vieulx et poëte : c'est Raminagrobis, lequel en
secondes nopces espousa la grande Guorre, dont
nasquit la belle Bazoche. J'ay entendu qu'il est en
l'article et dernier moment de son decés. Trans-
portez vous vers luy, et oyez son chant. Pourra
estre que de luy aurez ce que praetendez, et par
luy Apollo vostre doubte dissouldra. — Je le veulx,
respondit Panurge. Allonsy, Epistemon, de ce pas,
de paour que mort ne le praevieigne. Veulx tu venir,
frère Jan ? — Je le veulx, respondit frère Jan, bien
Il6 LIVRE m, CHAPITRE XXI
voluntiers, pour l'amour de toy, couillette, car je
t'ayme du bon du foye. »
Sus l'heure feut par eulx chemin prins, et, arri-
vans au logis poëticque, trouvèrent le bon vieillard
en agonie, avecques maintien joyeulx, face ouverte
et reguard lumineux.
Panurge, le saluant, luy mist on doigt médical
de la main guausche, en pur don, un anneau d'or
en la palle duquel estoit un sapphyr oriental beau
et ample; puys, à l'imitation de Socrates, luy offrit
un beau coq blanc, lequel, incontinent posé sus son
lict, la teste élevée en grande alaigresse, secoua
son pennaige, puys chanta en bien hault ton. Cela
faict, Panurge requist courtoisement dire et exposer
son jugement sus le doubte du mariage praetendu.
Le bon vieillard commenda luy estre apporté ancre,
plume et papier. Le tout feut promptement livré.
Adoncques escripvit ce que s'ensuyt :
Prenez-la, ne la prenez pas.
Si vous la prenez, c'est bien faict.
Si ne la prenez, en effect,
Ce sera œuvré par compas.
Gualloppez, mais allez le pas.
Reculiez, entrez y de faict.
Prenez-la, ne [la prenez pas].
Jeusnez, prenez double repas,
Defaictez ce qu'estoit r^ faict.
Refaictez ce qu'estoit defaict.
Soubhaytez-luy vie et irespas.
Prenez-la, ne fia prenez pas].
PANTAGRUEL
Puys leurs bailla en main et leurs dist : « Allez,
enfans, en la guarde du grand Dieu des cieulx, et
plus de cestuy affaire ne de aultre que soit ne me
inquiétez. J'ay ce jourd'huy, qui est le dernier de
may et de moy, hors ma maison, à grande fatigue
et difficulté, chassé un tas de villaines, immondes
et pestilentes bestes, noires, guarres, fauves, blan-
ches, cendrées, grivolées, les quelles laisser ne me
vouloient à mon aise mourir, et par fraudulentes
poinctures, gruppemens harpyiacques, importunitez
freslonnicques, toutes forgées en l'officine de ne
sçay quelle insatiabilité, me evocquoient du doulx
pensement on quel je acquiesçois, contemplant et
voyant, et ja touchant et guoustant le bien et félicité
que le bon Dieu apraeparé à ses fidèles et esleuzen
l'aultre vie et estât de immortalité. Déclinez de leur
voye, ne soyez à elles semblables; plus ne me mo-
lestez, et me laissez en silence, je vous supply. »
Il8 LIVRE III, CHAPITRE XXII
CHAPITRE XXII
Comment Panurge patrocine à l'ordre des fratrcs
Mendians.
SSANT de la chambre de Raminagrobis,
Panurge, comme tout effrayé, dist :
^,t^ « Je croy, par la vertus Dieu, qu'il est
hereticque, ou je me donne audiablc.
Il mesdict des bons pères mendians Cordeliers et
Jacobins, qui sont les deux hémisphères de la chris-
tianté, et par la gyrognomonique circumbilivagina-
tion desquelz, comme par deux fîlopendoles cœli-
vages, toutl'antonomatic matagrabolisme del'Eclise
romaine , soy sentente emburelucoquée d'aulcun
baragouinage d'erreur ou de hasresie, homocentri-
calement se trémousse. Mais que, tous les diables,
luy ont faict les paouvres diables de Capussins et
Minimes? Ne sont ilz assez meshaignez, les paou-
vres diables? Ne sont ilz assez enfumez et perfumez
de misère et calamité, les paouvres haires extraictz
de ichthyophagie? Est il, frère Jan, par ta foy, en
estât de salvation? Il s'en va, par Dieu, damné
comme une serpe à trente mille bottées de diables.
Mesdire de ces bons et vaillans piliers d'eclise !
Appeliez vous cela fureur poëticque? Je ne m'en
peuz contenter; il pèche villainement, il blasphème
contre la religion. J'en suys fort scandalisé. — Je,
PANTAGRUEL II9
dist frère Jan, ne m'en soucie d'un bouton. Hz
mesdisent de tout le monde; si tout le monde mes-
dist d'eulx, je n'y prétends aulcun interest. Voyons
ce qu'il a escript. »
Panurge leut attentement l'escripture du bon
vieillart, puys leur dist : « Il resve, le paouvre
beuveur : je l'excuse toutesfoys ; je croy qu'il est
près de sa fin. Allons faire son epitaphe. Par la
response qu'il nous donne, je suys aussi saige que
oncques puys ne fourneasmes nous. Escoute ça,
Epistemon, mon bedon. Ne l'estimez tu pas bien
résolu en ses responses? Il est, par Dieu, sophiste
argut, ergoté et naïf. Je guaige qu'il est Marrabais.
Ventre beuf ! comment il se donne guarde de mes-
prendre en ses paroUes! Il ne respond que par dis-
jonctives. Il ne peult ne dire vray, car à la vérité
d'icelles suffîst l'une partie estre vraye. O quel
patelineux! Sainct Jago de Bressuire, en est il
encores de l'eraige? — Ainsi, respondit Epistemon,
protestoit Tiresias, le grand vaticinateur, au
commencement de toutes ses divinations, disant
apertement à ceulx qui de luy prenoient advis :
« Ce que je diray adviendra, ou ne adviendrapoinct. ;i
Et est le style des prudens prognosticqueurs. —
Toutesfoys, dist Panurge, Juno luy creva les deux
yeulx. — Voyre, respondit Epistemon, par despit
de ce que il avoit mieulx sententié que elle sus le
doubte propousé par Juppiter. — Mais, dist Panurge,
quel diable possède ce maistre Raminagrobis, qui
I20 LIVRE III, CHAPITRE XXII
ainsi sans propous, sans raison, sans occasion, mes-
dictdes paouvres beatz pères Jacobins, Mineurs et
Minimes? Je en sujs grandement scandalisé, je
vous affie, et ne me en peuz taire. Il a grefvement
péché. Son ame s'en va à trente mille panerées de
diables.
— Je ne vous entends poinct, respondit Epis-
temon, et me scandalisez vous mesmes grandement,
interprétant perversement des fratres Mendians ce
que le bon poëte disoit des bestes noires , faulves
et aultres. Il ne Tentend, scelon mon jugement, en
telle sophisticqueet phantasticque allégorie. Il parle
absolument et proprement des pusses, punaises,
cirons, mousches , culices et aultres telles bestes,
lesquelles sont unes noires, aultres fauves, aultres
cendrées, aultres tannées et basanées, toutes im-
portunes, tyrannicques et molestes, non es malades
seulement, mais aussi à gens sains et viguoureux.
Par adventure a il des ascarides, lumbriques et ver-
mes dedans le corps; par adventure patist il, comme
est en y£gypte et lieux confins de la mer Erithrée
chose vulgaire et usitée, es bras ou jambes quelque
poincture de draconneaulx grivolez, que les Arabes
appellent Meden. Vous faictez mal, aultrement ex-
pousant ses paroUes, et faictez tord au bon poëte
par detraction, et es dictz fratres par imputation de
tel meshain. Il fault tousjours de son presme inter-
préter toutes choses à bien.
— Aprenez moy, dist Panurgc, à congnoistre
PANTAGRUEL 121
mousches en laict! Il est, par la vertus Dieu, haere-
ticque. Je diz haereticque formé, haereticque clavelé,
haereticque bruslable, comme une belle petite horo-
loge. Son ame s'en va à trente mille charrettées de
diables. Sçavez vous où? Cor Bieu, mon amy,
droict dessoubs la scelle persée de Proserpine, de-
dans le propre bassin infernal on quel elle rend
l'opération fécale de ses clysteres, à cousté guaus-
che de la grande chauldiere, à trois toises prés les
gryphes de Lucifer, tirant vers la chambre noire de
Demiourgon. Ho le villain ! »
CHAPITRE XXIII
Comment Panurge faict discours pour retourner
à Kaminagrobis.
ETOURNONS, dist Panurge, continuant,
l'admonester de son salut. Allons on
nom, allons en la vertus de Dieu. Ce
sera œuvre charitable à nous faicte.
Au moins, s^il perd le corps et la vie, qu'il ne
damne son ame. Nous le induirons à contrition
de son péché, à requérir pardon es dictz tant beatz
pères, absens comme praesens, et en prendrons
acte, affîn qu'après son trespas ilz ne le declairent
haereticque et damné, comme les farfadetz feirent
de la praevosté d'Orléans, et leurs satisfaire de
l'oultrage, ordonnant par tous les convens de ceste
i6
122 LIVRE III, CHAPITRE XXIII
province aux bons pères religieux force bribes,
force messes, force obitz et anniversaires, et que,
au jour de son trespas, seinpiternellement ilz ayent
tous quintuple pitance, et que le grand bourraba-
quin, plein du meilleur, trote de ranco par leurs
tables, tant des burgotz, lajz et brifîaulx, que des
presbtres et des clercs, tant des novices que des
profés. Ainsi pourra il de Dieu pardon avoir.
« Ho, ho! je me abuse, et me esguare en mes
discours! Le diable me emport si je y voys! Vertus
Dieu! la chambre est desja pleine de diables. Je les
oy desja soy pelaudans et entrebattans en diable à
qui humera l'ame raminagrobidicque , et qui pre-
mier de broc en bouc la portera à messer Lucifer.
Houstez vous de là. Je ne y voys pas. Le diable
me emport si je y voys ! Qui sçait s'ilz useroient
de qui pro quo, et, en lieu de Raminagrobis, grup-
peroient le paouvre Panurge quitte? Hz y ont
maintes foys failly, estant safrané et endebté.
Houstez vous de là. Je ne y voys pas. Je meurs,
par Dieu , de maie raige de paour. Soy trouver
entre diables affamez! entre diables de faction!
entre diables negotians ! Houstez vous de là. Je
guage que, par mesme doubte, à son enterrement
n'assistera Jacobin, Cordelier, Carme, Capussin ,
Theatin ne Minime. Et culx saiges! Aussi bien ne
leurs a il rien ordonné par testament. Le diable me
emport si je y voys !
<( S'il est damne, à son dam. Pourquoy mesdisoit
PANTAGRUEL
il des bons pères de religion? Pour quoyies avoit il
chassé hors sa chambre sus l'heure que il avoit plus
de besoing de leur ayde, de leurs dévotes prières,
de leurs sainctes admonitions? Pour quoy par tes-
tament ne leurs ordonnoit il au moins quelques
bribes, quelque bouffaige, quelque carreleure de
ventre, aux paouvres gens, qui n'ont que leur vie
en ce monde? Y aille qui vouldra aller. Le diable
me emport si je y voys ! Si je y allois, le diable me
emporteroit. Cancre ! Houstez vous de là !
« Frère Jan, veulx tu que présentement trente
mille charretées de diables t'emportent? Pays trois
choses: Baille moy ta bourse, car la croix est con-
traire au charme, et te adviendroit ce que nagueres
advint à Jan Dodin, recepveur du Couldray au gué
de Vede, quand les gens d'armes rompirent les
planches. Le pinart, rencontrant sus la rive frère
Adam Couscoil, Cordelier observantin de Myre-
beau, luy promist un habit, en condition qu'il
le passast oultre l'eau à la cabre morte sus ses
espaules, car c'estoit un puissant ribault. Le pacte
feut accordé. Frère Couscoil se trousse jusques aux
couilles, et charge à son dours , comme un beau
petit sainct Christophle, le dict suppliant Dodin.
Ainsi le portoit guayement, comme yEneas porta
son père Anchises hors la conflagration de Troie,
chantant un bel Ave, maris Stella. Quand ilz feurent
au plus parfond du gué, au dessus de la roue du
moulin, il luy demanda s'il avoit poinct d'argent
124 LIVRE III, CHAPITRE XXIII
SUS luy. Dodin respondit qu'il en avoit pleine gib-
bessiere, et qu'il ne se deffiast de la promesse faicte
d'un habit neuf. « Comment ! disL frère Couscoil,
« tu sçaiz bien que, par chapitre exprés de notre
« reigle,il nous est riguoureusement défendu porter
« argent sus nous. Malheureux es tu bien certes,
<( qui me as faict pécher en ce poinct! Pourquoy
« ne laissas tu ta bourse au meusnier? Sans faulte
« tu en seras présentement puny, et si jamais je te
« peuz tenir en nostre chapitre à Myrebeau , tu
« auras du Miserere jusques à vitulos. » Soubdain se
descharge, et vous jecte Dodin en pleine eau la
teste au fond.
« A cestu) exemple, frère Jan, mon amy doulx,
affin que les diables t'emportent mieulx à ton aise,
baille moy ta bourse, ne porte croix aulcune sus
toy. Le danger y est évident. Ayant argent, por-
tant croix, ilz te jecteront sus quelques rochiers,
comme les aigles jectent les tortues pour les casser,
tesmoing la teste pelée du poëte yEschylus , et
tu te ferois mal, mon amy, j'en seroys bien fort
marry, ou te laisseront tomber dedans quelque
mer, je ne sçay où, bien loing, comme tomba
Icarus, et seroit par après nommée la mer Entom-
mericque.
« Secondement, sois quitte, car les diables ayment
fort les quittes, je le sçay bien, quant est de moy:
les paillards ne cessent me mugueter et me faire la
court, ce que ne souloient, estant safrané et endebté.
PANTAGRUEL 125
L'ame d un nome endebté est toute hectique et dis-
crasiée : ce n'est viande à diables.
« Tiercement, avecques ton froc et ton domino
de grobis, retourne à Raminagrobis. En cas que
trente mille bateléesde diables ne t'emportent ainsi
qualifié, je payeraj pinthe et fagot, et, si pour ta
sceureté tu veulx compaignie avoir, ne me cherchez
pas, non. Je t'en advise. Houstez vous de là, je n'y
vojs pas. Le diable m'emport si je y voys !
— Je ne m'en souciroys, respondit frère Jan,pas
tant par adventure que l'on diroyt, ayant mon brag-
mard on poing. — Tu le prens bien, dist Panurge,
et en parles comme docteur subtil en lard. On
temps que j'estudiois à l'eschole de Tolete, le ré-
vérend Père en diable Picatris, recteur de la faculté
diabolologicque, nous disoit que naturellement les
diables craignent la splendeur des espées, aussi
bien que la lueur du soleil. De faict. Hercules,
descendent en enfer à tous les diables, ne leurs
feist tant de paour, ayant seulement sa peau de lion
et sa massue, comme par après feist yEneas, estant
couvert d'un harnoys resplendissant, et guarny de
son bragmard bien à poinct fourby et desrouillé à
l'ayde et conseil de la Sibylle Cumane.
(( C'estoit, peut estre, la cause pourquoy le sei-
gneur Jan Jacques Trivolse , mourant à Chartres,
demanda son espée, et mourut l'espée nue on
poing, s'escrimant tout autour du lict, comme vail-
lant et chevalereux, et par ceste escrime mettant en
120 LIVRE 111, CHAPITRE XXIII
fuyte tous les diables qui le guestoieni au passaige
de la mort.
« Quand on demande aux Massorethz etCabal-
listes pourquoy les diables n'entrent jamais en pa-
radis terrestre, ilz ne donnent aultre raison, sinon
que à la porte est un chérubin tenent en main une
espée flambante. Car, parlant en vraye diabolologie
de Tolete, je confesse que les diables vrayement
ne peuvent par coups d'espée mourir; mais je main-
tiens, scelon la dicte diabolologie, qu'ilz peuvent
patir solution de continuité, comme si tu couppois
de travers avecques ton bragmard une flambe de
feu ardent, ou une grosse et obscure fumée; et
crient comme diables à ce sentement de solution,
laquelle leurs est doloreuse en diable.
«Quand tu voydsle hourtdedeux armées, pense
tu, couillasse, que le bruyt si grand et horrible que
l'on y oyt provienne des voix humaines, du hurtis
des harnois, du clicquetis des bardes, du chaplisdes
masses, du froissis des picques, du bris des lances,
du cris des navrez, du son des tambours et trom-
pettes, du bannissement des chevaulx, du tonnoire
des escouppettes et canons? Il en est véritablement
quelque chose, force est que le confesse. Mais le
grand effroy et vacarme principal provient du deuil
et ulement des diables, qui, là guestans pelle melle
les paouvres âmes des blessez, reçoivent coups
d'espée à l'improviste, et pâtissent solution en la
continuité de leurs substances aérées et invisibles,
PANTAGRUEL
127
comme si à quelque lacquais, crocquant les lardons
de la broche, maistre Hordoux donnoit un coup de
baston sus les doigts. Puys crient et ulent comme
diables, comme Mars, quand il feut blessé par
Diomedes davant Troie, Homère dict avoir crié en
plus hault ton et plus horrificque effroy que ne fe-
roient dix mille hommes ensemble.
« Mais quoy! nous parlons de harnoys fourbiz
et d'espées resplendentes. Ainsi n'est il de ton
bragmard, car, par discontinuation de officier, et
par faulte de opérer, il est, par ma foy, plus rouillé
que la claveure d'un vieil charnier. Pourtant faiz
de deux choses l'une: ou le desrouille bienàpoinct
et guaillard, ou, le maintenant ainsi rouillé, guarde
que ne retourne en la maison de Raminagrobis.
De ma part, je n'y voys pas. Le diable m'emport
si je y voys! »
CHAPITRE XXIV
Comment Panurge prend conseil de Epistemon.
AissANS la Villaumere, et retournans
vers Pantagruel, par le chemin Panurge
s'adressa à Epistemon , et luy dist :
« Compère, mon antique amy, vous
voyez la perplexité de mon esprit. Vous sçavez
tant de bons remèdes. Me sçauriez vous secourir? »
Epistemon print le propous, et remonstroit à Pa-
128 LIVRE III, CHAPITRE XXJV
nurge comment la voix publicque estoit toute con-
sommée en mocqueries de son desguisement, et luy
conseilloit prendre quelque peu de ellébore, affin
de purger cestuy humeur en luy peccant, et re-
prendre ses accoustremens ordinaires. « Je suys,
dist Panurge, Epistemon, mon compère, en phan-
tasie de me marier, mais je crains estre coqu et in-
fortuné en mon mariage. Pourtant ay je faict veu
à sainct François le jeune, lequel est au Plessis-lez-
Tours reclamé de toutes femmes en grande dévotion ,
car il est premier fondateur des Bons Hommes, les-
quelz elles appetent naturellement, porter lunettes
au bonnet, ne porter braguette en chausses, que
sus ceste mienne perplexité d'esprit je n'aye eu re-
solution aperte. — C'est, dist Epistemon, vraye-
ment ung beau et joyeulx veu. Je me esbahys de
vous que ne retournez à vous mesmes, et que ne
revocquez vos sens de ce farouche esguarement en
leur tranquillité naturelle. Vous entendent parler,
me faictez souvenir du veu des Argives à la large
perrucque, les quelz, ayans perdu la bataille contre
les Lacedaemoniens en la controverse de Tyrée,
feirent veu cheveux en teste ne porter jusques à ce
qu'ilz eussent recouvert leur honneur et leur terre;
du veu aussi du plaisant Hespaignol Michel Doris,
qui porta le trançon de grève en sa jambe. Et ne
sçay lequel des deux seroit plus digne et méritant
porter chapperon verd et jausne à aurcilles de lièvre,
ou icelluy glorieux champion, ou Enguerrant, qui
PANTAGRUEL
I 29
en faict le tant long, curieux et fascheux compte,
oubliant l'art et manière d'escrire histoires, baillée
par le philosophe Samosatoys ; car, lisant icelluy long
narré, l'on pense que doibve estre commencement
et occasion de quelque forte guerre ou insigne mu-
tation des royaulmes; mais, en fin de compte, on se
mocque et du benoist champion, et de l'Angloys
qui le deffia, et de Enguerrant leur tabellion, plus
baveux qu'un pot à moustarde. La mocquerie est
telle que de la montaigne d'Horace, laquelle cryoit
et lamentoyt énormément, comme femme en tra-
vail d'enfant. A son cris et lamentation accourut
tout le voisinaige, en expectation de veoir quelque
admirable et monstrueux enfantement, mais en fin
ne nasquit d'elle qu'une petite souriz.
— Non pourtant, dist Panurge, je m'en soubrys.
Se mocquequi clocque. Ainsi feray comme porte mon
veu. Or, long temps a que avons ensemble, vous et
moy, foy et amitié jurée par Jupiter Philios. Dictez
m'en vostre advis: me doibz je marier, ou non?
— Certes, respondit Epistemon, le cas esthazar-
deux; je me sens par trop insuffisant à la resolution.
Et si jamais feut vray en l'art de medicine le dict du
vieil Hippocrates de Lango : Jugement difficile^ il
est en cestuy endroict verissime. J'ay bien en ima-
gination quelques discours moyennans les quelz
nous aurions détermination sus vostre perplexité ;
mais ilz ne me satisfont poinct apertement. Aulcuns
Platonicques disent que qui peut veoir son Genius
Rabelais. III . 17
l3o LIVRE III, CHAPITRE XXIV
peut entendre ses destinées. Je ne comprens pas
bien leur discipline, et ne suys d'advis que y adhaerez :
il y a de l'abus beaucoup. J'en ay veu l'expérience
en un gentil homme studieux et curieux on pays
d'Estangourre. C'est le poinct premier.
« Un aultre y a. Si encores regnoient les oracles
de Juppiter en Amon , de Apollo en Lebadie,
Delphes, Delos, Cyrrhe, Patare, Tegyres, Preneste,
Lycie, Colophon; en la fontaine Castallie, prés
Antioche en Syrie, entre les Branchides; deBacchus
enDodone; de Mercure en Phares, prés Patras; de
Apis euiEgypte; de Serapis enCanobe; de Faunus
en Maenalie et en Albunée, prés de Tivoli; de
Tyresias en Orchomene, de Mopsus en Cilicie,
d'Orpheus en Lesbos, de Trophonius en Leucadie,
je seroys d'advis, paradventure non seroys, y aller
et entendre quel scroit leur jugement sus vostreen-
treprinse. Mais vous sçavez que tous sont devenuz
plus mutz que poissons, depuys la venue de celluy
roy servatcur, onquel ont prins fin tous oracles et
toutes prophéties, comme, advcnente la lumière
du clair soleil, disparent tous lutins, lamies, lémures,
guaroux, farfadetz et tenebrions Ores toutesfoys
qu'encores feussent en règne, ne conseilleroys je
facillemcnt adjousterfoy à leurs rcsponses. Trop de
gens y ont este trompez. D'adventaige, je me re-
corde queAgrippine mist sus à Lollie la belle avoir
interrogué l'oracle de Apollo Clariiis pour entendre
si mariée elle seroit avecqucs Claudius l'Empereur
PANTAGRUEL l3l
Pour ceste cause feut premièrement bannie, et de-
puis à mort ignominieusement mise.
— Mais, dist Panurge, faisons mieulx : les Isles
Ogygies ne sont loing du Port Sam-Ma!o; faisons
y un voyage après qu'aurons parlé à nostre Roy. En
l'une des quatre, laquelle plus a son aspect vers
soleil couchant, on dict, je l'ay leu en bons et an-
tiques autheurs, habiter plusieurs divinateurs, vati-
cinateurs et prophètes, y estre Saturne lié de belles
chaînes d'or dedans une roche d'or, alimenté de
ambrosie et nectar divin, les quelz journellement
luy sont des cieulx transmis en abundance par ne
sçay quelle espèce d'oizeaulx, peut estre que sont
les mesmes corbeaulx qui alimentoient es desers
sainct Paul premier hermite, et apertement prédire
à un chascun qui veult entendre son sort, sa des-
tinée , et ce que luy doibt advenir, car les Parces
rien ne fîUent, Juppiter rien ne propense et rien
ne délibère, que le bon père en dormant ne con-
gnoisse. Ce nous seroit grande abbreviation de la-
beur si nous le oyons un peu sus ceste mienne per-
plexité. — C'est, respondit Epistemon, abus trop
évident et fable trop fabuleuse. Je ne iray pas. »
LIVRE III, CHAPITRE XXV
CHAPITRE XXV
Comment Pamirge se conseille à Her Trippa.
^-^ OYEZ cy, dist Epistemon, continuant,
toutesfoys que ferez avant que retour-
nons vers nostie Roy^ si me croyez.
Icy,prés l'isle Bouchart, demeure Her
Trippa. Vous sçavez comment, par art de astrologie,
geomantie, chiromantie, metopomantie et aultresde
pareille farine, il praedict toutes choses futures;
conférons de vostre affaire avecques luy. — De
cela, respondit Panurge.je ne sçay rien. Bien sçay
je que, luy un jour parlant au grand Roy des cho-
ses célestes et transcendentes, les lacquais de court,
par les degrez, entre les huys, sabouloient sa
femme à plaisir, laquelle estoit assez bellastre. Et
il, voyant toutes choses cetherées et terrestres sans
bezicles, discourant de tous cas passez et praesens,
praedisant tout l'advenir, seulement ne voioit sa
femme brimballante, et oncques n'en sceut les nou-
velles. Bien, allons vers luy, puys qu'ainsi le voulez.
On ne sçauroit trop apprendre. »
Au lendemain arrivèrent au logis de Her Trippa.
Panurge luy donna une robbe de peau de loup,
une grande espée bastarde bien dorée à fourreau
de velours, et cinquante beaulx angelots, puis fa-
miliairement avecques luy conféra de son affaire.
De première venue, Her Trippa, le regardant
PANTAGRUEL l33
en face, dist : « Tu as la metaposcopie et physio-
nomie d'un coqu. Je ày coqu scandale et diffamé. »
Puys, considérant la main dextre de Panurge en
tous endroictz, dist: « Ce faulx traict que je voy
icy au dessus du mons Jovis oncques ne feut qu'en
la main d'un coqu. » Puys avecques un style feist
hastivement certain nombre de poinctz divers, les
accoubla par geomantie, et dist: « Plus vraye n'est
la vérité qu'il est certain que seras coqu bien tost
après que seras marié. »
Cela faict, demanda à Panurge l'horoscope de
sa nativité. Panurge luy ayant baillé, il fabrica
promptement sa maison du ciel en toutes ses
parties, et, consyderant l'assiete et les aspectz
en leurs triplicitez, jecta un grand souspir, et dist :
« J'avois ja praedict apertement que tu serois coqu;
à cela tu ne povoys faillir. Icy j'en ay d'abondant
asceurance nouvelle, et te afferme que tu seras coqu.
D'adventaige , seras de ta femme battu, et d*elle
seras desrobbé, car je trouve la septiesme maison
en aspectz tous malings, et en batterie de tous
signes portans cornes, comme Aries, Taurus, Ca-
pricorne et aultres. En la carte, je trouve décadence
de Jovisj ensemble aspect tetragone de Saturne,
associé de Mercure. Tu seras bien poyvré, homme
de bien.
— Je seray, respondit Panurge, tes fortes fieb-
vres quartaines, vieulx fol, sot mal plaisant que tu
es. Quand tous coqus s'assembleront, tu porteras
134 LIVRE III, CHAPITRE XXV
la baniere. Mais dont me vient ce cyron icy entre
ces deux doigtz? )^ Cela disoit tirant droict vers
Her Trippa les deux premiers doigtz ouvers en
forme de deux cornes, et fermant on poing tous
les aultres; puys dist à Epistemon : « Voyez cy
le vray Ollus de Martial, lequel tout son estude
addonnoit à observer et entendre les maulx et
misères d'aultruy, ce pendent sa femme tenoit le
brelant. Il , de son cousté , paouvre plus que ne
feut Irus, au demourant glorieux, oultrecuydé, in-
tolérable, plus que dixsept diables, en un mot,
TTTcoxaXa^wv, comme bien proprement telle peaul-
traille de belistrandiers nommoient les anciens.
Allons, laissons icy ce fol enraigé, mat de cathene,
ravasser tout son saoul avecques ses diables privez.
Je croirois tantost que les diables voulussent servir
un tel marault. Il ne sçait le premier traict de phi-
losophie, qui est : Congnois toy, et, se glorifiant
veoir un festu en l'œil d'aultruy, ne void une grosse
souche laquelle luy poche les deux yeulx. C'est un
tel Polypragmon que descript Plutarche. C'est une
aultre Lamie, laquelle en maisons estranges, en
public, entre le commun peuple, voyant plus pe-
netramment qu'un oince, en sa maison propre estoit
plus aveugle qu'une taulpe: chés soy rien ne voioyt,
car, retournant du dehors en son privé , oustoit de
sa teste ses yeulx exemptiles comme lunettes, et les
cachoit dedans un sabot attaché darriere la porte de
son logis. »
PANTAGRUEL l35
A ces motz print Her Trippa un rameau de ta-
marix. « Il prend bien, dist Epistemon : Nicander
la nomme divinatrice. — Voulez vous, dist Her
Trippa, en sçavoir plus amplement la vérité par
pyromantie, par aëromantie, célébrée par Aristo-
phanes en ses Nuées, par hydromantie, par lecano-
mantie, tant jadis célébrée entre les Assyriens et
exprovée par Hermolaus Barbarus? Dedans un
bassin plein d'eau je te monstrerayta femme future
brimballant avecques deux rustres. — Quand, dist
Panurge, tu mettras ton nez en mon cul, soys recors
de deschausser tes lunettes. — Par catoptromantie,
dist Her Trippa , continuant, moyennant laquelle
Didius Julianus, empereur de Rome, praevoyoit
tout ce que luy doibvoit advenir : il ne te fauldra
poinct de lunettes. Tu la voyras en un mirouoir
brisgoutant aussi apertement que si je te la mons-
trois en la fontaine du temple de Minerve prés
Patras. Par coscinomantie, jadis tant religieusement
observée entre les cerimonies des Romains : ayons
un crible et des forcettes, tu voyras diables. Par
alphitomantie, designée par Theocrite en sa Phar-
maccutrie, et par aleuromantie, meslant du froment
avecques de la farine. Par astragalomantie : j'ay
céans les projectz tous pretz. Par tyromantie: j'ay
un fromaige de Brehemont à propous. Par gyro-
mantie : je te feray icy tournoyer force cercles, les
quels tous tomberont à gausche, je t'en asceure. Par
sternomantie : par ma foy tu as le pictz assez mal
l36 LIVRE III, CHAPITRE XXV
proportionné. Par libanomantie : il ne fault qu'un
peu d'encent. Par gastromantie, de laquelle en
Ferrare longuement usa la dame JacobaRhodogine
engastrimythe. Par cephaleonomantie, de laquelle
user souloient les Alemans, routissans la teste d'un
asne sus des charbons ardens. Par ceiomantie : là,
par la cire fondue en eaue, tu voiras la figure de ta
femme et de ses taboureurs. Par capnomantie : sus
des charbons ardens nous mettrons de la semence
de pavot et de sisame. O chose gualante ! Par
axinomantie : fais icy provision seulement d'une
coingnée et d'une pierre gagate, la quelle nous
metterons sus la braze. O comment Homère en use
bravement envers les amoureux de Pénélope ? Par
onymantie : ayons de l'huylle et de la cire. Par
tephramantie: tu voiras la cendre en l'aër figurante
ta femme en bel estât. Par botanomantie : j'ay icy
des fueilles de saulge à propos. Par sycomantie, ô
art divine ! en feueilles de flguier. Par ichthyomantie,
tant jadis célébrée et practiquée par Tiresias et
Polydamas, aussi certainement que jadis estoit faict
en la fosse Dina on bois sacré à Apollo, en la terre
des Lyciens. Par chœromantie : ayons force pour-
ceaulxj'tu en auras la vescie. Par cleromantie,
comme l'on trouve la febve on guasteau la vigile
de l'Epiphane. Par anthromantie, de laquelle usa
Heliogabalus, empereur de Rome : elle est quelque
peu fascheuse, mais tu l'endureras assez, puis que
tu es destiné coqu. Par stichomantie sibylline ; par
PANTAGRUEL
3?
onomatomantie. Comment as tu nom? — Masche-
merde, respondit Panurge. — Ou bien par alec-
tryomantie : je feray icj un cerne gualantement,
lequel je partiray, toy voyant et considérant, en
vingt et quatre portions equales. Sus chascune je
figureray une lettre de l'alphabet : sus chascune
lettre je poseray un grain de froment, puys lasche-
ray un beau coq vierge à travers. Vous voirez, je
vous affie , qu'il mangera les grains posez sus les
lettres
C. O. Q. U. S. E. R, A.
aussi fatidicquement comme soubs l'empereur Va-
lens, estant en perplexité de sçavoir le nom de son
successeur, le coc vaticinateur et alectryomantic
mangea sus les lettres 0.E.O.A.
« Voulez vous en sçavoir par l'art de aruspicine,
par extispicine, par augure prins du vol des oyzeauJx,
du chant des oscines, du bal solistime des canes. —
Par estronspicine, respondit Panurge. — Ou bien
par necromantie? Je vous feray soubdain resusciter
quelqu'un peu cy devant mort, comme feist Apollo-
nius de Tyane envers Achilles, comme feist la Phi-
tonisse en prsesence de Saul, lequel nous en dira
le totage, ne plus ne moins que à l'invocation de
Erictho un deffunct praedist à Pompée tout le pro-
grés et issue de la bataille Pharsalicque; ou, si avez
paour des mors, comme ont naturellement tous
coquz, je useray seulement de sciomantie.
18
l38 LI\RE III, CHAPITRE XXV
— Va, respondit Panurge, fol enraigé, au diable,
et te faiz lanterner à quelque Albanoys, si auras un
chapeau poinctu. Diable, que ne me conseillez tu
aussi bien tenir une esmeraulde , ou la pierre de
hyène, soubs la langue? ou me munir de langues
depuputzet de cœurs de ranes verdesPou manger
du cœur et du foye de quelque dracon , pour, à la
voix et au chant des cycnes et oizeaulx, entendre
mes destinées, comme faisoient jadis les Arabes on
pays de Mésopotamie? A trente diables soit le coqu,
cornu, marrane, sorcier au diable, enchanteur de
l'Antichrist!
(' Retournons vers nostre Roy. Je suys asceuré
que de nous content ne sera, s'il entend une foys
que soyons icy venuz en la tesniere de ce diable
engiponné. Je me repens d'y estre venu, et donne-
rois voluntiers cent nobles et quatorze roturiers, en
condition que celluy qui jadis souffloit on fond de
mes chausses, praesentement de son crachatz luy
enluminast les moustaches. Vray Dieu! comment il
m'a perfumé de fascherie et diablerie, de charme
et de sorcellerie ! Le diable le puisse emporter !
Dictez Amen, et allons boyre. Je ne feray bonne
chère de deux, non de quatre jours. »
PANTAGRUEL
39.
CHAPITRE XXVI
Comment Panurge prent conseil de frère Jan
des Entommcures.
ANURGE estoit fasché des propous de
Her Trippa, et, avoir passé la bour-
gade de Huymes, s'adressa à frère
Jan, et luy dist becguetant et soy
grattant l'aureille guausche: « Tien moy un peu
joyeulx, mon bedon. Je me sens tout matagrabolisé
en mon esprit des propous de ce fol endiablé.
Escoute,
Couillon mignon,
Couillon moignon,
c. pâté,
c. plombé,
c. feutré,
c. madré,
c. de stuc.
Arabesque,
de renom,
naté,
laicté,
calfaté,
relevé,
c. de Grotesque,
c. asseré.
troussé à la levresque,c. antiquaire,
asceuré, c. guarancé,
calandre, c. requamé,
diapré, c. estamé,
c. martelé, c. entrelardé,
c. juré, c. bourgeois,
c. grené, c. d'esmorche,
".I^O LIVRE III, CHAPITRE XXVI
c. endesvé, c. goildronné,
c. palletoqué, c. aposté,
c. lyripipié, c. désiré,
c. vernissé, c. d'ebene,
c. debresil, c. de bouys, -
c. organizé, c. Latin,
c. de passe, c. à croc,
c. d'estoc, c. effréné,
c. forcené, c. affecte,
c. entassé, c. compassé,
c. farcy, c. bouffy,
c. polly, c. jolly,
c. poudrebif, c. brandif,
c. positif, c. gérondif,
c. génitif, c. actu,
c. gigantal, c- vital,
c. oval, c. magistral,
c. claustral, c. monachal,
c. viril, c. subtil,
de respect, c. de relés,
c. de séjour, c. d'audace,
c. massif, c. lascii,
c. manuel, c. guoulu,
c. absolu, c. résolu,
c. membru, c. cabus,
c. gémeau, c. courtoys,
c. Turquoys, c. fécond,
c. brislant, c. sifflant,
c. estrillant. c. gent.
PANTAGRUEL
c.
urgent,
c.
banier,
c.
duisant,
c.
brusquet,
c.
prompt,
c.
prinsaultier,
c.
fortuné,
c.
clabault,
c.
coyrault,
c.
usual,
c.
de haulte lisse.
c.
exquis,
c.
requis.
c.
fallot.
c.
cullot,
c.
picardent,
c.
de raphe,
c.
Guelphe,
c.
ursin.
c.
de triage.
c.
deparaige,
c.
de mesnage,
c.
patronymicque,
c.
pouppin,
c.
Guespin,
c.
d'Alidada,
c.
d'Algamala,
c.
d'Algebra,
c.
robuste.
c.
venuste.
c.
d'appétit,
c.
insuperable,
c.
secourable,
c.
agréable.
c.
redoubtable.
c.
espovantable,
c.
affable.
c.
profitable.
c.
mémorable.
c.
notable.
c.
palpable,
c.
musculeux,
c.
bardable.
c.
subsidiaire.
c.
tragicque.
c.
satyricque.
c.
Transpontin,
c.
repercussif.
c.
digestif,
c.
convulsif,
c.
incarnatif.
c
restauratif.
c.
sigillatif.
c.
masculinant.
c.
ronssinant,
c.
baudouinant,
c.
refaict,
c.
fulminant,
141
42 LIVRE III, CHAPITRE XXVI
c.
tonnant,
c.
estincelant.
c.
martelant,
c.
arietant.
c.
strident,
c.
aromatisant,
c.
timpant,
c.
diaspermatisant
c.
pimpant,
t.
ronflant,
c.
paillard,
c.
pillard,
c.
guaillard,
c.
hochant.
c.
brochant.
c.
talochant.
c.
avorté,
c.
eschalloté,
c.
syndicqué.
c.
farfouillant.
c.
belutant.
c.
culbutant,
« Couillon hacquebutant,couillon cuUetant, frère
Jan mon amy, je te porte révérence bien grande,
et te reservoys à bonne bouche; je te prie, diz
raoy ton advis. Me dois je marier ou non? »
Frère Jan luy respondit en alaigresse d'esprit,
disant: « Marye toy de par le diable, marie toy, et
carrillonne à doubles carrillons de couillons. Je diz
et entends le plus toust que faire pourras. Dés huy
au soir faiz en crier les bancs et le challit. Vertus
Dieu ! à quand te veulx tu reserver ? Sçaiz tu pas
bien que la fin du monde approche? Nous en
sommes huy plus prés de deux trabutz et demie
toise que n'estions avant hier. L'Antichrist est desja
né, ce m'a l'on dict. Vray est que il ne faict en-
cores que esgratigner sa nourrisse et ses gouver-
nantes, et ne monstre encores les thesaurs, car il
est encores petit. Crescitc. Nos qui vivimus, multipli-
PANTAGRUEL 1^3
camini, il est escript. C'est matière de bréviaire.
Tant que le sac de bled ne vaille trois patacz, et le
bussart de vin que six blancs. Vouldrois tu bien
qu'on te trouvast les couilles pleines au jugement?
Dum venerit judicare ?
— Tu as, dit Panurge, Tesprit moult limpide et
serain, frère Jan, couillon métropolitain, et parles
pertinemment. C'est ce dont Leander deAbyde en
Asie, nageant par la mer Hellesponte pour visiter
s'amie Hero de Seste en Europe, prioit Neptune
et tous les dieux marins :
Si en allant je suys de vous choyé,
Peu au retour me chault d'estre noyé.
« Il ne vouloit poinct mourir les couilles pleines.
Et suys d'advis que dorénavant, en tout mon Sal-
migondinojs, quand on vouldra par justice exécuter
quelque malfaicteur, un jour ou deux davant, on le
face brisgoutter en onocrotale, si bien que en tous
ses vases spermaticques ne reste de quoy protraire
ung. Y gregoys. Chose si précieuse ne doibt estre
follement perdue. Par adventure engendrera il un
home : ainsi mourra il sans regret, laissant home
pour home. »
144 I-IVRE III, CHAPITRE XXVII
CHAPITRE XXVII
Comment frcrc Jan joyeusement conseille Panurge.
AR sainct Rigomé, dist frère Jan, Pa-
nurge, mon amy doulx, je ne te con-
seille chose que je ne feisse, sij'estoys
en ton lieu. Seulement ayez esguard
et consyderation de tous jours bien lier et continuer
tes coups. Si tu y fays intermission, tu es perdu,
paouvret, et t'adviendra ce que advient es nour-
risses. Si elles désistent alaicter enfans, elles per-
dent leur laict. Si continuellement ne exercez ta
mentule, elle perdra son laict, et ne te servira que
de pissotière; les couilles pareillement ne te servi-
ront que de gibbessieres. Je t'en advise^ mon amy.
J'en ay veu l'expérience en plusieurs qui ne l'ont
peu quand ilz vouloient, car ne Pavoient faict quand
le povoient. Aussi par non usaige sont perduz tous
privilèges, ce disent les clercs. Pourtant, fillol,
maintien tout ce bas et menu populaire troglodyte
en estât de labouraige sempiternel. Donne ordre
qu*ilz ne vivent en gentilz homes, de leurs rantes,
sans rien faire.
— Ne dea, respondit Panurge, frère Jan, mon
couillon guausche, je te croiray. Tu vas rondement
en besogne. Sans exception ne ambages tu m'as
apertement dissolu toute craincte qui me povoit
intimider. Ainsi te soit donné des cieulx tousjours
PANTAGRUEL 146
bas et roydde opérer. Or, doncques, àtaparolle, je
me mariray, il n'y aura poînct de faulte ; et si auray
tousjours belles chambrières, quand tu me viendras
veoir, et seras protecteur de leur sororité. Voylà
quand à la première partie du sermon.
— Escoute, dist frère Jan, l'oracle des cloches de
Varenes : que disent elles ?
— Je les entends, respondit Panurge. Leur son
est, par ma soif, plus fatidicque que des chauldrons
de Juppiter en Dodone. Escoute:
Marie toy, marie toy;
Marie, marie.
Si tu te marie, marie,
Tresbien t'en trouveras, veras, veraî,
Marie, marie.
« Je teasseureque je me mariray; tous les elemens
me y invitent. Ce mot te soit comme une muraille
de bronze.
« Quant au second poinct, tu me semblés aulcu-
nement doubter, voyre deffier, de ma paternité,
comme ayant peu favorable le roydde dieu des
jardins. Je te supply me faire ce bien de croire que je
l'ay à commandement, docile, bénévole, attentif,
obéissant en tout et par tout. Il ne luy fault que
lascher les longes, je diz l'aiguillette, lui monstrer
de prés la proye, et dire : a Haie, compaignon ! «
Et, quand ma femme future seroit aussi gloutte du
plaisir vénérien que feut oncques Messalina, ou la
marquise de Oinsestre en Angleterre, je te prie
Rabelais. III. m
Idb LIVRE III, CHAPITRE XXVII
croire que je l'ay encores plus copieux au conten-
tement.
« Je ne ignore que Salomon dict, et en parloil
comme clerc et sçavant. Depuys luy, Aristoteles
a declairé l'estre des femmes estredesoy insatiable,
mais je veulx qu'on saiche que, de mesme qualibre,
j'ay le ferrement infatiguable. Ne me allègue poinct
ici en paragon les fabuleux ribaulx Hercules, Pro-
culus, Csesar et Mahumet, qui se vente en sonAl-
choran avoir en ses genitoires la force de soixante
guallefretiers. Il a menty, le paillard.
a Ne me alléguez poinct l'Indian tant célébré
par Theophraste, Pline et Athenœus, lequel,
avecques l'ayde de certaine herbe, le faisoit en un
jour soixante et dix fois et plus. Je n'en croy rien,
le nombre est supposé : je te prie ne le croyre. Je
te prie croire, et ne croyras chose que nesoitvraye,
mon naturel, le sacre Ityphalle, Messer Cotai d'Al-
bingues , estre le prime dcl monde. Escoute çà ,
couillette. Veidz tu oncques le froc du moine de
Castres? Quand on le posoit en quelque maison,
feust à descouvert, feust à cachettes, soubdain par
sa vertus horrificque tous les manens et habitansdu
lieu entroient en ruyt, bestes et gens, homes et
femmes, jusques aux ratz et aux chatz. Je te jure
qu'en ma braguette j'ay aultres foys congneu cer-
taine énergie encore plus anomale. Je ne te par-
leray de maison ne de buron , de sermon ne de
marché, mais, à la passion qu'on jouoit à sainct
PANTAGRUEL
47
Maixent, entrant un jour dedans le parquet, je
veidz par la vertus et occulte propriété d'icelle,
soubdainement tous, tant joueurs que spectateurs,
entrer en tentation si terrificque qu'il ne y eut
ange, home, diable, ne diablesse, qui ne voulust
biscoter. Le portecole abandonna sa copie, celluy
qui jouoit sainct Michel descendit par la volerie,
les diables sortirent d'enfer et y emportoient toutes
ces paovres femmelettes, mesme Lucifer se des-
chayna. Somme, voyant le desarroy, je debarquay
du lieu, à l'exemple de Caton le Censorin, lequel,
voyant par sa prsesence les festes Floralies en des-
ordre, désista estre spectateur. »
CHAPITRE XXVIII
Comment frcrc Jan reconforte Paniirge sus le doiibtc
du coqiiage.
E t'entends , dist frère Jan ; mais le
temps matte toutes choses. Il n'est le
marbre ne le porphyre qui n'ayt sa
vieillesse et décadence. Si tu ne en es
là pour ceste heure , peu d'années après subsé-
quentes je te oiray confessant que les couilles
pendent à plusieurs par faulte de gibbessieres.
Desja voy je ton poil grison-ner en teste. Ta barbe,
par les distinctions du gris, du blanc, du tanné et du
noir, me semble une mappemonde. Reguarde icy :
140 LIVRE III, CHAPITRE XXVIII
voy là Asie; icy sont Tigris ei Euphrates; voy là
Afrique ; icy est la montaigne de la Lune ; voydz
tu les paluz du Nil? Deçà est Europe; voydz tu
Theleme? Ce touppet icy tout blanc, sont les
Mons Hyperborées. Par ma soif, mon amy, quand
les neiges sont es montaignes, je diz la teste et le
menton , il n'y a pas grand chaleur par les valées
de la braguette.
— Tes maies mules, respondit Panurge. Tu
n'entends pas les Topiques. Quand la neige est sus
les montaignes, la fouldre, l'esclair, les lanciz, le
mau lubec, le rouge grenat, le tonnoire, la tem-
peste, tous les diables sont par les vallées. En veulx
tu veoir l'expérience ? Va on pays de Souisse, et
considère le lac de Wunderberlich, à quatre lieues
de Berne, tirant vers Sion. Tu me reproches mon
poil grisonnant, et ne consydere poinct comment il
est de la nature des pourreaux, es quelz nous
voyons la teste blanche, et la queue verde, droite
et vigoureuse.
« Vrayestqueen moy je recongnois quelque signe
indicatif de vieillesse, je diz verde vieillesse, ne le
diz à personne. Il demourera secret entre nous
deux. C'est que je trouve le vin meilleur et plus à
mon goust savoureux que ne soulois, plus que ne
souloisjecrainslarencontredu mauvais vin. Noteque
cela argue je ne sçay quoy du ponent, et signifie
que le midy est passé. Mais quoy? Gentil compai-
gnon tousjours, autant ou plus que jamais ; je ne
PANTAGRUEL
149
crains pas cela, de par le diable; ce n'est là où me
deult. Je crains que, par quelque longue absence
de nostre roy Pantagruel, au quel force est que
je face compaignie, voire allast il à tous les diables,
ma femme me face coqu. Voy là le mot peremptoire.
Car tous ceulx a qui j'en ay parlé me en menassent,
et afferment qu'il me est ainsi prasdestiné des
cieulx,
— Il n'est, respondit frère Jan, coqu qui veult. Si
tu es coqu, crgo ta femme sera belle ; ergo tu seras
bien traicté d'elle; ergo tu auras des amis beaucoup ;
ergo tu seras saulvé. Ce sont Topicques monachales.
Tu ne en vauldras que mieulx, pécheur; tu ne feuz
jamais si aise; tu n'y trouveras rien moins; ton bien
acroislra d'advantaige. S'il est ainsi prsedestiné, y
vouldrois tu contrevenir? diz , Couillon flatry, c.
moisy.
c. rouy, c. chaumeny,
c. poitry d'eaue froyde, c. pendillant,
c. transy,
c. avallé,
c. fené,
c. esrené,
c. de faillance,
c. hallebrené,
c. prosterné,
c. engroué,
c. ecremé,
appellant,
guavasche,
esgrené,
incongru,
forbeu,
lanterné,
embrené ,
c. amadoué,
c. exprimé,
5(
LIVRE II!, CHAPITRE XXVIII
c. supprime,
c. rétif,
c. moulu,
c. dissolu,
c. morfondu,
c. dyscrasié,
c. disgratié,
c. flacque,
c. esgoutté,
c. acravante,
c. escharbotté,
c. mitre,
c. baratté,
c. bimbelotté,
c. entouillé,
c. vuidé,
c. chagrin,
c. démanché,
c. véreux,
c. vesneux,
c. malandré,
c. thlasié,
c. spadonicque,
c historié,
c. farineux,
c. hergneux,
c. gangreneux,
c. eroustclevé,
c. dépenaillé,
c. chetif,
c. putatif,
c. mervoulu,
c. courbatu,
c. malautru,
c. biscarié,
c. liegé,
c. diaphane,
c. desgousté.
c. chippoté,
c. hallebotté,
c. chapitré,
c. chicquané,
c. eschaubouille
c. barbouillé,
c. riddé,
c. hâve,
c. morné,
c. pesneux,
c. forbeu,
c. meshaigné,
c. thlibié,
c. sphacelé,
c. deshinguandé,
c. farcineux,
c. varicqueux,
c. véreux,
c, esclopé,
c. franfreluché.
PANTAGRUEL
c.
, matté,
C. frelatté,
, guoguelu,
c. farfelu.
trepelu ,
c. mitonné,
c.
trépané,
c. boucané.
c.
basané,
c. effilé,
c.
éviré,
c. vietdazé,
c.
feuilleté.
c. mariné.
c.
estiomené,
c. extirpé.
c.
etrippé,
c. constippé.
c.
nieblé.
c. gresié,
c.
syncopé,
c. soufleté,
c.
ripoppé,
c, buffeté.
c.
dechicqueté,
c. corneté.
c.
ventouse,
c. talemousé,
c.
effructé,
c. balafré.
c.
gersé.
c. eruyté,
c.
pantois,
c. putois.
c.
fusté,
c. poulsé.
c.
de godalle,
c . frilleux ,
c.
fistuleux,
c. scrupuleux.
c.
langoureux,
c. fellé,
c.
malefîcié,
c. rance,
c.
hectique,
c. diminutif,
c.
usé,
c. tintalorisé.
c.
quinault,
c. marpault.
c.
matagrabolisé.
c. rouillé.
c.
macéré,
c. indague.
c.
paralyticque,
c. antidaté,
c.
dégradé.
c. manchot,
i5i
i5:
LIVRE lil, CHAPITRE XXVI II
c.
perclus,
c.
confus,
c.
de ratepenade,
c.
maussade.
c.
de petarrade.
c.
acablé,
c.
halle,
c.
assablé.
c.
dessiré.
c.
désolé,
c.
hebeté,
c.
décadent.
c.
cornant,
c.
solœcisant,
c.
appellant,
c.
mince,
c.
barré,
c.
ulcéré.
c.
assassiné,
c.
bobeliné.
c.
devalizé.
c.
engourdely
c.
anonchaly,
c.
aneanty,
c.
de matafain,
c.
de zéro,
c.
badelorié,
c.
frippé,
c.
deschalandé,
c.
febricitant.
« Couillonnas au diable, Panurge mon amy ,
puys qu'ainsi t'est praedestiné, vouldrois tu faire
retrogader les planètes , démancher toutes les
sphaeres célestes, propouser erreur aux Intelligences
motrices, espoincter les fuzeaulx, articuler les ver-
toilz, calumnier les bobines, reprocher les detri-
choueres, condempner les frondrillons, defîller les
pelotons des Parces? Tes fîebvres quartaines,
couillu ! tu ferois pis que les Géants. Vien çà, couil-
laud. Aimerois tu mieulx estre jaloux sans cause que
coqu sans congnoissance ?
— Je ne vouldrois, respondit Panurge, estre ne
l'un ne l'aultre. Mais, si j'en suys une fois adverty.
PANTAGRUEL iSi
je y donneray bon ordre, ou bastons fauldront on
monde. Ma foy, frère Jan, mon meilleur serapoinct
ne me marier. Escoute que me disent les cloches à
ceste heure que sommes plus prés :
Marie poinct, marie poinct,
Poinct, poinct, poinct, poinct.
Si tu te marie, marie poinct, marie poinct,
Poinct, poinct, poinct, poinct,
Tu t'en repentiras, tiras, tiras;
Coqu seras.
« Digne vertus de Dieu ! je commence entrer en
fascherie. Vous aultres, cerveaulz enfrocquez, n'y
sçavez vous remède aulcun ? Nature a elle tant
destitué les humains que l'homme marié ne puisse
passer ce monde sans tomber es goulphres et dan-
giers de coqùage?
— Je te veulx, dist frère Jan, enseigner un
expédient moyenant lequel jamais ta femme ne te
fera coqu sans ton sceu et ton consentement. —
Je t'en prie, dist Panurge , couillon velouté; or
diz, mon amy. — Prends, dist frère Jan, l'anneau
de Hans Carvel, grand lapidaire du roy de Melinde.
Hans Carvel estoit home docte, expert, studieux,
home de bien, de bons sens, de bon jugement,
débonnaire, charitable, aulmonsnier, philosophe;
joyeulx au reste, bon compaignon , et raillart , si
oncques en feut; ventru quelque peu, branslants de
teste, et auculnement malaisé de sa personne. Sus
ses vieux jours, il espousa la fille du baillif Con-
l54 LIVRE III, CHAPITRE XXVII î
cordât, jeune, belle, frisque, gualante, advenente,
gratieuse par trop envers ses voisins et serviteurs.
Dont advint, en succession de quelques hebdomades,
qu'il en devint jalous comme ung tigre, et entra en
soubson qu'elle se faisoit tabourer les fesses d'ail-
leurs; pour à la quelle chose obvier lui faisoit tout
plein de beaulx comptes touchant les désolations
advenues par adultère, luy lisoit souvent la Légende
des preudcs femmes, h ^vescho'ii de pudicité, luy feist
un livre des louanges de fidélité conjugale, détestant
fort et ferme la meschanceté des ribauldes mariées,
et luy donna un beau carcan tout couvert de
sapphyrs orientaulx. Ce non obstant, il la voioyt
tant délibérée et de bonne chère avecques ses voi-
sins que de plus en plus croissoit sa jalousie. Une
nuyct, entre les aultres, estant avecques elle couché
en telles passions, songea qu'il parloit au diable
et qu'il luy comptoit ses doléances. Le diable le re-
confoitoit, et luy mist un anneau on maistre doigt,
disant : « Je te donne cestuy anneau : tandis que
l'auras on doigt, ta femme ne sera d'aultruy char-
nellement congneue sans ton sceu et consentement.
— Grand mercy, dist Hans Caivel, Monsieur le
diable. Je renye Mahon si jamais on me Poste du
doigt. » Le diable disparut, Hans Carvel tout joyeulx
s'esveigla, et trouva qu'il avoit le doigt on comment
a nom de sa femme. Je oubliois à compter comment
sa femme, le sentent, reculait le cul en arrière,
comme disant: <f Ouy, nenny, ce n'est pas ce qu'il
PANTAGRUEL l55
y fault mettre », et lors sembloit à Hans Carvel
qu'on luy voulust desrobber son anneau. N'est'ce
remède infaillible? A cestuy exemple, faiz, si me
croys, que continuellement tu ayes l'anneau de ta
femme au doigt. »
Ici feut fin et du propous et du chemin.
CHAPITRE XXIX.
Comment Pantagruel faici assemblée d'un théologien^
d'un medicln, d'un légiste et d'un philosophe^ pour
la perplexité de Panurge.
RRTVEZ au palais, comptèrent à Pan-
tagruel le discours de leur voyage et
lui monstrerent le dicté de Ramina-
grobis. Pantagruel, l'avoir leu et re-
leu, dist :
« Encores n'ayjeveu response que plus me plaise.
Il veult dire sommairement qu'en l'entreprinse de
mariage chascun doibt estre arbitre de ses propres
pensées, et de soy mesmes conseil prendre. Telle a
tousjours esté mon opinion, et autant vous en diz
la première foys que m'en parlastes. Mais vous en
mocquiez tacitement, il m'en soubvient, et congnois
que philautie et amour de soy vous déçoit. Faisons
aultrement. Voicy quoy : tout ce que sommes
et qu'avons consiste en trois choses : en l'ame, on
corps, es biens. A la conservation de chascun des
l56 LIVRE III, CHAPITRE XXIX
troys respectivement sont aujourd'huy destinées
troys manières de gens : les théologiens à l'ame,
les medicins au corps, les jurisconsultes aux biens.
Je suys d'advis que dimanche nous ayons icy à
dipner un théologien, un medicin et un juriscon-
sulte. Avecques eulx ensemble nous conférerons de
vostre perplexité.
— Par sainct Picault , respondit Panurge, nous
ne ferons rien qui vaille, je le voy desja bien. Et
voyez comment le monde est vistempenardé; nous
baillons en garde nos âmes aux théologiens, lesquelz
pour la plupart sont heereticques; nos corps es
medicins, qui tous abhorrent les medicamens, jamais
ne prenent medicine; et nos biens es advocatz,
qui n'ont jamais procès ensemble.
— Vous parlez en courtisan, dist Pantagruel.
Mais le premier poinct je nie, voyant l'occupation
principale, voyre unicque et totale des bons théo-
logiens estre emploictée par faictz, par dictz, par
escriptz, à extirper les erreurs et hrcrcsies, tant s'en
faultqu'ilz en soient entachez, et planter profunde-
ment es cueurs humains la vraye et vive foy catho-
licque.
« Le second je loue , voyant les bons medicins
donner tel ordre à la partie prophylactique et con-
servatrice de santé en leur endroict qu'ilz n'ont
besoing de la therapeutice et curative par medi-
camens.
« Le tiers je concède, voyant les bons. advocatz
PANTAGRUEL iSy
tant distraictz en leurs patrocinations et responses
du droict d'aultruy qu'ilz n'ont temps ne loisir
d'entendre à leur propre.
« Pourtant, dimanche prochain, ayons pour théo-
logien nostre père Hippothadée, pour medicin
notre maistre Rondibilis, pour légiste nostre amy
Brid'oye. Encores suys je d'advis que nous entrons
en la tétrade pythagoricque, et pour soubrequart
ayons nostre féal le philosophe Trouillogan ,
attendu mesmement que le philosophe perfaict, et
tel qu'est Trouillogan, respond assertivement de
tous doubtes proposez. Carpalim, donnez ordre
que les ayons tous quatre dimanche prochain à
dipner,
— Je croy, dist Epistemon , qu'en toute la
patrie vous ne eussiez mieulx choisy. Je ne diz
seulement touchant les perfections d'un chascun en
son estât, les quelles sont hors tout dez de jugement,
mais d'abondant en ce que Rondibilis marié est,
ne l'avoit esté, Hippothadée oncques ne le feut et
ne l'est, Brid'oye l'a esté et ne l'est, Trouillogan
l'est et l'a esté. Je releveray Carpalim d'une peine :
je iray inviter Brid'oye, si bon vous semble, lequel
est de mon antique congnoissance, et au quel j'ay à
parler pour le bien et advencement d'un sien hon-
neste et docte filz, lequel estudie à Tholose soubs
l'auditoire du tresdocte et vertueux Boissonné.
— Faictes, dist Pantagruel, comme bon vous sem-
blera, et advisez si je peuz rien pour l'advencement
58
LIVRE III, CHAPITRE XXIX
cîu filz et dignité du seigneur Boissonne, lequel je
ayme et reveie comme l'un des plus suffisans qui
soit huy en son estât; je me y employray de bien
bon cœur. »
CHAPITRE XXX
Comment Hippothadée ^ théologien, donne conseil à
Pamir ge sus i'entreprinse de mariage.
â,E dipner, au dimanche subséquent,
V) ne feut sitost prest comme les invitez
comparurent, excepté Brid'oye , lieu-
B=^>^ tenant de Fonsbeton. Sus l'apport
de la seconde table, Panurge en parfonde révé-
rence dist :
« Messieurs, il n'est question que d'un mot. Me
doibs-je marier ou non ? Si par vous n'est mon
doubte dissolu, je le tiens pour insoluble comme
sont Insolubilia de Alliaco. Car vous estes tous
esleuz, choisiz et triez, chascun respectivement en
son estât, comme beaulx pois sus le volet. »
Le Père Hippothadée, à la semonce de Panta-
gruel et révérence de tous les assistans , respondit
en modestie incroyable :
« Mon amy, vous nous demandez conseil, mais
premier fault que vous mesmes vous conseillez.
Sentez vous importunement en vostre corps les ai-
guillons de la chair? — Bien fort, respondit Panurge,
PANTAGRUEL I 59
ne VOUS desplaise, nostre Père. — Nonfaictil, clist
Hippothadée, mon amy. Mais, en cestuj estrif.
avez vous de Dieu le don et grâce spéciale de
continence? — Ma foy non, respondit Panurgc.
— Mariez vous donc, mon amy, dist Hippothadée,
car trop meilleur est soy marier que ardre on feu
de concupiscence. — C'est parlé cela, s'escria Pa-
nurge, gualantement, sans circumbilivaginer au tour
du pot. Grand mercy, monsieur nostre Père. Je
me mariray sans poinct de faulte , et bien tost; je
vous convie à mes nopces. Corpe de galline, nous
ferons chère lie. Vous aurez de ma livrée, et si
mangerons de l'oye , cor beuf, que ma femme ne
roustira poinct. Encores vous priray je mener la
première danse des pucelles, s'il vous plaist me faire
tant de bien et d'honneur, pour la pareille. Reste un
petit scrupule à rompre. Petit, diz je, moins que
rien. Seray je point coqu ? — Nenny dea, mon amy,
respondit Hippothadée, si Dieu plaist. — O ! la
vertus de Dieu, s''escria Panurge, nous soyt en ayde !
Où me renvoyez vous, bonnes gens? Aux condi-
tionales, les quelles en dialectique reçoivent toutes
contradictions et impossibiUtez, Si mon mulet
Transalpin voloit, mon mulet Transalpin auroit
aesles. Si Dieu plaist, je ne serai point coqu; je
seray coqu, si Dieu plaist. Dea, si feust condition
à laquelle je peusse obvier, je ne me desespererois
du tout. Mais vous me remettez au conseil privé
de Dieu, en la chambre de ses menuz plaisirs. Où
Ibo LIVRE III, CHAPITRE XXX
prenez vous le chemin pour y aller, vous aultres
François? Monsieur nostre Père, je croy que vostre
mieulx sera ne venir pas à mes nopces, le bruyt et
la triballe des gens de nopces vous romperoient
tout le testament. Vous aymez repous, silence et
solitude, vous n'y viendrez pas, ce croy je. Et puis
vous dansez assez mal, et seriez honteux menant
le premier bal. Je vous envoiray du rillé en vostre
chambre, de la livrée nuptiale aussy. Vous boirez
à nous, s'il vous plaist.
— Mon amy, dist Hippothadée, prenez bien mes
parolles, je vous en prie. Quand je vous diz : S'il
plaist à Dieu, vous fays je tort? Est ce mal parlé ? Est
ce condition blasphème ou scandaleuse? N'est ce
honorer le Seigneur créateur, protecteur, servateur?
N'est ce le recongnoistre unicque'dateur de tout
bien? N'est ce nous declairer tous dépendre de
sa bénignité? Rien sans luy n'estre, rien ne valoir,
rien ne povoir, si sa saincte grâce n'est sus nous
infuse? N'est ce mettre exception canonicque à
toutes nos entreprinses, et tout ce que proposons
remettre à ce que sera disposé par sa saincte volunté,
tant es cieulx comme en la terre? N'est ce vérita-
blement sanctifier son benoist nom? Mon amy,
vous ne serez poinct coqu, si Dieu plaist. Pour
sçavoir sur ce quel est son plaisir, ne fault entrer
en desespoir, comme de chose absconse et pour la-
quelle entendre fauldroit consulter son conseil privé,
et voyager en la chambre de ses tressainctz plaisirs.
PANTAGRUEL l6l
Le bon Dieu nous a faict ce bien , qu'ilz nous
les a révélez, annoncez, declairez et apertement
<lescriptz par les sacres Bibles. Là vous trouverez
que jamais ne serez coqu, c'est à dire que jamais
vostre femme ne sera ribaulde, si la prenez issue de
gens de bien, instruicte en vertus et honnesteté,
non ayant banté ne fréquenté compaignie que de
bonnes meurs, aymant et craignant Dieu, aymant
complaire à Dieu par foy et observation de ses
sainctz commandemens , craignant l'offenser et
perdre sa grâce par default de foy et transgression
de sa divine loy, en laquelle est rigoureusement
défendu adultère, et commendé adhaerer unicque-
ment à son mary, le chérir, le servir, totalement
l'aymer après Dieu. Pour renfort de ceste disci-
pline, vous, de vostre cousté, l'entretiendrez en
amitié conjugale, continuerez en preudhomie, luy
monstrerez bon exemple, vivrez pudicquement,
chastement, vertueusement, en vostre mesnaige,
comme voulez qu'elle, de son cousté, vive, car,
comme le mirouoir est dict bon et perfaict, non
celluy qui plus est orné de dorures et pierreries,
mais celluy qui véritablement représente les formes
objectes, aussi celle femme n'est la plus à estimer
laquelle seroit riche, belle, élégante, extraicte de
noble race, mais celle qui plus s'efforce avecques
Dieu soy former en bonne grâce et conformer aux
meurs de son mary.
« Voyez comment la lune ne prent lumière ne
Rabelais. III. ai
lb2 LIVRE III, CH^PiTRE XXX
de Mercure, ne de Juppiter, ne de Mars, ne
d'aultre planette ou estoile qui soyt on ciel ; elle
n'en reçoit que du soleil, son mary, et de luy n'en
reçoit poinct plus qu'il luy en donne par son infu-
sion et aspectz. Ainsi serez vous à vostre femme
en patron et exemplaire de vertus et honnesteté,
et continuement implorerez la grâce de Dieu à
vostre protection.
— Vous voulez doncques, dist Panurge, fiilant les
moustaches de sa barbe, que j'espouse la femme
forte descripte par Salomon? Elle est morte, sans
poinct de faulte, je ne la veid oncques, que je
saiche, Dieu me le veuille pardonner! Grand mercy
toutesfoys, mon père. Mangez ce taillon de mas-
sepain, il vous aydera à faire digestion; puys boirez
une couppe de hippocras clairet, il est salubre et
stomachal. Suyvons. »
CHAPITRE XXXI.
Comment Kondibilis, mcdicin , conseille Panurge.
ANURGE, continuant son propous, dist :
« Le premier mot que dist celluy qui
escouilloit les moynes beurs à Saus-
signac, ayant escouillé le fray Caul-
daureil, feut : « Aulx aultres. » Je diz pareillement :
V Aulx aultres. » Czà, Monsieur nostre maistre
PANTAGRUEL I 63
Rondibilis, depeschez moy. Me doibz je marier ou
non r
— Par les ambles de mon mulet, respondit Rondi-
bilis, je ne sçay que je doibve respondre à ce pro-
blème. Vous dictez que sentez en vous lespoignans
aiguillons de sensualité. Je trouve en nostre faculté
de medicine , et l'avons prins de la resolution des
anciens platonicques, que la concupiscence char-
nelle est refrénée par cinq moyens. Par le vin. —
Je le croy, dist frère Jan. Quand je suis bien yvre,
je ne demande qu'à dormir. — J''entends, dis Ron-
dibilis, par vin prins intemperamment, car par l'in-
tempérance du vin advient au corps humain refroi-
dissement de sang, resolution des nerfs, dissipation
de semence generative, hebetation des sens, perver-
sion des mouvemens, qui sont toutes impertinences
à l'acte de génération. De faict, vous voyez painct
Bacchus, dieu desyvroignes, sans barbe et en habit
de femme, comme tout effœminé, comme eunuche
et escouillé. Aultrement est du vin prins tempere-
ment. L'antique proverbe nous le désigne, on quel
est dict que Venus se morfond sans la compaignie
de Ceres et Bacchus. Et estoit l'opinion des anciens,
scelon le recite Diodore Sicilien, mesmement des
Lampsaciens, comme atteste Pausanias, que messer
Priapus feut filz de Bacchus et de Venus.
« Secondement, par certaines drogues et plantes,
les quelles rendent l'home refroidy, maleficié et
impotent à génération. L'expérience y est en
164 LIVRE III, CHAPITRE XXXI
nymphasa heraclia, amerine, saule, chenevé, peri-
clymenos, tamarix, vitex, mandragore, cigûe, orchis
le petit, la peau d'un hippopotame, et aultres, les
quelles dedans les corps humains, tant par leurs vertus
élémentaires que par leurs proprietez specificques,
glassent et mortifient le germe prolificque, ou dis-
sipent les espritz qui le doibvoient conduire aux
lieux destinez par nature, ou oppilent les voyes et
conduictz par les quelz povoit estre expulsé ;
comme, au contraire, nous en avons qui eschauffent,
excitent et habilitent l'home à l'acte vénérien. —
Je n'en ay besoing, dist Panurge, Dieu mercy ! Et
vous, nostre maistre? Ne vous desplaise toutesfoys;
ce que j'en diz n'est par mal que je vous veuille.
— Tiercement, distRondibilis, par labeur assidu,
car en icelluy est faicte si grande dissolution du
corps que le sang, qui est par icelluy espars pour
l'alimentation d'un chascun membre, n'a temps, ne
loisir, ne faculté, de rendre celle resudation séminale
et superfluité de la tierce concoction. Nature par-
ticuliairement se la reserve comme trop plus néces-
saire à la conservation de son individu qu'à la mul-
tiplication de l'espèce et genre humain. Ainsi est
dicte Diane chaste, laquelle continuellement tra-
vaille à la chasse; ainsi jadis estoient dictz les
Castres y comme castes, es quelz continuellement
travailloient les athlètes et soubdars; ainsi escript
Hippocrates, lib. De Acre, Aqua et locis, de quel-
ques peuples en Scythie, les quelz, de son temps,
PANTAGRUEL l65
plus estoient impotensque eunuches à l'esbatement
vénérien, par ce que continuellement ilz estoient à
cheval et au travail; comme au contraire, disent les
philosophes, oysiveté estre mère de luxure.
(( Quand l'on demandoit à Ovide quelle cause feut
parquoy -^gistus devint adultère, rien plus ne res-
pondoit si non par ce qu'il estoit ocieux. Et qui
housteroit oysiveté du monde, bien toust periroient
les ars de Cupido : son arc, sa trousse et ses flèches
luy seroient en charge inutile, jamais n'en feriroit
persone, car il n'est mie si bon archier qu'il puisse
ferir les grues volans par l'aer, et les cerfz relancez
par les boucaiges, comme bien faisoient les Parthes,
c'est à dire les humains tracassans et travaillans. II
les demande quoys, assis, couchez et à séjour. De
faict, Theophraste, quelques foys interrogé quelle
beste, quelle chose il pensoit estre amourettes, res-
pondit que c'estoient passions des espritz ocieux.
Diogenes pareillement disoit paillardise estre l'oc-
cupation des gens non aultrement occupez. Pourtant
Canachus, Sicyonien sculpteur, voulent donner
entendre que oysiveté , paresse , non chaloir ,
estoient les gouvernantes de ruffiennerie, feist la
statue de Venus assise, non debout, comme avoient
faict tous ses prédécesseurs.
« Quartement, par fervente estude, car en icelle
est faicte incredible resolution des espritz, tellement
qu''il n'en reste de quoy poulser aux lieux destinez
ceste resudation generative, et enfler le nerf ca-
l66 LIVRE m, CHAPITRE XXXI
verneux, duquel l'office est hors la projecter pour
la propagation d'humaine nature. Qu'ainsi soit,
contemplez la forme d'un home attentif à quelque
estude : vous voirez en luy toutes les artères du
cerveau bendées comme la chorde d'une arbaleste,
pour luy fournir dextrement espritz suffisans à
emplir les ventricules du sens commun, de Tima-
gination et appréhension, de la ratiocination et
resolution, de la mémoire et recordation, et agile-
ment courir de l'un à l'aultre par les conduictz
manifestes en anatomie sus la fin du retz admirable
on quel se terminent les artères, les quelles de la
senestre armoire du cœur prenoient leur origine,
et les espritz vitaulx affinoient en longs ambages
pour estre faictz animaux. De mode que en telper-
sonnaige studieux vous voirez suspendues toutes les
facultez naturelles, cesser tous sens extérieurs ; brief,
vous le jugerez n'estre en soy vivent, estre hors
soy abstraict par ecstase, et direz que Socrates n'a-
busoit du terme quand il disoit philosophie n'estre
aultre chose que méditation de mort.
v Par adventure est ce pour quoy Democritus se
aveugla, moins estimant la perte de sa veue que
diminution de ses contemplations, les quelles il
sentoit interrompues par l'esguarement des yeulx.
Ainsi est vierge dicte Pallas, déesse de sapience,
tutrice des gens studieux; ainsi sont les Muses
vierges, ainsi demeurent les Charités en pudicitc
éternelle. Et me soubvient avoir leu que Cupido,
PANTAGRUEL 1 67
quelques foys interrogé de sa mère Venus pour quoy
il n'assailloit les Muses, respondit qu'il les trouvoit
tant belles^ tant nettes, tant honestes, tant pu-
dicques et continuellement occupées, Tune à con-
templation des astres, l'aultre à supputation des
nombres, l'aultre à dimension des corps geome-
tricques, l'aultre à invention rhetoricque, l'aultre à
composition poëticque, l'aultre à disposition de
musique, que, approchant d'elles,, il desbandoit son
arc, fermoit sa trousse et extaignoit son flambeau
par honte et craincte de leur nuire; pujs houstoit
le bandeau de ses yeulx pour plus apertement les
veoir en face, et ouyr leurs plaisans chantz et odes
poeticques. Là prenoit le plus grand plaisir du
monde, tellement que souvent il se sentoit tout
ravy en leurs beaultez et bonnes grâces, et s'en-
dormoit à l'harmonie. Tant s'en fault qu'il les
voulsist assaillir, ou de leurs estudes distraire.
« En cestuy article je comprens ce que escript
Hippocrates on livre susdict, parlant des Scythes,
et au livre intitulé De Geniture, disant tous humains
estreà génération impotens es quelz l'on a une foys
couppé les artères parotides, les quelles sont à
cousté des aureilles, par la raison cy davant exposée,
quand je vous parfois de la resolution des espritz et
du sang spirituel, duquel les artères sont réceptacles ;
aussi qu'il maintient grande portion de la geniture
sourdre du cerveau et de l'espine du dours.
« Quintement, par l'acte vénérien. — Je vous
l68 LIVRE III, CHAPITRE XXXI
attendois là, dist Panurge, et le prens pour moy.
Use des praecedens qui vouldra. — C'est, dist frère
Jan, ce que Fray Scyllino, prieur de Sainct Victor
lez Marseille, appelle macération de la chair. Et
suys en ceste opinion, aussi estoit l'hermite de
saincte Radegonde, au dessus de Chinon, que plus
aptement ne pourroient les hermites de Thebaïde
macérer leurs corps, dompter ceste paillarde sen-
sualité, déprimer la rébellion de la chair, que le fei-
sant vingt et cinq ou trente foys par jour.
— Je voy Panurge, dist Rondibilis, bien pro-
portionné en ses membres, bien tempéré en ses
humeurs, bien complexionné en ses espritz, en aage
compétent, en temps oportun, en vouloir équitable
de soy marier. S'il rencontre femme de semblable
température, ilz engendreront ensemble enfans
dignes de quelque monarchie Transpontine. Le
plus toust sera le meilleur, s'il veultveoirses enfans
pourveuz.
— Monsieur nostre maistre, dist Panurge, je le
seray, n'en doubtez, et bien toust. Durant vostre
docte discours, ceste pusse que j'ay en l'aureille
m'a plus chatouillé que ne feist oncques. Je vous
retiens de la feste. Nous y ferons chère et demie,
je le vous prometz. Vous y amènerez vostre femme,
s'il vous plaist, avecques ses voisines, cella s'entend,
et jeu sans villennie. »
PANTAGRUEL 169
CHAPITRE XXXII.
Comment Kondibilis declaire coqiiage esîre naturel-
lement des apennages de mariage.
j^^T-ESTE, dist Panurge, continuant, un
petit poinct à vuider. Vous avez aul-
tres foys veu on confanon de Rome
S. P. Q. R.: Si Peu Que Rien seray je
poinct coqu?
— Havre de Grâce ! s'escria Rondibilis, que me
demandez vous? Si serez cocju? Mon amy, je suys
marié, vous le serez par cy après; mais escrivez ce
mot en vostre cervelle avecques un style de fer, que
tout home marié est en dangier d'estre coqu.
Coqûage est naturellement des apennages de ma-
riage. L'umbre plus naturellement ne suyt le corps
que coqùage suyt les gens mariez. Et quand vous oirez
dire de quelqu'un ces troys motz: « Il est marié »,
si vous dictez : « Il est doncques, ou a esté, ou sera,
ou peult estre coqu », vous ne serez dict imperit
architecte de conséquences naturelles.
— Hypochondres de tous les diables, s'escria
Panurge, que me dictez vous? — Mon amy, res-
pondit Rondibilis, Hippocrates, allant un jour de
Lango en Polystylo visiter Democritus le philosophe,
escrivit unes letres à Dionys, son antique amy, par
les quelles le prioit que pendent son absence il con-
170
LIVRE III, CHAPITRE XXXII
duist sa femme chés ses père et mère , les quelz
estoient gens honorables et bien famez, ne voulant
qu'elle seule demourast en son mesnaige. Ce neant-
moins, qu'il veiglast sus elle soingneusement, et
espiast quelle part elle iroit avecques sa mère, et
quelz gens la visiteroient chés ses parens. «Non,escri-
voit il, que je me défie de sa vertus et pudicité ,
laquelle par le passé m'a esté explorée etcongnue;
mais elle est femme. » Voy là tout, mon amy. Le
naturel des femmes nous est figuré par la lune, et
en aultres choses, et en ceste, qu'elles se mussent,
elles se constraignent et dissimulent en la veue et
praesence de leurs mariz. Iceulxabsens^ elles prenent
leuradventaige, se donnent du bon temps, vaguent,
trotent, déposent leur hypocrisie et se declairent,
comme la lune en conjunction du soleil n'apparoist
on ciel ne en terre, mais en son opposition, estant
au plus du soleil esloingnée, reluist en sa plénitude
et apparoist toute, notamment on temps de nuyct.
Ainsi sont toutes femmes femmes.
(' Quand je diz femme, je diz un sexe tantfragil,
tant variable, tant muable, tant inconstant et im-
perfaict, que nature me semble, parlant en tout
honneur et révérence, s'estre esguarée de ce bon
sens par lequel elle avoitcreéet formé toutes choses
quand elle ha basty la femme; et, y ayant pense
cent et cinq foys, ne sçay à quoy m'en resouldre,
si non que, forgeant la femme, elle a eu esguard
à la sociale délectation de l'home et à la perpétuité
PANTAGRUEL
7«
de l'espèce humaine plus qu'à la perfection de l'in-
dividuale muliebrité.
« Certes, Platon ne sçait en quel ranc il les
doibve coUoquer, ou des animans raisonnables ou
des bestes brutes, car nature leurs a dedans le
corps posé en lieu secret et intestin un animal, un
membre, lequel n'est es homes, onquel quelques
ïoys sont engendrées certaines humeurs salses, ni-
treuses, bauracineuses, acres, mordicantes, lanci-
nantes, chatouillantes amèrement, par la poincture
et frétillement douloureux des quelles, car ce mem-
bre est tout nerveux et de vif sentement, tout le
corps est en elles esbranlé, tous les sens raviz, tou-
tes affections interinées, tous pensemens confonduz.
De manière que, si nature ne leurs eust arrousé
le front d'un peu de honte, vous les voiriez comme
forcenées courir l'aiguillette plus espovantablement
que ne feirent oncques les Prœtides, les Mimal-
lonides ne les Thyades Bacchicques au jour de
leurs Bacchanales, par ce que cestuy terrible animal
a colliguance à toutes les parties principales du
corps, comme est évident en l'anatomie.
<( Je le nomme animal, suyvant la doctrine tant
des Academicques que des Peripateticques, car, si
mouvement propre est indice certain de chose
animée, comme escript Aristoteles, et tout ce qui
de soy se meut est dict animal, à bon droict Platon
le nomme animal, recongnoissant en luy mouvemcns
propres de suffocation, de priccipitaticii, de corru-
172 LIVRE III, CHAPITRE XXXII
g-ation, de indignation, voire si violens, que bien
souvent par eulx est tollu à la femme tout aultre
sens et mouvement, comme si feust lipothymie,
syncope, epilepsie, apoplexie et vraye resemblance
de mort. Oultre plus, nous voyons en icelluy dis-
crétion des odeurs manifeste, et le sentent les
femmes fuyr les puantes, suyvre les aromaticques.
a Je sçay que Cl. Galen s'efforce prouver que
ne sont mouvemens propres et de soy, mais par ac-
cident, et que aultres de sa secte travaillent à de-
monstrer que ne soit en luy discrétion sensitive des
odeurs, mais efficace diverse procedente de la di-
versité des substances odorées. Mais, si vous exa-
minez studieusement et pesez en la balance de
Critolaus leurs propous et raisons, vous trouverez
que, et en ceste matière et beaulcoup d'aultres, ilz
ont parlé par guayeté de cœur et affection de re-
prendre leurs majeurs plus que par recherchement
de vérité. En cette disputation je ne entreray plus
avant : seulement vous diray que petite ne est la
louange des preudes femmes, les quelles ont vescu
pudicquement et sans blasme, et ont eu la vertus
de ranger cestuy effréné animal à l'obéissance de
raison; et feray fin si vous adjouste que, cestuy
animal assovy, si assovy peut estre, par l'aliment
que nature luy a prceparé en l'home, sont tous ses
particuliers mouvemens à but, sont tous sesappetitz
assopiz, sont toutes ses furies appaisées. Pourtant
ne vous esbahisscz si sommes en dangier perpétuel
PANTAGRUEL lyS
d'estre coquz , nous qui n'avons pas tous jours
bien de quoy payer et satisfaire au contentement.
— Vertus d'aultre que d'un 'petit poisson, dist
Panurge, n'y sçavez vous remède aulcun en vostre
art? — Ouy dea, mon amy, respondit Rondibilis,
et tresbon, du quel je use ; et est escript en autheur
célèbre passé a dix huyct cens ans. Entendez. —
Vous estez, dist Panurge, par la vertus Dieu! home
de bien, et vous ayme tout mon benoist saoul.
Mangez un peu de ce pasté de coins; ilz ferment
proprement l'orifice du ventricule, à cause de quel-
que stypticité joyeuse qui est en eulx, et aydent à
la concoction première. Mais quoy? je parle latin
davant les clercs. Attendez, que je vous donne à
boyre dedans cestuy han-at nestorien. Voulez vous
encores un traict de hippocras blanc ? Ne ayez paour
de l'esquinance, non. Il n'y a dedans ne squinanthi,
ne zinzembre, ne graine de Paradis; il n'y a que la
belle cinamone triée et le beau sucre fin, avecques
le bon vin blanc du cru de laDeviniere, enla plante
du grand Cormier, au dessus du Noyer Groslier. »
174 LIVRE III, CHAPITRE XX XIII
CHAPITRE XXXIII
Comment Kondibilis, medicin, donne remède
à coqûage.
N temps, dist Rondibilis, que Juppiter
feist Testât de sa maison Olympicque
/î^etle calendrier de tous ses dieux et
déesses, ayant estably à un chascun
jour et saison de sa feste, assigné lieu pour les
oracles et voyages, ordonné de leurs sacrifices...
— Feist il poinct, demanda Panurge, comme
Tinteville, evesque d'Auxerre? Le noble pontife
aymoit le bon vin, comme faict tout home de bien;
pourtant avoit il en soing et cure spéciale le bour-
geon, père ayeul de Bacchus. Or est que plusieurs
années il veid lamentablement le bourgeon perdu
par les gelées, bruines, frimatz, verglatz, froidures,
gresles et calamitez advenues par les festes des
S. George, Marc, Vital, Eutrope^ Philippe, saincte
Croix, l'Ascension et aultres, qui sont on temps que
le soleil passe soubs le signe de Taurus^ et entra
en ceste opinion que les saincts susditz estoient
saincts gresleurs, geleurs et guasteurs du bourgeon.
Pour tant vouloit il leurs festes translater en hyver,
entre Noël et l'Epiphanie, les licentiant , en tout
honneur et révérence, de gresler lors et geler tant
qu'ilz vouldroient. La gelée lors en rien ne seroit
dommageable, ains evidentement profitable au
PANTAGRUEL iy5
bourgeon. En leurs lieux mettre les festes dessainct
Christofle, sainct Jan decollaz, saincte Magdaiene,
saincte Anne, sainct Dominicque, sainct Laurens,
voire la my-oust colloquer en may, es quelles tant
s'en fault qu'on soit en dangier de gelée, que lors
mestier on inonde n'est qui tant soit de requeste
comme est des faiseurs de friscades, composeurs de
joncades, agenseurs de feueillades et refraischisseurs
de vin.
— Juppiter, dist Rondibilis, oublia le paouvre
diable Coqûage, lequel pour lors ne feut prsesent.
Il estoit à Paris, on Palais, sollicitant quelque pail-
lard procès pour quelqu'un de ses tenanciers et
vassaulx. Ne sçay quants jours après Coqùage en-
tendit la forbe qu'on luy avoit faict, désista de sa
sollicitation par nouvelle sollicitude de n'estre
forclus de Testât, et comparut en persone davant
le grand Juppiter, alléguant ses mérites praecedens
et les bons et agréables services que aultresfoys luy
avoit faict, et instantement requérant qu'il ne le
laissast sans feste, sans sacrifices, sans honneur.
Juppiter se excusoit, remonstrant que tous ces béné-
fices estoient distribuez, et que son estât estoit
clous. Feut toutesfoys tant importuné par messer
Coqûage que en fin le mist en Testât et catalogue,
et luy ordonna en terre honneur, sacrifices et feste.
Sa feste feut, pource que lieu vuide et vacant n'es-
toit en tout le calendrier,, en concurrence et au
jour de la déesse Jalousie; sa domination, sus les
lyo LIVRE m, CHAPITRE XXXIII
gens mariez, notamment ceulx qui auroient belles
femmes; ses sacrifices, soubson, défiance, malen-
groin, guet, recherche et espies des mariz sur leurs
femmes, avecques commendement riguoureux à un
chascun marié de le révérer et honorer, célébrer sa
feste à double , et luy faire les sacrifices susdictz ,
sus peine et intermination que à ceulx ne seroit
messer Coqûage en faveur, ayde ne secours, qui ne
l'honoreroient comme est dict, jamais ne tiendroit
de eulx compte, jamais n'entreroit en leurs maisons,
jamais ne hanteroit leurs compaignies, quelques in-
vocations qu'ilz luy feissent, ains les laisseroit éter-
nellement pourrir seulz avecques leurs femmes,
sans corrival aulcun, et les refuyroit sempiternel-
lement comme heereticqueset sacrilèges, ainsi qu'est
l'usance des aultres dieux envers ceulx qui deue-
ment ne les honorent :
« De Bacchus envers les vignerons, de Cerés en-
vers les laboureux, de Pomona envers les fruictiers,
de Neptune envers les nautonniers, de Vulcan en-
vers les forgerons; et ainsi des aultres.
« Adjoincte feut promesse au contraire infallible
qu'à ceulx qui, comme estdict, chomeroient sa feste,
cesseroient de toute négociation, mettroient leurs
affaires propres en non chaloir pour espier leurs
femmes, les resserrer et mal traicter par jalousie^
ainsi que porte l'ordonnance de ses sacrifices, il
seroit continuellement favorable, les aymeroit, les
frequenteroit, seroit jour et nuyct en leurs maisons,
PANTAGRUEL
77
jamais ne seroient destituez de sa prsesence. J'ay
dict.
— Ha, ha, ha! dist Carpalim en riant, voylà un
remède encores plus naïf que l'anneau de Hans
Carvel. Le diable m'emport si je ne le croy ! Le
naturel des femmes est tel. Comme la fouldre ne
brise et ne brusle sinon les m.atieres dures, solides,
resistentes, elle ne se arreste es choses molles, vui-
des et cedentes; elle bruslera l'espée d'assier sans
endommaiger le fourreau de velours; elle consumera
les os des corps sans entommer la chair qui les couvre :
ainsi ne bendent les femmes jamais la contention,
subtilité et contradiction de leurs espritz, si non
envers ce que congnoistront leurs estre prohibé et
défendu.
— Certes, dist Hippothadée, aulcuns de nos
docteurs disent que la première femme du monde,
que les Hebrieux noment Eve, à poine eust jamais
entré en tentation de manger le fruict de tout
sçavoir, s'il ne luy eust esté défendu. Qu'ainsi soit,
consyderez comment le Tentateur cauteleux luy re-
membra on premier mot la défense sus ce faicte,
comme voulenl inférer : « Il t'est défendu, tu en
doibsdoncques manger, ou tune seroispas femme.»
Rabelais. III. 2 3
LIVRE III, CHAPITRE XXXIV
CHAPITRE XXXIV
Comment les femmes ordinairement appetent choses
défendues.
'?7 N temps, dist Carpalim", que j'estois
y. ruffien à Orléans, je n'avois couleur
4 de rhetoricque plus valable, ne argu-
ik ment plus persuasif envers les dames,
pour les mettres aux toilles et attirer au jeu d'amours,
que vivement, apertement, detestablement remons-
trant comment leurs mariz estoient d'elles jalous.
Je ne l'avois mie inventé. Il est escript, et en avons
loix, exemples, raisons et expériences quotidianes.
Ayans ceste persuasion en leurs caboches, elles fe-
ront leurs mariz coquz infalliblement, par Dieu,
sans jurer, deussent elles faire ce que feirentSemy-
ramis, Pasiphaé, Egesta, les femmes de l'isle Mandés
en iEgypte, blasonnées par Hérodote et Strabo,
et aultres telles mastines.
— Vrayement, dist Ponocrates, j'ay ouy compter
que le pape Jan XXII, passant un jour par l'abbaye
de Coingnaufond, feut requis par l'Abbesse et
mères discrètes leurs concéder un induit moyennant
lequel se peussent confesser les unes es aultres,
alléguantes que les femmes de religion ont quelques
petites imperfections secrètes, les quelles honte in-
supportable leurs est déceler aux homes confesseurs:
plus librement, plus familièrement les diroient unes
PANTAGRUEL I 79
aux aultres soubs le sceau de confession. « Il n'y a
« rien, respondit le pape, que voluntiers ne vousoul-
« troye; mais jey voy un inconvénient, c'est que la
<( confession doibtestre tenue secrette. Vous aultres
« femmes à poine la cèleriez. — Tresbien, dirent
(( elles, et plus que ne font les homes. » Au jour
propre, le Père Sainct leur bailla une boyte en
guarde, dedans laquelle il avoit faict mettre une
petite linote, les priant doulcement qu'elles la ser-
rassent en quelque lieu sceur et secret, leurs pro-
mettant en foy de pape oultroyer ce que portoit
.leur requeste si elles la guardoient secrette, ce
neantmoins leurs faisant défense ri guoreuse qu'elles
ne eussent à l'ouvrir en façon quelconques, sus
poine de censure ecclesiasticque et de excommuni-
cation éternelle. La défense ne feut si tost faicte
qu'elles grisloient en leurs entendemens d'ardeur
de veoir qu'estoit dedans, et leurs tardoit que le
pape ne feut ja hors la porte pour y vacquer. Le
Père Sainct, avoir donné sa bénédiction sus elles,
se retira en son logis. Il n'estoit encores trois pas
hors l'abbaye quand les bonnes dames toutes à la
foulle accoururent pour ouvrir la boyte défendue et
veoir qu'estoit dedans. Au lendemain, le pape les
visita, en intention, ce leurs sembloit, de leurs
depescher l'induit ; mais, avant entrer en propous,
commanda qu'on luy apportast sa boyte. Elle luy
feut apportée, mais l'oizillet n'y estoit plus. Adonc-
ques leurs remonstra que chose trop difficile leurs
ibo LIVRE III, CHAPITRE XXXIV
seroit receller les confessions, veu que n'avoient si
peu de temps tenu en secret la boyte tant recom-
mandée.
— Monsieur nostre maistre, vous soyez le très
bien venu. J'ay prins moult grand plaisir vous oyant,
et loue Dieu de tout. Je ne vous avois oncques
puys veu que jouastez à Monspellier avecques nos
antiques amys Ant. Saporta, Guy Bouguier, Bal-
thasarNoyer,Tollet,Jan Quentin, François Robinet,
Jan Perdrier et François Rabelais, la morale comœdie
de celluy qui avoit espousé une femme mute. —
Je y estois, dist Epistcmon. Le bon mary voulut
qu'elle parlast. Elle parla par l'art du medicin et
du chirurgien, qui luy coupperent un encyliglotte
qu'elle avoitsoubs la langue. La parolle recouverte,
elle parla tant et tant que son mary retourna au
medicin pour remède de la faire taire. Le medicin
respondit en son art bien avoir remèdes propres
pour faire parler les femmes, n'en avoir pour les
faire taire , remède unicque estre surdité du mary
contre cestuy interminable parlement de femme. Le
paillard devint sourd par ne sçay quelz charmes
qu'ilz feirent. Sa femme, voyant qu'il estoit sourd
devenu, qu'elle parloit en vain, de luy n'estoit en-
tendue, devint enraigée. Puys, le medicin deman-
dant son salaire, le mary respondit qu'il estoit
vrayement sourd, et qu'il n'entendoit sa demande.
Le medicin luy jecta on dours ne sçay quelle poul-
dre, par vertus de la quelle il devint fol. Adonc-
PANTAGRUEL l8r
ques le fol mary et la femme enragée se raslierent
ensemble, et tant bastirent les medicin et chirurgien
qu'ilz les laissèrent à demy mors. Je ne riz oncques
tant que je feis à ce patelinage.
— Retournons à nos moutons, dist Panurge.
Vos parolles. translatées de baragouin en françois,
veulent dire que je me marie hardiment, et que ne
me soucie d'estre coqu. C'est bien rentré de treufles
noires. Monsieur nostre maistre, je croy bien qu'au
jour de mes nopces vous serez d'ailleurs empesché
à vos pratiques, et que n'y pourrez comparoistre ;
je vous en excuse :
Stercus et urina medici sunt prandia prima ;
Ex aliis pakas, ex istis collige grana.
— Vous prenez mal, dist Rondibilis; le vers
subséquent est tel :
Nobis sunt signa; vobis sunt prandia digna.
— Si ma femme se porte mal... — J'en vouldrois
veoir l'urine, dist Rondibilis, toucher le pouls et
veoir la disposition du basventre et des parties umbi-
licares, comme nous commendeHippo., lApho., 35,
avant oultre procéder. — Non, non, dist Pa-
nurge, cela ne faict à propous. C'est pour nous
aultres légistes, qui avons la rubricque De ventre
inspiciendo. Je luy appreste un clystere barbarin.
Ne laissez vos affaires d'ailleurs plus urgens. Je vous
182 LIVRE m, CHAPITRE XXXIV
envoiray du rislé en vostre maison, et serez tous
jours nostre amy. »
Puys s'approcha de luy et luy mist en main sans
mot dire quatre nobles à la rose. Rondibilis les
print tresbien, puis luy dist en effroy, comme in-
digné: « Hé, hé, hé! Monsieur, il ne failloit rien.
Grand mercy toutesfoys. De meschantes gens jamais
je ne prens rien. Rien jamais des gens de bien je
ne refuse. Je suys tousjours à vostre commendement.
— En poyant, dist Panurge. — Cela s'entend »,
respondit Rondibilis.
CHAPITRE XXXV
Comment Trouillogan,' philosophe, traictc la difficulté
de mariage.
ES parolles achevées, Pantagruel dist
à Trouillo.ffan. \p philosophe : « Nostre
féal, de main en main vous est la
lampe baillée. C'est à vous mainte-
nant de respondre. Panurge se doibt il marier, ou
non? — Tous les deux, respondit Trouillogan. —
Que me dictez vous? demanda Panurge. — Ce que
avez ouy, respondit Trouillogan. — Que ay je
ouy? demanda Panurge. — Ce que j'ay dict, res-
pondit Trouillogan. — Ha ! ha 1 en sommes nous
la ! dist Panurge. Passe sans flus. Et doncques, me
doibz je marier ou non? — Ne l'un ne l'aultre,
PANTAGRUEL l83
respondit Trouillogan. — Le diable m'emport,
dist Panurge, si je ne deviens resveur, et me puisse
emporter si je vous entends! Attendez, je mettray
mes lunettes à ceste aureille guausche, pour vous
ouyr plus clair. »
En cestuy instant Pantagruel apercent vers la
porte de la salle le petit chien de Gargantua, le-
quel il nommoit Kyne, pour ce que tel fut le nom
du chien de Tobie. Adoncques dist à toute la com-
paignie : « Nostre roy n'est pas loing d'icy; levons
nous. » Ce mot ne feut achevé quand Gargantua
entra dedans la salle du banquet ; chascun se leva
pour luy faire révérence.
^Gargantua, ayant debonnairement salué toute
l'assistence, dist: « Mes bons amys, vous me ferez
ce plaisir, je vous en prie, de non laisser ne vos
lieux ne vos propous. Apportez moy à ce bout de
table une chaire. Donnez moy que je boive à toute
la compaignie. Vous soyez les très bien venuz. Ores
me dictez, sur quel propous estiez vous? »
Pantagruel luy respondit que, sus l'apport de la
seconde table, Panurge avoit propousé une matière
problematicque, à sçavoir s'il se doibvoit marier,
ou non, et que le père Hippothadée et maistre
Rondibilis estoient expédiez de leurs responses
lors qu'il est entré, respondoit le féal Trouillogan.
Et premièrement, quand Panurge luy a demandé :
(' Me doibz je marier ou non ? » avoit respondu :
« Tous les deux ensemblement. » A la seconde
184 LIVRE III, CHAPITRE XXXV
foys avoit dict : « Ne l'un ne l'autre. » Panurge
se complainct de telles répugnantes et contradic-
toires responses, et proteste n'y entendre rien.
« Je l'entends, dist Gargantua, en mon advis. La res-
ponse est semblable à ce que dist un ancien philo-
sophe interrogé s'il avoit quelque femme qu'on luy
nommoit. « Je l'ay, dist il, à mie, mais elle ne me a
« mie ; je la possède, d'elle ne suys possédé. » — Pa-
reille response, dist Pantagruel, feist une Fantesque
de Sparte. On luy demanda si jamais elle avoit eu
affaire à home. Responditque non jamais, bien que
les homes quelques foys avoient eu affaire à elle.
— Ainsi, dist Rondibilis, mettons nous neutre en
medicine, et moyen en philosophie, par participation
de l'une et l'aultre extrémité, par abnégation de
l'une et l'aultre extrémité, et par compartiment du
temps, maintenant en l'une, maintenant en l'aultre
extrémité.
— Le sainct Envoyé, dist Hippothadée, me
semble l'avoir plus apertement declairé, quand il
dict : Ceulx qui sont mariez soient comme non mariez;
ceulx qui ont femme soient comme non ayans femme.
— Je interprète, dist Pantagruel, avoir et n'avoir
femme en ceste façon, que femme avoir est l'avoir
à usaige tel que nature la créa, qui est pour l'ayde,
esbatement et société de l'home; n'avoir femme
est ne soy apoiltronner au tour d'elle, pour elle ne
contaminer celle unicque et suprême affection que
doibt l'home à Dieu; ne laisser les offices qu'il
PANTAGRUEL l85
doibt naturellement à sa patrie, à la Republicque,
à ses amys, ne mettre en non chaloir ses estudes
et négoces, pour continuellement à sa femme
complaire. Prenant en ceste manière avoir et n'avoir
femme, je ne voids répugnance ne contradiction es
termes. »
CHAPITRE XXXVI
Continuation des responses de Trouillogan, philosophe
ephectique et pyrrhonien.
ous dictez d'orgues, respondit Pa-
nurge, mais je croy que je suys des-
cendu on puiz ténébreux onquel di^oit
'Heraclytus estre Vérité cachée. Je ne
voy goutte, je n'entends rien, je sens mes sens
tous hebetez, et doubte grandement que je soye
charmé. Je parleray d'aultre style. Nostre féal, ne
bougez; n'emboursez rien. Muons de chanse et
parlons sans disjunctives ; ces membres mal joinctz
vous faschent, à ce que je voy. Or çà, de par Dieu,
me doibz je marier ?
Trouillogan. Il y a de l'apparence. — Panurge.
Et si je ne me marie poinct? Trou. Je n'y voy in-
convénient aulcun. Panur. Vous n'y en voyez
poinct? Tro. Nul, ou la veue me déçoit. Pan. Je
y en trouve plus de cinq cens. Tro. Comptez les.
Pan. Je diz improprement parlant, et prenent
24
l86 LIVRE III, CHAPITRE XXX N'I
nombre certain pour incertain, déterminé pour in-
déterminé, c'est à dire beaucoup. Trouil. J'escoute.
Panur. Je ne peuz me passer de femme, de par
tous les diables. Trouil. Houstez ces villaines
bestes. Panur. De par Dieu soit, car mes Salmi-
gondinoys disent coucher seul, ou sans femme,
estre vie brutale, et telle la disoit Dido en ses la-
mentations. Trouil. A vostre commandement. Pa-
nur. Pé lé quau Dé, j'en suis bien. Doncques, me
mariray je ? Trouil. Par adventure. Pan. M'en
trouveray je bien? Tro. Scelon la rencontre. Pan.
Aussi, si je rencontre bien, comme j'espère, seray
je heureux? Tro. Assez. Pan. Tournons à contre-
poil. Et si rencontre mal? Tro. Je m'en excuse.
Pan. Mais conseillez moy, de grâce. Que doibs je
faire? Tro. Ceque vouldrez. Pan. Tarahin,tarahasl
Tro. Ne invocquez rien, je vous prie. Pa. On
nom de Dieu soit ; je ne veulx sinon ce que me
conseillerez. Que m'en conseillez vous? Tro. Rien.
Pan. Me mariray je? Trou. Je n'y estois pas. Pan.
Je ne me mariray doncques poinct. Tro. Je n'en
peux mais. Pan. Si je ne suys marié, je ne seray
jamais coqu? Tro. Je y pensois. Pan. Mettons le
cas que je sois marié. Tro. Où le mettrons nous?
Pan. Je dis : prenez le cas que marié je soys. [Tro.]
Je suys d'ailleurs empesché.
Pa. Merde en mon nez; dea ! si je osasse jurer
quelque petit coup en cappe, cela me soulageroit
d'autant. Or bien, patience! Et doncques, si je
PANTAGRUEL 187
SLiys marié, je seray coqu? Tro. On le diroit. Pa.
Si ma femme est preude et chaste, je ne seray ja-
mais coqu? Tro. Vous me sembiez parler correct.
Pa. Escoutez. Tro. Tant que vouldrez. Pan. Sera
elle preude et chaste? Reste seulement ce poinct.
Trouil. J'en doubte. Pan. Vous ne la veistez ja-
mais? Tro. Que je sache. Pan. Pourquoy doncques
doubtez vous d'une chose que ne congnoissez ?
Tro. Pour cause. Pa. Et si la congnoissiez? Tro.
Encores plus.
Panu. Paige, mon mignon, tien icy mon bonnet :
je le te donne, saulve les lunettes, et va en la basse
court jurer une petite demie heure pour moy ; je
jureray pour toy quand tu vouldras. Mais qui me
fera coqu? Trouil. Quelqu'un. Panur. Parle ven-
tre beuf de boys, je vous frotteray bien, monsieur
le quelqu'un. Trou. Vous le dictez. Pan. Le diantre,
celluy qui n'a poinct de blanc en l'œil, m'emporte
doncques ensemble si je ne boucle ma femme à la
bergamasque, quand je partiray hors mon serrail.
Tr. Discourez mieulx. Pa. C'est bien chien chié
chanté pour les discours ! Faisons quelque resolution.
Tr. Je n'y contrediz. Pa. Attendez. Puis que de
cestuy endroict ne peuz sang de vous tirer, je vous
saigneray d'aultre vene. Estez vous marié, ou
non ? Tr. Ne l'un ne l'aultre, et tous les deux en-
semble. Pa. Dieu nous soit en ayde ! Je sue, par
la mort beuf, d'ahan, et sens ma digestion inter-
rompue. Toutes mes phrenes, metaphrenes et dia-
IQQ LIVRE III, CHAPITRE XXXVI
phragmes sont suspenduz et tenduz pour incornifis-
tibuler en la gibbessiere de mon entendement ce
que dictez et respondez. Tr. Je ne m'en empes-
che. P. Trut avant ! nostre féal, estez vous marié ?
Tr. Il me l'est advis. Pa. Vous l'aviez esté une
aultre fojs? Tr. Possible est. Pa. Vous en trouvastez
vous bien la première fois. Tr. Il n'est pas impos-
sible. [Pa.] a ceste seconde fois, comment vous
en trouvez vousPTr. Comme porte mon sort fatal.
Panur. Mais quoy ! à bon esciant, vous en trouvez
vous bien? Trouil. Il est vray semblable.
Panu. Or cà, de par Dieu, j'aymeroys, par le
fardeau de sainct Christofîe, autant entreprendre
tirer un pet d'un asne mort que de vous une reso-
lution. Si vous auray je à ce coup. Nostre féal,
faisons honte au diable d'enfer; confessons vérité.
Feustez vous jamais coqu? Je dy vous qui estez icy,
je ne diz pas vous qui estez là bas au jeu de paulme.
Trouil. Non, s'il n'estoit praedestiné. Pan. Par la
chair, je renie ; par le sang, je renague ; par le
corps, je renonce. Il m'eschappe. »
A ces motz Gargantua se leva et dist : « Loué
soit le bon Dieu en toutes choses ! Ace que je voy,
le monde est devenu beau fîlzdepuys ma congnois-
sance première. En sommes nous là ? Doncques
sont huy les plus doctes et prudens philosophes en-
trez on jphrontistere et escholle des pyrrhoniens,
aporrheticques, scepticques et ephecticques? Loué
soit le bon Dieu ! Vrayement on pourra dorénavant
PANTAGRUEL 1 89
prendre les lions par les jubés, les chevaulx par les
crains, les bœufz par les cornes, les bufles par le
museau, les loups par la queue, les chèvres par la
barbe, les oiseaux par les piedz ; mais ja ne seront
telz philosophes par leur paroUes pris. Adieu, mes
bons amys. » Ces motz prononcez, se retira de !a
compaignie. Pantagruel et les aultres le vouloient
suyvre, mais il ne le voulut permettre.
Issu Gargantua de la salle, Pantagruel dist es
invitez : « Le Timé de Platon, au commencement
de l'assemblée, compta les invitez ; nous^ au rebours,
les compterons en la fin. Un, deux, trois. Où est
le quart? N'estoit ce nostre amy Brid'oye? » Epis-
temon respondit avoiresté en sa maisonpourl'inviter,
mais ne l'avoir trouvé. Un huissier du parlement
Myrelinguoys en Myrelingues l'estoit venu quérir
et adjourner pour personnellement comparoistre,
et davant les sénateurs raison rendre de quelque
sentence par luy donnée. Pourtant estoit il au jour
praecedent departy affin de soy représenter au jour
de l'assignation, et ne tomber en deffault ou con-
tumace.
« Je veulx, dist Pantagruel, entendre que c'est.
Plus de quarante ans y a qu'il est juge de Fons-
beton ; icelluy temps pendent a donné plus de
quatre mille sentences difinitives. De deux mille
trois cens et neuf sentences par luy données feut
appelé par les parties condemnées en la Court
souveraine du parlement Myrelinguoys en Mire-
190 LIVRE III, CHAPITRE XXXVI
lingues; toutes par arrestz d'icelle ont esté ratifiées,
approuvées et confirmées, les appeaulx renversez
et à néant mis. Que maintenant doncques soit
personnellement adjourné sus ses vieulx jours, il
qui par tout le passé a vescu tant sainctement en
son estât, ne peut estre sans quelque desastre. Je
luy veulx de tout mon povoir estre aydant en
aequité. Je sçay huy tant estre la malignité du
monde aggravée que bon droict a bien besoing
d'aide. Et présentement délibère y vacquer, de
paour de quelque surprinse. »
Allorsfeurent les tables levées. Pantagruel feist es
invitez dons précieux et honorables de bagues,
joyaulx, et vaisselle tant d'or comme d'argent, et
les avoir cordialement remercié, se retira vers sa
chambre.
CHAPITRE XXXVII
Comment Pantagruel persuade à Panurge prendn
conseil de quelque fol.
ANTAGRUEL, soy retirant, aperceul
par la guallerie Panurge en maintien
de un resveur ravassant et dodelinant
de la teste, et luy dist : « Vous me
semblez à une souriz empegée ; tant plus elle s'ef-
force soy depestrer de la poix, tant plus elle s'en
embrene. Vous semblablement eiîorsant issir hors
PANTAGRUEL
19.
les lacs de perplexité, plus que davant y demeurez
empestré, et n'y sçay remède fors un. Entendez :
j'ay souvent ouy en proverbe vulguaire qu'un fol
enseigne bien un saige. Puys que par les responses
des saiges n'estez à plein satisfaict, conseillez vous
à quelque fol. Pourra estre que, ce faisant, plus à
vostre gré serez satisfaict et content. Par l'advis,
c*onseil et praediction des folz, vous sçavez quants
princes, roys et republicques ont esté conservez,
quantes batailles guaingnées, quantes perplexitez dis-
solues. Ja besoing n'est vous ramentevoir les exem-
ples. Vous acquiescerez en cette raison. Car, comme
celluy qui de prés reguarde à ses affaires privez et
domesticques, qui est vigilant et attentif au gou-
vernement de sa maison, duquel l'esprit n'est point
esguaré, qui ne pert occasion queconques de ac-
quérir et amasser biens et richesses, qui cautement
sçayt obvier es inconveniens de paovreté, vous ap-
pelez saige mondain, quoy que fat soit il en l'estima-
tion des intelligences caelestes, ainsi faultil, pour da-
vant icelles saige estre, je diz sage et praesage par
aspiration divine, et apte à recepvoir bénéfice de
divination, se oublier soy mesme, issir hors de soy
mesmes, vuider ses sens de toute terrienne affection,
purger son esprit de toute humaine sollicitude, et
mettre tout en non chaloir. Ce que vulguairement
est imputé à follie.
« En ceste manière feut du vulgue imperit appelé
Fatuel le grand vaticinateur Faunus, filz de Picus,
192 LIVRE ÎII, CHAPITRE XXXVII
roy des Latins. En ceste manière voyons nous entre
les jongleurs, à la distribution des rolles , le per-
sonaige du Sot et du Badin estre tous jours repré-
senté par le plus périt et parfaictjoueur de leur com-
paignie. En ceste manière disent les mathématiciens
un mesmes horoscope estre à la nativité des roys et
des sotz, et donnent exemple de iEneas et Chorœ-
bus, lequel Euphorion dict avoir esté fol, qui eurent
un mesme genethliaque. Je ne seray hors de pro-
pous si je vous raconte ce que dict Jo. André sus
un canon de certain rescript papal, addressé au maire
et bourgeoys de la Rochelle, et après luy Panorme
en ce mesmes canon, Barbatia sus les Pandectes, et
recentement Jason en ses Conscilz, de Seigny
Joan, fol insigne de Paris, bisayeul de Caillette.
Le cas est tel :
« A Paris, en la roustisserie du Petit-Chastelet,
au davant de l'ouvrouoird'un roustisseur, un faquin
mangeoit son pain à la fumée du roust, et le trou-
voit, ainsi perfumé, grandement savoureux. Le
roustisseur le laissoit faire. En fin, quand tout le
pain feut baufré, le roustisseur happe le faquin au
collet, et vouloit qu'il lui payast la fumée de son
roust. Le faquin disoit en rien n'avoir ses viandes
endommaigé, rien n'avoir du sien prins, en rien ne
luy estre débiteur. La fumée dont estoit question
evaporoit par dehors : ainsi comme ainsi se perdoit
elle; jamais n'avoit esté ouy que dedans Paris on
cust vendu fumée de roust en rue. Le roustis-
PANTAGRUEL I^S
seur replicquoit que de fumée de son roust n'estoit
tenu nourrir les faquins, et renioit, en cas qu'il ne le
payast, qu'il lui housteroit ses crochetz. Le faquin
tire son tribart et se mettoit en défense. L'alterca-
tion feut grande. Le badault peuple de Paris
accourut au débat de toutes pars.
« Là se trouva à propous Seigny Joan le Fol, ci-
tadin de Paris. L'ayant apperceu, le roustisseur de-
manda au faquin : « Veulx-tu, sus nostre différent,
croire ce noble Seigny Joan? — Ouy, par le sam-
breguoy », respondit le faquin. Adoncques Seigny
Joan, avoir leur discord entendu_, commenda au
faquin qu'il luy tirast de son baudrier quelque pièce
d'argent. Le faquin lui mist en main ung tournoys
Philippus. Seigny Joan le print et le mist sus son
espaule guausche, comme explorant s'il estoit de
poys; puys le timpoit sus la paulme de sa main
guausche, comme pour entendre s'il estoit de bon
alloy; puys le posa sus la prunelle de son œil
droict, comme pour veoir s'il estoit bien mar-
qué.
« Tout ce feut faict en grande silence de tout le
badault peuple, en ferme attente du roustisseur et
desespoir du faquin. En fin, le feist sus l'ouvroir
sonner par plusieurs foys. Puys, en majesté prœ-
sidentale, tenent sa marote on poing, comme si
feust un sceptre, et affeublant en teste son chapperon
de martres cingesses à aureilles de papier fraizé à
poincts d'orgues, toussant préalablement deux ou
Rabelais. III. 2 5
194
LIVRE m, CHAPITRE XXXVII
trois bonnes foys, dist à haulte voix : « La cour
« vous dict que le faquin, qui a son pain mangé à
'i la fumée du roust, civilement a payé le roustisseur
« au son de son argent. Ordonne ladicte court que
« chascun se retire en sa chascuniere, sans despens,
<■( et pour cause. »
« Geste sentence du fol Parisien tant a semblé
équitable , voire admirable , es docteurs susdictz,
qu'ilz font doubte, en cas que la matière eust esté
on Parlement dudict lieu, ou en la Rotte à Rome,
voire certes entre les Areopagites, décidée, si
plus juridicquement eust esté par eulx sententié.
Pour tant advisez si conseil voulez de un fol
prendre. »
CHAPITRE XXXVIII
Comment par Pantagruel et Ponurge est TribouUet
blasonné.
XvÏ-Car mon ame, respondit Panurge, je le
veulx. Il m'est advis que le boyau
m'eslargit; je l'avois nagueres bien
serré et constipé. Mais, ainsi comme
avonschoizy la fine crème de sapience pour conseil,
aussi vouldrois je qu'en nostre consultation prae-
sidast quelqu'un qui feust fol en degré souverain.
— Triboulet, dist Pantagruel, me semble competen-
PANTAGRUEL l()^
tement fol. » Panurge
respond : « Proprement et
totallement fol. »
Pantagruel
Panurge
f. fatal.
f. de hauite game.
f. de nature.
f. debquarreet debmol.
f. céleste.
f. terrien.
f. jovial.
f. joyeulx et folastrant.
f. mercurial.
f. joUy et folliant.
f. lunaticque.
f. à pompettes.
f. erraticque.
f. à pilettes.
f. ecentricque.
f. à sonnettes.
f. seteré et Junonien.
f. riant et vénérien.
f. arcticque.
f. de soubstraicte.
f. héroïcque.
f. de mere-goutte.
f. génial.
f. de la prime cuvée.
f. praedestiné.
f. de montaison.
f. auguste.
f. original.
f. caesarin.
f. papal.
f. impérial.
f. consistorial.
f. royal.
f. conclaviste.
f. patriarchal.
f. buliste.
f. original.
f. synodal.
f. loyal.
f. episcopal.
f. ducal.
f. doctoral.
f. banerol.
f. monachal.
f. seigneurial.
f. fiscal.
f. palatin.
f. extravaguant.
f. principal.
f. à bourlet.
196 LIVRE III,
CHAPITRE XXXVIII
Pantagruel
Panurge
f. pretoriai.
f. total,
f. eleu.
f. curial.
f. primipile.
f. triumphant.
f-
à simple tonsure.
cotai.
gradué nommé en follie
commensal.
premier de sa^ licence
caudataire.
f. vulguaire.
f. domesticque.
f. exemplaire.
f-
de supererogation.
collatéral.
a latere altéré.
f. rare et'peregrin.
niais.
f. aulicque.
f. civil.
passagier.
branchier.
f. populaire,
f. familier.
aguard.
gentil.
f. insigne.
f. favorit.
f. latin,
f. ordinaire,
f. redoubté.
f. transcendent,
f. souverain.
f-
maillé.
pillart.
revenu de queue.
griays.
radotant.
de soubarbade.
boursouflé.
f. spécial,
f. metaphysical.
f. ecstaticque.
f. categoricque.
f. predicabic.
supercoquelicantieux.
corollaire.
de levant.
soubelin.
cramoisy.
f. dccumane.
tainct en iriaine.
PANTAGRUEL
97
Pantagruel
f. officieux,
f. de perspective.
f. d'algorisme.
f. d'algebra.
f. de caballe.
f. talmudicque.
f. d'Alguamala.
f. compendieux.
f. abrevié.
f. hyperbolicque.
f, antonomaticque.
f. allegoricque.
f. tropologicque.
f. pleonasmicque.
f. capital,
f. cerebreux.
f. cordial,
f. intestin,
f. epaticque.
f. spleneticque.
f. venteux,
f. légitime,
f. d'azimuth.
f. d'Almicantarath.
f. proportionné.
f. d'architrave,
f. de pedestal.
Panurge
f. bourgeoys.
f. vistempenard.
f. de gabie.
f. modal.
f. de seconde intention,
f. tacuin.
f. hétéroclite.
f. sommiste.
f. abreviateur.
f. de morisque.
f. bien bulle.
f. mandataire.
f. capussionnaire.
f. titulaire.
f. tapinois.
f. rébarbatif.
f. bien mentulé.
f. mal empiété.
f. couilart.
f. grimault.
f. esventé.
f. culinaire.
f. de haulte fustaie.
f. contrehastier.
f. marmiteux.
f. catharré.
f. braguart.
98
LIVRE m, CHAPITRE XXXVIIl
Pantagruel
Panurge
f. parraguon.
f. célèbre.
f. alaigre.
f. solennel.
f. annuel.
f. festival.
f. récréatif.
f. villaticque.
f. plaisant.
f. privilégié.
f. rusticque,-
f. ordinaire.
f. de toutes heures.
f. en diapason.
f. résolu.
f. hierogljphicque.
f. autenticque.
f. de valleur.
f. précieux.
f. fanaticque.
f. fantasticque.
f. lymphaticque.
f. panicque.
f. alambicqué.
f. non fascheux.
f. à xxiij caratz.
f. bigearre.
f. guinguoys.
f. à la martingualle.
f. à bastons.
f. à marotte,
f. de bons biés.
f. à la grande laise.
f. trabuchant.
f. susanné.
f. de rustrie.
f. à plein bust.
f. guourrier.
f. guourgias.
f. d'arrachepied.
f. de rébus,
f. à patron,
f. à chapron.
f. à double rebras.
f. à la damasquine,
f, de tauchie.
f. d'azemine.
f. barytonant.
f. mouscheté.
f. à espreuve de hacque-
butte.
PANTAGRUEL
99
Pant. Si raison estoit pourquoy jadis en Rome
les Quirinales on nommoit la feste des folz, jus-
tement en France on pourroit instituer les Triboul-
Utinales. Pan. Si tous folz portoient cropiere, il
auroit les fesses bien escorchées. Pant. S'il estoit
Dieu Fatuel, du quel avons parlé, mary de la dive
Fatue, son père seroit Bona-Dies, sa grande mère
Bone-Dée. Pan. Si tous folz alloient les ambles,
quoy qu'il ait les jambes tortes, il passeroit de une
grande toise. Allons vers luy sans séjourner.
De luy aurons quelque belle resolution, je m'y
attends.
— Je veux, dist Pantagruel, assister au jugement
de Brid'oye. Ce pendent que je iray en Myre-
lingues, qui est delà la rivière de Loyre, je depes-
cheray Carpalim pour de Bloys icy amener Tri-
boullet. »
Lors feut Carpalim depesché. Pantagruel, acom-
paigné de ses domesticques, Panurge, Epistemon,
Ponocrates, Frère Jan, Gymnaste, Rhizotome et
aultres, printle chemin de Myrelingues.
200 LIVRE III, CHAPITRE XXXIX
CHAPITRE XXXIX
Comment Pantagruel assiste au jugement du juge
Brid'oye, lequel sententioit les procès au sort des
dez.
u jour subséquent, à heure de l'assi-
gnation , Pantagruel arriva en Myre-
I lingues. Les président, sénateurs et
[conseillers le prièrent entrer avecques
eux, et ouyr la décision des causes et raisons que
allegueroit Brid'oye, pour quoy auroit donné cer-
taine sentence contre Tesleu Toucheronde, laquelle
ne sembloit du tout sequitable à icelle court cen-
tumvirale.
Pantagruel entre voluntiers, et là trouve Brid'oye
on mylieu du parquet assis, et, pour toutes raisons
et excuses, rien plus ne respondent, si non qu'il
estoit vieulx devenu, et qu'il n'avoit la veue tant
bonne comme de coustume, alléguant plusieurs
misères et calamitez que vieillesse apporte avecques
soy, lesquelles not. per Archid.^ d. Ixxxvj, c.
Tanta; pour tant ne congnoissoit il tant distincte-
ment les poinctz des dez comme avoit faict par le
passé. Dont povoit estre qu'en la façon que Isaac,
vieulx et mal voyant, print Jacob pour Esaû. ainsi
à la décision du procès dont estoit question, il
auroit prins un quatre pour un cinq^ nctammenf
réfèrent que lors il avoit usé de ses petits dez, et
PANTAGRUEL 20I
que par disposition de droict les imperfections de
nature ne doibvent estre imputées à crime, comme
apert ff. De re milit., l. Qui cum uno ; ff. De reg.
jur., l. Fere;ff.De edil. ed.(pertotum) ; ff. De term.
mo.j L Divus Adrianus^ résolu, per Lud. Ko. in L :
Si vero, ff. Solv. matri.; et qui aultrement feroit,
non l'home accuseroit, mais Nature, comme est
évident in L : Maximum vitium, c. De lib. prxter.
a Quels dez, demandoit Trinquamelle, grand
président d'icelle court, mon amy, entendez vous?
— Les dez, respondit Brid'oje, desjugemens, aîea
judiciorunij des quelz est escript par Decr,, c. 26,
q. ij, c. Sors; l. Nec emptio, ff. De contrah. em.pt,;
l. Quod debetur^ ff. De pecul. , et ibi Barthol., et
desquelz dez vous aultres, Messieurs, ordinaire-
ment usez en ceste vostre court souveraine, aussi
font tous aultres juges, en décision des procès,
suyvans ce qu'en a noté D. Henr. Ferrandat, et
no. Gl. in c. fin. De sortit. ^ et L Sed cum ambo, ff.
De judi., ubi Doct. notent que le Sort est fort bon,
honeste, utile et nécessaire à la vuidange des procès
et dissentions. Plus encores apertement l'ont dict
Bal., Bart. et Alex., c. Communia, de l. Si duo.
— Et comment, demandoit Trinquamelle, faictez
vous, mon amy? — Je, respondit Brid'oye, respon-
deray briefvement scelon l'enseignement de la 1.
Ampliorem, § m refutatoriis, c. De appela., et ce
que dict Gl. L j, ff. Quod met. caus.
gaudent brevitate moderni,
26
202 LIVRE III, CHAPITRE XXXIX
(( Je fays comme vous aultres , Messieurs, et
comme est l'usance de judicature , à laquelle nos
droictz commendent tousjours déférer, ut no. Extra.,
De consuet.j c. ex literis, et j'bi, Innoc.
(( Ayant bien veu, reveu, leu, releu, paperasse et
feueilleté les complainctes, adjournemens, compa-
ritions, commissions, informations, avant procédez,
productions, alleguations, intendictz, contredictz,
requestes, enquestes, répliques, dupliques, triplic-
ques , escriptures, reproches, griefz, salvations,
recollemens, confrontations, acarations, libelles,
apostoles, lettres royaulx, compulsoires, declina-
toires, anticipatoires, évocations, envoyz, renvoyz,
conclusions, fins de non procéder, apoinctemens,
reliefz, confessions, exploictz et aultres telles dragées
et espisseries d'une part et d'aultre, comme doibt
faire le bon juge, scelon qu'en a no. Spec, De
ordinario, § iij, et tit. De ofp. om. ju.,^ fi., et De
rescriptis prxsenta, § j, je pose sus le bout de la
table, en mon cabinet, tous les sacs du défendeur,
et luy livre chanse premièrement, comme vous
aultres. Messieurs, et est not., l. Favorabiliorcs, ff.
De reg. jiir., et in c. Cum sunt, eod. tit., lib. vj,
qui dict : Cum sunt partium jura obscura, reo fa-
vendum est potius quam actori.
(( Cela faict, je pose les sacs du demandeur, comme
vous aultres. Messieurs, sur l'aultre bout, visum
visu, car opposita, juxta se posita, magis elucescunt,
ut not. in l. j, § Vidcanvis, ff. De his [qui sunt sui
PANTAGRUEL
:o3
vel alie. jur.^ et in l. j, Munerum mixta, ff. De
muner. ef honor.; pareillement et quant et quand
je luy livre chanse.
— Mais, demandoit Trinquamelle, mon amy, à
quoy congnoissez vous l'obscurité des droictz
prae tendus par les parties playdoiantes? — Comme
vous aultres, Messieurs, respondit Brid'oye, sçavoir
est quand il y a beaucoup de sacs d'une part et de
l'aultre. Et lors je use de mes petiz dez, comme
vous aultres, Messieurs, suyvant la loy : Sempcr in
stipulationibus, ff. De reg. jur., et la loi versale ver-
sifiée,, q. eod. tit.
Semper in obscuris quod minimum est sequimur,
canonizée in c. In obscuris, eod. tit., lib. vj.
« J'ay d'aultres gros dez bien beaulx et harmo-
nieux, des quelz je use, comme vous aultres. Mes-
sieurs^ quand la matière est plus liquide, c'est à
dire quand moins y a de sacs.
— Cela faict, demandoit Trinquamelle, comment
sententiez vous, mon amy? — Comme vous aultres,
Messieurs, respondit Brid'oye : pour celluy je
donne sentence duquel la chanse hvrée par le sort
du dez, judiciaire, tribunian , prsetorial, premier
advient. Ainsi commendent nos droits ff. Qui po.
in pig. l. Potior, leg. Creditor., c. De consul., l. j.,
et De reg. jur., in vj : Qui prior est tempore
potior est jure. »
2 04 LIVRE III, CHAPITRE XL
CHAPITRE XL
Comment Bnd'oye expose les causes pourquoy il vi-
siîoit les procès qu'il decidoit par le sort des dez.
OYRE mais, demandoit Trinquamelle ,
mon amy, puis que par sort et ject
des dez vous faictez vos jugemens,
pourquoy ne livrez vous ceste chanse
le jour et heure propre que les parties controverses
comparent par davant vous, sans aultre delay ? De
quoy vous servent les escriptures et aultres procé-
dures contenues dedans les sacs? — Comme à vous
aultres, Messieurs, respondit Brid'oye : elles me
servent de trois choses exquises, requises et auten-
ticques.
« Premièrement, pour la Forme, en omission de
laquelle ce qu'on a faict n'estre valable prouve
très bien Spec, tit. De instr. edi., et tit. De rescrip.
prxseni.; d'advantaige, vous sçavez trop mieux que
souvent en procédures judiciaires les formalitez
destruisent les materialitez et substances, car, Forma
matata,mutaturSuhstantia, ff.adexhib., l. Julianus;
ff. ad kg. Falcid., l. Si is qui quadringenta, et Extra.,
De Dcci., c. Ad audientiam, et De célébra. Miss., c.
In quadam.
(( Secondement, comme à vous aultres, Messieurs,
me servent d'exercice honneste et salutaire. Feu
M. Othoman Vandare, grand medicin comme vous
PANTAGRUEL 20D
diriez, C, De comit. et archi.^ lib. xij, m'a dict
maintes foys que faulte d'exercitation corporelle
est cause unicque de peu de santé et briefveté de
vie de vous aultres, Messieurs, et tous officiers de
justice. Ce que tresbien avant luy estoit noté par
Bart. inl.'j.C. Desenten. « qux t> pro « eo<5fuo(i)). Pour-
tant sont comme à vous aultres, Messieurs, à nous
consécutivement, quia accessorium naturam sequitur
principalis, De reg. jur. lib. vj, et L: Cum principalis,
et L Nihil dolo., ff. eod. titu.; ff. De fîdejusso., l.
Fidejussor, et Extra. De ofp. ddeg., c. ;"., concédez
certains jeulx d'exercice honneste et récréatif, jf.
De al. lus. et aleat., l. Soient, et Autent. Ut omnes
obediant, in princ, coll. vij, et ff. Deprxscript. verb.,
l. Si gratuitam., et l. \j, C. : De spect., lib. xj, et
telle est l'opinion D. Thomx, in Secunda Secundx,
quxst. clxviij, bien à propousalleguéeparD. ^/ber.
de Kos., lequel fuit magnus practicus et docteur
solennel, comme atteste Barbatia in prin. Consil.
La raison est exposée per Gl. in Prxmio ff., § Ne
autem tertii :
Interpone tuis interdum gaudia curis.
(( De faict, un jour, en l'an 1489, ayant quelque
affaire bursal en la chambre de Messieurs les gene-
raulx, et y entrant par permission pécuniaire de
l'huissier, comme vous aultres, Messieurs, sçavez que
pecunix obediunt omnia, et l'a dict Bald. in l. Sin-
gularia, ff. Si certum pet., et Salie, in l. Keceptitia,
206 LIVRE m, CHAPITRE XL
C. De constit.pecun., et Card., in Cle. j, De haptis.,
je les trouvay tous jouans à la mousche par exer-
cice salubre, avant le past ou après, il m'est indif-
fèrent, pourveu que hic no. que le jeu de la mousche
est honneste, salubre, antique et légal, à Musco in-
ventore, de quo C, De petit, hscred., l. Si post
motam, et Muscarii.j.j ceulx qui jouent à la mousche
sont excusables de droict, /. ;_, C.,De excus, artif.,
lib. X. Et pour lors estoit de mousche M. Tielman
Picquet, il m'en soubvient, et rioyt de ce que
Messieurs de la dicte chambre guastoient tous leurs
bonnetz à force de luy dauber ses espaules; les
disoit ce nonobstant n'estre de ce deguast de
bonnetz excusables au retour du Palais envers leurs
femmes^ par c. y. Extra. De prxsump., et ibi Gl.
« Or, resolutorie loquendo,']e diroys, comme vous
aultres, Messieurs, qu'il n'est exercice tel, ne plus
aromatisan en ce monde palatin, que vuider sacs,
feuilleter papiers, quotter cayers, emplir paniers et
visiter procès, ex Bart. et Jo. de Pra., in l. Falsa
de condit. et de mon. ff.
« Tiercementj comme vous aultres, Messieurs,
je considère que le temps meurist toutes choses;
par temps toutes choses viennent en évidence; le
temps est père de vérité, Gl. in l. j, C. De Servit.
Autent., De restit. et ea qux pa., et Spec. cit.. De
requis, cons. C'est pourquoy, comme vous aultres.
Messieurs, je sursoye, délaye et diffère le jugement,
affin que le procès, bien ventilé, grabelé et debatu,
PANTAGRUEL 207
vieigne par succession de temps à sa maturité, et le
sort par après advenent soit plus doulcettement
porté des parties condemnées, comme no. Glo.^ ff.
De excu. tut., l. Tria onera :
Portatur leviter, quod portât quisque libenter.
« Le jugeant crud, verd et au commencement,
dangier seroit de l'inconvénient que disent les me-
dicins advenir quand on perse un aposteme avant
qu'il soit meur, quand on purge du corps humain
quelque humeur nuysant avant sa concoction. Car,
comme est escript in Autent., hxc Constit. Inno.
const.,inprin.,et\e rejeté Gl. inc. Cœterum^ Extra.,
De jura, calum. : Quod medicamenta morbis exhi-
bent, hoc jura negotiis. Nature d'adventaige nous
instruict cuillir et manger les fruictz quand ils sont
meurs, Instit., De re. di., § 7s ad quem, etff. De acti.
empt., l. Julianus, marier les filles quand elles sont
meures, ff. D. donat. int. vir. et uxo., l. Cum hic
status, § Si quia sponsa, et xxvij Q^, j c, sicut
dict Gl. :
Jam matura thoris plenis adoleverat annis
Virginitas,
« Rien ne faire qu'en toute maturité^ xxiij Q.,
C. ij, § ult., clxxxiij d., c. ult. »
LIVRE m, CHAPITRE XLI
CHAPITRE XLI
Comment Brid'oye narre l'histoire de l'apoincteur
de procès.
L me soubvient à ce propous, disl
.Brid'oye continuant, que, on temps
Q^^ ^^^^<îue j'estudiois à Poictiers en droicl,
«^k.4s^-W^i^soubs Brocadium Juris , estoit à Se-
mervé un nommé Perrin Dendin, home honorable,
bon laboureur, bien chantant au letrain, home de
crédit et aagé autant que le plus de vous aultres,
Messieurs, lequel disoit avoir veu le grand bon
home Concile de Latran, avecques son gros chap-
peau rouge; ensemble la bonne dame Pragma-
ticque Sanction, sa femme, avecques son large tissu
de satin pers et ses grosses patenostres de gayet.
« Cestuy home de bien apoinctoit plus de procès
qu'il n'en estoit vuidé en tout le Palais de Poic-
tiers, en l'Auditoire de Monsmorillon, en la Halle
de Parthenay le Vieulx, ce que le faisoit vénérable
en tout le voisinage, de Chauvigny, Nouaillé,
Croutelles, Aisgne, Legugé, La Motte, Lusignan,
Vivonne, Mezeaulx, Estables et lieux confins. Tous
les debatz, procès et differens estoient par son de-
vis vuidez, comme par juge souverain, quoy que
juge ne feust, mais home de bien. Arg. in /. Scd
si uniuSj ff. De jurejii., et De verb. oblig., l. Con-
tinuas.
PANTAGRUEL
209
« Il n'estoit tué pourceau en tout le voisinage
dont il n'eust de la bastille et des boudins, et estoit
presque tous les jours de banquet, de festin, de
nopces, de commeraige, de relevailles, et en la ta-
verne, pour faire quelque apoinctement, entendez,
car jamais n*apoinctoit les parties qu'il ne les feist
boyre ensemble, par symbole de reconciliation,
d'accord perfaict et de nouvelle joye, ut no. per
Doct., ff. De péri, et Comm. Kei vend., l. j.
« Il eut un fîlz nommé Tenot Dendin, grand
hardeau et gualant home, ainsi m'aist Dieu, lequel
semblablement voulut s'entremettre d'apoincter les
plaidoians, comme vous sçavez que
Ssepe solet similis fiUus esse patri.
Et sequitur kviler filia matris iter.
Ut ait GL, vj q., j c. : Si quis ; G. De cons., q. v,
c. j fi.; et est no. per Doct., c. De impu. et aliis
suhst., l. ult. et l. Légitima, ff. De stat. hom., Gl.
in l. Qiiod si nolit, ff. De cdil. éd., l. Quis, C. ad
le. Jul. majest. — excipio fîlios a moniali susceptos ex
monacho , — per Gl. in c. : Impudicas , xxvij ,
et se nommoit en ses tiltres : l'Apoincteur des
procès.
« En cestuy négoce tant estoit actif et vigilant,
car vigilantibus jura suhveniunt, ex l. Pupillus, ff.
Qux in fraud. cred., et ibid. l. : Non enim, et In-
stit. in Proœmio, que, incontinent qu'il sentoit, ut
ff. Si quad. pau. fcc, l. Agaso, GL in verbo a 01-
Rabelais. III, 27
2IO LIVRE III, CHAPITRE XLI
fecit » I. « nasum ad culum posait ;>, et entendoit
par pays estre meu procès ou débat, il se ingeroit
d'apoincter les parties.
« Il est escript : Qui non lahorat, non manig€-
ducat, et le dict GL, ff. De dam. infect., l. Quam-
vis, et currere plus que le pas
Vetulam compellit egestas;
GL, ff. De lib. agnos., l. Si quis pro qua facit; l. Si
plures, C. De cond. inccr.
« Mais en tel affaire il feut tant malheureux que
jamais n'apoincta différent quelconques, tant petit
feust il que sçauriez dire; en lieu de les apoincter,
il les irritoit et aigrissoit d'adventaige.
« Vous sçavez, Messieurs, que
Sermo daiur cunctis, animi sapientia paucis,
GL, ff. De alie. ju. mu. caus. fa., l. ij, et disoient
les taverniers de Semarvé que, soubs luy, en un an,
ilz n'avoient tant vendu de vin d'apoinctation,
ainsi nommoient ilz le bon vin de Legugé, comme
ilz faisoient soubz son père en demie heure. Ad-
vint qu'il s'en plaignit à son père, et referoit les
causes de ce meshaing en la perversité des homes
de son temps, franchement luy objectant que, si on
temps jadis le monde eust esté ainsi pervers, play-
doiart, detravé et inapoinctable, il son père n'eust
acquis l'honneur et tiltre d^Apoinctcur tant irréfra-
gable comme il avoit.
« En quoy faisoit Tenot contre le droict, par
PANTAGRUEL 211
lequel est es enfans défendu reprocher leurs propres
pères, per Gl. et Bart., l. iij, § Si quis, ff. De condi.
ob caus.f et Autent., De nup., § Sed quod sanci-
tum, Coll. iiij.
« Il faut, respondit Perrin, faire aul trament,
Dendin, mon filz. Or,
Quand oportet vient en place,
Il convient qu'ainsi se face.
C. De appell., l. Eos etiam. Ce n'est là que gist
le lièvre.
« Tu n'apoincte jamais les differens. Pourquoy ?
Tu les prens dés le commencement, estans encores
verds et cruds. Je les apoincte tous. Pourquoy? Je
les prens sur leur fin, bien meurs et digérez. Ainsi
dict Gl. :
Dulcior est fructus post multa pericula ductus,
l. Non morituriis, Ç. De contrah. et commit, stip.
« Ne sçais tu qu'on dict, en proverbe commun,
heureux estre le médecin qui est appelé sus la de-
clination de la maladie ? La maladie de soy critic-
quoit et tendoit à fin, encores que le médecin n'y
survint. Mes plaidoieurs semblablement de soy
mesmes declinoient on dernier but de playdoirie,
car leurs bourses estoient vuides; de soy cessoient
poursuyvre et solliciter; plus d'aubert n*estoit en
fouillouse pour solliciter et poursuyvre.
Déficiente pecu, déficit omne, nia.
212 LIVRE III, CHAPITRE XLI
« Manquoit seulement quelqu'un qui feust comme
paranjmphe et médiateur, qui premier parlast
d'apoinctement, pour soy saulver l'une et l'aultre
partie de ceste pernicieuse honte qu'on eust dict :
« Cestuy cy premier s'est rendu ; il a premier parlé
« d'apoinctement; il a esté las le premier; il n'avoit
« le meilleur droict ; il sentoit que le bast le bles-
« soit. » Là, Dendin, je me trouve à propous,
comme lard en poys; c'est mon heur, c'est mon
guaing, c'est ma bonne fortune.
« Et te diz, Dendin, mon fîlz jolly, que par ceste
méthode je pourrois paix mettre, ou trêves pour le
moins, entre le grand Roy et les Vénitiens, entre
l'empereur et les Suisses , entre les Anglois et
Escossois, entre le pape et les Ferrarois. Iray je
plus loingPCe m'aist Dieu, entre le Turc et le
Sophy, entre les Tartres et les Moscovites. Entends
bien : je les prendrois sus l'instant que les uns et
les aultres seroient las de guerroier, qu'ilz auroient
vuidé leurs coffres, expuisé les bourses de leurs sub-
jectz, vendu leur dommaine, hypothéqué leurs ter-
res, consumé leurs vivres et munitions. Là, de par
Dieu ou de par sa Mère, force forcée leurs est re-
spirer et leurs felonnics modérer. C'est la doctrine
in Gl. xxxvij, d. c : Si quando :
Odero si potero ; si non, in^'itus amaho. »
PANTAGRUEL 2l3
CHAPITRE XLII
Comment naissent les procès^ et comment Hz viennent
à perfection.
'est pourquoy, dist Brid'oye, conti-
nuant, comme vous aultres, Messieurs,
je temporize, attendant la maturité
-.^S^êS^du procès et sa perfection en tous
membres : ce sont escriptures et sacs. Arg. in l. Si
major. j C. Commu. divi. et De cons., d. j, C. So-
lennitateSj et ibi Gl.
« Un procès à sa naissance première me semble,
comme à vous aultres, Messieurs, informe et im-
parfaict. Comme un ours naissant n'a pieds ne
mains, peau, poil ne teste; ce n'est qu'une pièce
de chair rude et informe ; l'ourse, à force de lei-
cher, la mect en perfection des membres, ut no.
Doct., ff. ad kg. Aquil., l. ij, in fi.
« Ainsi voy je, comme vous aultres. Messieurs,
naistre les procès, à leurs commencemens, informes
et sans membres; ilz n'ont qu'une pièce ou deux :
c'est pour lors une laide beste. Mais, lors qu'ilz
sont bien entassez, enchâssez et ensachez, on les
peut vrayement dire membruz et formez. Car forma
dat esse rei, l. Si is qui, ff. ad. leg. Falci. in c. Cum
dilecta, Extra.; De rescrip.;Barbatia,Consil. \2, lib.
1, et davantluy BaXd. in c. Ult. Extra. De consue., et
214
LIVRE m, CHAPITRE XLII
/. Julianus, ff. Ad exib., et l. Quœsitum, ff. De
lega. iij. La manière est telle que dict Gl.,p. q.jc.
Paulus :
Débile principium metior foriuna sequetur.
Comme vous aultres, Messieurs^ semblablement les
sergens, huissiers, appariteurs, chiquaneurs, procu-
reurs, commissaires, advocatz, enquesteurs, tabel-
lions, notaires, grephiers et juges pedanées, De
quibus tit. est lib. iij Cod., sugsants bien fort et
continuellement les bourses des parties, engendrent
à leurs procès teste, pieds, gryphes, bec, dents,
mains, venes, artères, nerfz, muscles, humeurs; ce
sont les sacs ; G/. De cons., d. iiij, c. Accepisti.
Qualis l'estis erit, talia corda gerit.
Hic no. qu'en ceste qualité plus heureux sont les
plaidoyans que les ministres de justice, car beatius
est dare quam accipere, ff. Comm., l. iij. et Extra.
De célébra. Miss.j c. Ciim Marthx, ef 24 Ç^., j c,
c. Odi., Gl.
Affectum dantis pensât censura tonantis.
<( Ainsi rendent le procès perfaict, gualant et bien
formé, comme dict Gl. Can. :
Accipe, sume, cape, sunt verba placentia Papx.
« Ce que plus apcrtement a dict Albcr. de Kos., in
vcrb. Konna :
PANTAGRUEL 2l5
Roma manus rodit; quas rodere non valet, odii;
Dantes custodit ; non dantes spernît et odit.
« Raison pourquoy?
Ad prssens ova cras pullis sunt meliora,
ut est Glo., in l. Quuin /ii, ff. De transac. L'incon-
vénient du contraire est mis in Gl. C. De allu.,
l. fi. :
Cum labor in damno est, crescit mortalis egestas.
« La vraye etjmologie de Procès est en ce qu'il
doibt avoir en ses prochatz prou sacs. Et en avons
brocards deificques : Litigando jura crescunt ; Liti-
gando jus acquiritur ; Item Gl. in c. Illud, Ext. De
prœsumpt.j et C. De prob., l. Instrumenta, L Non
epistolisy l. Non nudis.
Et, cum non prosunt singula, multa juvant.
— Voyre mais, demandoit Trinquamelle, mon
amy, comment procédez vous en action criminelle,
la partie coupable prinse flagrante crimine ? —
Comme vous aultres, Messieurs, respondit Brid'oye :
je laisse et commande au demandeur dormir bien
fort pour l'entrée du procès, puys davant moy con-
venir, me apportant bonne et juridicque attestation
de son dormir, scelon la Gl. 32^ Q. vij, c. : Si
quis cum,
Quandoque bonus dormitat Homerus.
Cestuy acte engendre quelque aultre membre; de
2:6 LIVRE III, CHAPITRE XLII
celuy là naist un aultre, comme Maille à maille est
faict le aubergeon. En fin, je trouve le procès bien
par informations formé et perfaict en ses membres.
Adoncques je retourne à mes dez. Et n'est par moy
telle interpollation sans raison faicte et expérience
notable.
« Il me soubvient que on camp de Stokolm, un
Guascon nommé Gratianauld, natif de Sain-Sever,
ayant perdu au jeu tout son argent, et de ce gran-
dement fasché, comme vous sçavez que pecunia est
alter sanguis^ ut ait Anto. de Butrio in c. accedens,
ij, Extra., Ut lit. non contest., et Bald. in l. Si tuis,
C. De op. li. per no., et l. Advocati, C. De advo.
div. jud. : Pecunia est vita hominis, et optimus fîde-
jussor in necessitatibus, à l'issue du berland, davant
tous ses compaignons, disoit à haulte voix : « Pao
« cap de bious, hillotz, que maulx de pippe bous
« tresbyre; ares que pergudes sont les mies bingt
« et quouatte baguettes, ta pla donnerien picz,
a trucz et patactz. Sey degun de bous aulx, qui
« boille truquar ambe iou à belz embiz? » Ne res-
pondent personne, il passe on camp des Hondres-
pondres, et reïteroit ces mesmes parolles, les invi-
tant à combattre avecques luy. Mais les susdictz
disoient : « Der Guascongner thut schich usz mitt
« eim jedem ze schlagen, aber er ist geneigter zu
« staelen ; darumb, lieben frauven , hend serg zu
« unscrm hausraut. » Et ne se olîril au combat
personne de leur ligue.
PANTAGRUEL
217
« Pourtant passe le Guascon au camp des adven-
turiers François, disant ce que dessus, et les invitant
au combat guaillardement avecques petites gam-
bades guasconiques. Mais personne ne luy respondit.
Lors le Guascon au bout du camp se coucha, prés
les tentes du gros Christian , chevallier de Crissé,
et s'endormit. Sus l'heure un adventurier, ayant pa-
reillement perdu tout son argent, sortit avecques
son espée, en ferme délibération de combattre
avecques le Guascon, veu qu'il avoit perdu comme
luy :
Ploratur lachrymis amissa pecunia vtris,
dict Glos.De pœnitent.f dist3, c.Suntplures. Defaict,
l'ayant cherché par my le camp, finablement le
trouva endormy. Adoncques luy dist : « Sus ! ho !
« hillot de tous les diables, levé toy : j'ay perdu
« mon argent aussi bien que toy. Allons nous
« battre guaillard, et bien à poinct frotter nostre
« lard. Advise que mon verdun ne soit poinct plus
« long que ton espade. » Le Guascon tout es-
blouy luy respondit : « Cap de Sainct Arnault,
« quau seys tu, qui me rebelliez? Que mau de
« taouerne te gyre ! Ho ! Sainct Siobé, Cap de
(( Guascoigne ! ta pla dormie ïou, quand aquoest
« taquain mebingutestée. » L'adventurier leinvitoit
derechef au combat; mais le Guascon lui dist:
« Hé paovret, ïou te esquinerie, ares que son pla
« reposât. Vayne un pauc qui te posar com ïou,
28
2IÔ LIVRE III, CHAPITRE XLII
« puesse truqueren. » Avecques l'oubliance de sa
perte il avoit perdu l'envie de combatre. Somme,
en lieu de se batre et soy par adventure entretuer,
ilz allèrent boire ensemble, chascun sus son espée.
Le sommeil avoit faict ce bien, et pacifié la fla-
grante fureur des deux bons champions.
« Là compete le mot doré de Joan. And. in c.
ult. De sent, et re judic, libro sexto : Sedendo et
quiescendo fît anima prudens.
CHAPITRE XLIII
Comment Pantagruel excuse Brid'oye sus les jugemens
faitz au sort des dez.
TANT se teut Brid'oye. Trinquamelle
luy commanda issir hors la chambre
du parquet, ce que feut faict. Alors
dist à Pantagruel :
« Raison veult, Prince tresauguste, non par l'o-
bligation seulement en laquelle vous tenez par
infinis bien faictz cestuy parlement et tout le mar-
quisat de Myrelingues, mais aussi par le bon sens,
discret jugement et admirable doctrine que le
grand Dieu dateur de tous biens a en vous posé,
que vous présentons la décision de ceste matière
tant nouvelle, tant paradoxe et extrange de Brid'oye,
qui, vous présent, voyant et entendent, a confessé
juger au sort des dez. Si vous prions que en veueillez
PANTAGRUEL 219
sententier comme vous semblera juridicque et
^équitable. »
A ce respondit Pantagruel :
« Messieurs, mon estât n'est en profession de
décider procès, comme bien sçavez; mais, puysque
vous plaist me faire tant d'honneur, en lieu de faire
office de juge, je tiendraj lieu de suppliant. En
Brid'oye je recongnois plusieurs qualitez, par les
quelles me sembleroit pardon du cas advenu mé-
riter : premièrement vieillesse, secondement sim-
plesse, es quelles deux vous entendez trop mieulx
quelle facilité de pardon et excuse de mesfaict nos
droictz et nos loix oultroyent. Tiercement, je re-
congnois un aultre cas pareillement en nos droictz
deduict à la faveur de Brid'oye : c'est que ceste
unicque faulte doibt estre abolie, extaincte et
absorbée en la mer immense de tant d'équitables
sentences, qu'il a donné par le passé, et que par
quarante ans et plus on n'a en luy trouvé acte digne
de reprehension, comme si en la rivière de Loyre
je jectois une goutte d'eaue de mer, pour ceste
unicque goutte, persone ne la sentiroit^ personne
ne la diroit sallée.
« Et me semble qu'il y a je ne sçay quoy de
Dieu qui a faict et dispensé qu'à ces jugemens de
sort toutes les précédentes sentences ayent esté
trouvées bonnes en ceste vostre vénérable et sou-
veraine court, lequel, comme sçavez, veult souvent
sa gloire apparoistre en l'hebetation des saiges,
220 LIVRE III, CHAPITRE XLIII
en la dépression des puissans et en l'érection des
simples et humbles. Je mettray en obmission toutes
ces choses. Seulement vous priray, non par celle
obligation que prétendez à ma maison, laquelle je
ne recongnois, mais par l'affection syncere que de
toute ancienneté avez en nous congneue, tant deçà
que delà Loyre, en la mainctenue de vostre estât
et dignitez, que pour ceste fois luy veueillez
pardon oultroyer, et ce en deulx conditions : pre-
mièrement, ayant satisfaict ou protestant satisfaire
à la partie condemnée par la sentence dont est
question, à cestuy article je donneray bon ordre
et contentement; secondement, qu'en subside de
son office vous lui bailliez quelqu'un plus jeune,
docte, prudent, périt et vertueux conseiller, à l'ad-
vis duquel dorénavant fera ses procédures judi-
ciaires.
(( En cas que le voulussiez totalement de
son office déposer, je vous priray bien fort me en
faire un présent et pur don. Je trouveray par mes
royaulmes lieux assez et estatz pour l'employer et
me en servir. A tant suppliray le bon Dieu créateur,
servateur et dateur de tous biens, en sa saincte
gruce perpétuellement vous maintenir. »
Ces motz ditz, Pantagruel feist révérence à toute
la court et sortit hors le parquet. A la porte trouva
Panurge, Epistemon, Frère Jan et aultres. Là mon-
tèrent à cheval pour s'en retourner vers Gargantua.
Par le chemin, Pantagruel leur comptoit de poinct
PANTAGRUEL 221
en poinct l'histoire du jugement de Brid'oye. Frère
Jan dist qu'il avoit cogneu Perrin Dendin on
temps qu'il demouroitàla Fontaine-le-Conte, soubs
le noble Abbé Ardillon. Gymnaste dist qu'il estoit
en la tente du gros Christian, chevallier de Crissé,
lors que le Guascon respondit à l'adventurier. Pa-
nurge faisoit quelque difficulté de croire l'heur
des jugemens par sort, mesmement par si long
temps.
Epistemon dist à Pantagruel : « Histoire parallèle
nous compte l'on d'un prevost de Monslehery.
Mais que diriez vous de cestuy heur des dez con-
tinué en succès de tant d'années? Pour un ou deux
jugemens ainsi donnez à l'adventure je ne me
esbahirois, mesmement en matières de soy ambiguës,
intrinquées, perplexes et obscures. »
CHAPITRE XLIIII
Comment Pantagruel racompte une estrange histoire
des perplexitez du jugement humain.
OMME feut, dist Pantagruel, la con-
troverse débattue davant Cn. Dola-
bella, proconsul en Asie. Le cas est
^tel:
«Une femme, en Smyrne, de son premier mary
eut un enfant nommé A-Bé-Cé. Le mary defunct,
après certain temps elle se remaria , et de son
222 LIVRE III, CHAPITRE XLIV
second mary eut un filz nommé Effe-Gé. Advint,
comme vous sçavez que rare est l'affection des
peratres, vitrices, noverces et meratres envers les
enfans des defuncts premiers pères et mères, que
cestuy mary et son filz occultement, en trahison,
de guet à pens, tuèrent A-Bé-Cé. La femme, en-
tendent la trahison et meschanceté, ne voulut le
forfaict rester impuny, etlesfeist mourir tous deux,
vengeante la mort de son filz premier. Elle feut
par la justice appréhendée et menée davant Cn.
Dolabella. En sa présence, elle confessa le cas
sans rien dissimuler, seulement alleguoit que de
droict et par raison elle les avoit occis. C'estoit
Testât du procès. Il trouva l'affaire tant ambigu
qu'il ne sçavoit en quelle partie incliner. Le crime
de la femme estoit grand, laquelle avoit occis ses
mary second et enfant; mais la cause du meurtre
luy sembloit tant naturelle, et comme fondée en
droict des peuples, veu qu'ilz avoient tué son fils
premier, eulx ensemble, en trahison, de guet à
pens, non par luy oultragez ne injuriez, seulement
par avarice de occuper le total héritage, que pour
la décision il envoya es Areopagites, en Athènes,
entendre quel seroit sur ce leur advis et jugement.
Les Areopagites feirent response que cent ans
après personnellement on leurs envoiast les parties
contendantes, affin de respondre à certains interro-
gualoires qui n'estoient on procès verbal contenuz.
C'estoit à dire que tant grande leurs sembloit la
PANTAGRUEL 223
perplexité et obscurité de la matière qu'ilz ne sça-
voient qu'en dire ne juger. Qui eust décidé le cas
au sort des dez, il n'eusterré, advint ce quepouroit.
Si contre la femme, elle raeritoit punition, veu
qu'elle avoit faict la vengence de soy, laquelle
apartenoit à Justice. Si pour la femme, elle sem-
bloit avoir eu cause de douleur atroce. Mais en
Brid'oye la continuation de tant d'années me
estonne.
— Je ne sçaurois, respondit Epistemon, à votre
demande categoricquement respondre ; force est
que le confesse. Conjecturallement je refererois
cestuy heur de jugement en l'aspect bénévole des
cieulx et faveur des Intelligences motrices, les
quelles, en contemplation de la simplicité et affec-
tion syncere du juge Brid*oye, qui, soy defïiant de
son sçavoir et capacité, congnoissant les antinomies et
contrarietez des loix, des edictz, des coustumes et
ordonnances, entendent la fraulde du Calumniateur
infernal, lequel souvent se transfigure en messagier
de lumière, par ses ministres, les pervers advocatz,
conseilliers, procureurs et aultres telz suppoz, tourne
le noir en blanc, faict phantastiquement sembler à
l'une et l'aultre partie qu'elle a bon droict, comme
vous sçavez qu'il n'est si maulvaise cause qui ne
trouve son advocat, sans cela jamais ne seroit procès
on monde, se recommanderoit humblement à Dieu
le juste juge, invoqueroit à son ayde la grâce céleste,
se deporteroit en l'esprit sacro-sainctdu hazard et
224 LIVRE m, CHAPITRE XLIV
perplexité de sentence définitive, et par ce sort
exploreroit son décret et bon plaisir, que nous ap-
pelions arrest; remueroient et tourneroient les dez
pour tomber en chance de celluy qui, muny de
juste complaincte, requeroit son bon droict estre
par Justice maintenu, comme disent lesTalmudistes,
en sort n'estre mal aulcun contenu, seulement par
sort estre en anxiété et doubte des humains mani-
festée la volunté divine.
i( Je ne vouldrois penser ne dire, aussi certes ne
croy je, tant anomale est l'iniquité et corruptele
tant évidente de ceulx qui de droict respondent en
icelluy parlement myrelinguois en Mirelingues ,
que pirement ne seroit un procès décidé par ject
des dez, advint ce que pourroit, qu'il est passant
par leurs mains pleines de sang et de perverse
affection; attendu mesmement que tout leur di-
rectoire en judicature usuale a esté baillé par un
Tribunian, home mescreant, infidèle, barbare, tant
maling,tantpervers,tantavareetinique, qu'il vendoit
les loix, les edictz, les rescriptz, les constitutions et
ordonnances en purs deniers, à la partie plus offrante ;
et ainsi leurs a taillé leurs morseaulx par ces petitz
boutz et eschantillons des loix qu'ilz ont en usaige, le
reste supprimant et abolissant qui faisoitpour la loy
totale, de paour que, la loy entière restante et les
livres des antiques jurisconsultes veuz sus l'expo-
sition des Douze Tables et edictz des prccteurs,
feust du monde apertement sa meschanceté cogneue.
PANTAGRUEL 225
« Pour tantser'oit ce souvent meilleur, c'est à dire
moins de mal en adviendroit es parties controverses
marcher sus chausses trapes que de son droict soy
déporter en leurs responses et jugemens, comme
soubhaitoit Caton de son temps, et conseilloit
que la court judiciaire feust de chausses trappes
pavée. »
CHAPITRE XLV
Comment Panurge se conseille à Triboullet.
u sixième jour subséquent, Pantagruel
feut de retour, en l'heure que par
eaue de Bloys estoit arrivé Triboul-
let. Panurge, à sa venue, luy donna
une vessie de porc bien enflée, et resonnante à
cause des poys qui dedans]estoient; plus une espée
de boys bien dorée ; plus une petite gibbessiere
faicte d'une cocque de tortue; plus une bouteille
cUssée, pleine de vin breton, et un quarteron de
pommes Blandureau.
« Comment l dist Carpalim, est il fol comme un
chou, à pommes? » Triboullet ceignit l'espée et la
gibbessiere, print la vessie en main, mangea part
des pommes, beut tout le vin.
Panurge le reguardoit curieusement, et dist : « En-
cores ne veids je oncques fol, et si en ay veu pour
Rabelais. III. ^9
226 LIVRE III, CHAPITRE XLV
plus de dix mille francs, qui ne beust voluntiers et
à longs traictz. »
Depuys luj exposa son affaire en parolles rhéto-
riques et eleguantes. Davant qu'il eust achevé,
Triboullet lui bailla un grand coup de poing entre
les deux espaules, luy rendit en main la bouteille,
le nazardoit avecques la vessie de porc, et pour
toute responce luydist, branslant fort bien la teste :
« Par Dieu, Dieu, fol enraigé, guare moine, corne-
muse de Buzançay ! »
Ces parolles achevées, s'esquarta de la compaignie,
et jouoit de la vessie, se délectant au mélodieux son
des poys. Depuys ne feut possible tirer de luy mot
queconques. Et, le voulant Panurge d'adventaige
interroger, Triboullet tira son espéedeboys et l'en
voulut ferir.
« Nous en sommes bien, vrayement ! dist Pa-
nurge. Voylà belle resolution! Bien fol est il, cela
ne se peult nier; mais plus fol est celluy qui me
l'amena, et je tresfol, qui luy ay communicqué mes
pensées.
— C'est, respondit Carpalim, droict visé à ma
visière.
— Sans nous esmouvoir, dist Pantagruel^ consi-
dérons ses gestes et ses dictz. En iceulx j'ay noté
mystères insignes, et plus tant que je souloys ne
m'esbahys de ce que les Turcs révèrent telz folz
comme musaphiz et prophètes. Avez vous consi-
déré comment sa teste s'est, avant qu'il ouvrist la
PANTAGRUEL 227
bouche pour parler, crouslée et esbranslée ? Par la
doctrine des antiques philosophes, par les cérémo-
nies des mages et observations des jurisconsultes,
povez juger que ce mouvement estoit suscité à la
venue et inspiration de l'esprit fatidicque, lequel,
brusquement entrant en débile et petite substance,
comme vous sçavez que en petite teste ne peut
estre grande cervelle contenue, l'a en telle manière
esbranslée que disent les medicins tremblement
advenir es membres du corps humain, sçavoir est,
part pour la pesanteur et violente impétuosité du
fays porté, part pour l'imbécillité de la vertus et
organe portant. Exemple manifeste est en ceulx
qui à jeun ne peuvent en main porter un grand
hanap plein de vin sans trembler des mains. Cecy
jadis nous praefiguroit la divinatrice Pythie, quand,
avant respondre par l'oracle, escroulloit son laurier
domesticque. Ainsi dict Lampridius que l'empereur
Heliogabalus, pour estre réputé divinateur, par
plusieurs festes de son grand Idole, entre les re-
taillatz fanaticques, bransloit publicquement la
teste. Ainsi déclare Plaute en son Asnerie que
Saurias cheminoit branslant la teste, comme furieux
et hors du sens, faisant paour à ceulx qui le ren-
controient; et ailleurs, exposant pourquoy Charmi-
des bransloit la teste, dict qu'il estoit en ecstase.
Ainsi narre Catulle, en Berecynthia et Athys, du
lieu on quel les Meenades, femmes bacchicques,
prebstresses de Bacchus, forcenées, divinatrices,
228 LIVRE III, CHAPITRE XLV
portantes rameaulx de lierre, bransloient les testes,
comme en cas pareil faisoient les Gais escouillez,
prebstres de Cybele, celebrans leurs offices, d'ont
ainsi est dicte, scelon les antiques théologiens, car
KitCiO'xi signifie rouer, tortre, bransler la teste et
faire le torti colli. Ainsi escript T. Live que, es
Bacchanales de Rome, les hommes et femmes sem-
bloient vaticiner, à cause de certain branslement et
jectigation du corps par eux contrefaicte, car la
voix commune des philosophes et l'opinion du
peuple estoient vaticination ne estre jamais des
Cieulx donnée sans fureur et branslement du corps,
tremblant et branslant non seulement lors qu'il la
recevoit, mais lors aussi qu'il la manifestoit et de-
clairoit.
« De faict, Julian, jurisconsulte insigne, quel-
ques foys interrogé si le serf seroit tenu pour sain
lequel en compaignie de gens fanaticques et furieux
auroit conversé, et par adventure vaticiné, sans
toutesfoys tel branslement de teste, respondit estre
pour sain tenu. Ainsi voyons nous de présent les
précepteurs et peedagogues esbransler les testes de
leurs disciples, comme on faict un pot par les anses,
par vellication et érection des aureilles, qui est,
scelon la doctrine des saiges égyptiens, membre
consacré à Mémoire, affin de remettre leurs sens,
lors par adventure esguarez en pensemens estran-
ges, et comme effarouchez par affections abhor-
rantes, en bonne et philosophicque discipline ; ce
1
PANTAGRUEL 229
que de soy confesse Virgile en Tesbranslement de
Apollo Cynthius. »
CHAPITRE XLVI
Comment Pantagruel et Panurge diversement inter-
prètent les parolles de Trihoullet.
^ L dict que vous estes fol. Et quel fol?
^;^;^^Fol enragé, qui sus vos vieulx jours
^^jt^ voulez en mariage vous lier et asser-
^^i^vir. Il vous dict : « Guare moine. »
Sus mon honneur, que par quelque moine vous
serez faict coqu, je enguaige mon honneur; chose
plus grande ne sçauroys, fusse je dominateur unic-
que et pacifîcque en Europe, Africque et Asie.
Notez combien je défère à nostre morosophe Tri-
houllet. Les aultres oracles et responses vous ont
résolu pacificquement coqu, mais n'avoient encores
apertement exprimé par qui seroit vostre femme
adultère et vous coqu. Ce noble Trihoullet le dict.
Et sera le coqûage infâme et grandement scanda-
leux. Faudra il que vostre lict conjugal soit inceste
et contaminé par moynerie?
« Dictoultrequeserez la cornemuse de Buzançay,
c'est à dire bien corné, cornard et cornu. Et ainsi
comme il, voulant au roy Loys douzième demandei
pour un sien frère le contrerolle du sel à Buzançay,
demanda une cornemuse, vous pareillement, cuy-
23o LIVRE III, CHAPITRE XLVI
dant quelque femme de bien et d'honneur espou-
ser, espouserez une femme vuyde de prudence,
pleine de vent, d'oultrecuydance, criarde et mal
plaisante, comme une cornemuse. Notez oultre
que de la vessie il vous nazardoit, et vous donna
un coup de poing sus l'eschine. Cela praesagist que
d'elle serez battu, nazardé et desrobbé, comme
desrobbé aviez la vessie de porc aux petitz enfans
de Vaubreton.
— Au rebours, respondit Panurge. Non que je
me vueille impudentement exempter du territoire
de Follie ; j'en tiens et en suys , je le confesse.
Tout le monde est fol. En Lorraine Fou est piez
Tou par bonne discrétion. Tout est fol. Salomon
dict que infinj est des folz le nombre; à infinité
rien ne peut decheoir, rien ne peut estre adjoinct,
comme prouve Aristoteles, et fol enraigé serois si,
fol estant, fol ne me reputois. C'est ce que pa-
reillement faict le nombre des maniacques et enrai-
gez infiny. Avicenne dict que de manie infinies
sont les espèces. Mais le reste de ses dictz et ges-
tes faict pour moy.
(( Il dict à ma femme : « Guare moyne. » C'est
un moyneau qu'elle aura en délices, comme avoit
la Lesbie de Catulle, lequel volera pour mousches,
et y passera son temps autant joyeusement que feist
oncques Domitian le croque-mousche. Plus, dict
qu'elle sera villaticque et plaisante comme une belle
cornemuse de Saulieu ou de Buzançay. Le veri-
PANTAGRUEL 23l
dicque TribouUet bien a congneu mon naturel et
mes internes affections, car je vous affie que plus
me plaisent les guayes bergerottes eschevelées, es
quelles le cul sent le serpoulet, que les dames des
grandes cours avecques les riches atours et odorans
perfums de mauljoinct; plus me plaist le son de la
rusticque cornemuse que les fredonnemens des
lucz, rebecz et violons auliques. Il m'a donné un
coup de poing sus ma bonne femme d'eschine ;
pour l'amour de Dieu soit, et en déduction de
tant moins des poines de Purgatoire. Il ne le faisoit
par mal; il pensoit frapper quelque paige ; il est
fol de bien, innocent, je vous affie, et pèche qui
de luy mal pense. Je luy pardonne de bien bon
cœur. Il me nazardoit; ce seront petites follastries
entre ma femme et moy, comme advient à tous
nouveaulx mariez. »
CHAPITRE XLVII
Comment Pantagruel et Panurge délibèrent visiter
VOracle de la Dive Bouteille.
OYCY bien un aultre poinct, lequel ne
consyderez; est toutesfoys le neu de
la matière. Il m'a rendu en main la
bouteille. Cela que signifie? Qu'est
ce à dire? — Par adventure, respondit Pantagruel,
signifie que vostre femme sera ivroigne. — Au re-
232 LIVRE III, CHAPITRE XLVII
bours, dist Panurge, car elle estoit vuide. Je vous
jure l'espine de sainct Fiacre en Brye que nostre
morosophe, l'unicque, non lunaticque, Triboullet,
me remect à la bouteille, et je refraischiz de nou-
veau mon veu premier, et jure Styx et Acheron, en
vostre praesence, lunettes au bonnet porter, ne
porter braguette à mes chausses, que sus mon en-
treprinse je n'aye eu le mot de la Dive Bouteille.
Je sçay homme prudent et amy mien qui sçait le
lieu, le pays et la contrée en laquelle est son temple
et oracle : il nous y conduira seurement. Allons y
ensemble. Je vous supply ne me esconduire. Je vous
seray un Achates, un Damis, et compaignon en
tout le voyage. Je vous ay long-temps congneu
amateur de peregrinité et desyrant tous jours veoir
et tous jours apprendre. Nous voirons choses ad-
mirables, et m'en croyez.
— Voluntiers, respondit Pantagruel ; mais, avant
nous mettre en ceste longue pérégrination, plene
de hazard, plene de dangiers evidens... — Quelz
dangiers ? dist Panurge, interrompant le propous.
Les dangiers se refuyent de moy, quelque part que
je soys, sept lieues à la ronde, comme, advenent le
prince, cesse le magistrat, advenent le soleil esva-
nouissent les ténèbres, et comme les maladies
fuyoient à la venue du corps sainct Martin à
Quandé. — A propous, dist Pantagruel, avant
nous mettre en voye, de certains poincts nous fault
expédier.
PANTAGRUEL 233
« Premièrement, renvoyons Triboullet à Bloys, ;>
ce que feut faict à l'heure, et luy donna Panta-
gruel une robbe de drapfrizé; « secondement, nous
fault avoir l'advis et congié du Roy mon père ;
plus, nous est besoing trouver quelque sibylle pour
guyde et truchement. »
Panurge respondit que son amy Xenomanes leur
suffiroit, et d'abondant deliberoit passer par le pays
de Lanternoys, et là prendre quelque docte et
utile Lanterne, laquelle leurs seroit pour ce voyage
ce que feut la Sibylle à ^î^neas descendent es
Champs Elisiens. Carpalim, passant pour la con-
duicte de Triboullet, entendit ce propous et s'es-
cria, disant : « Panurge, ho ! monsieur le quitte,
pren Millort Debitis à Calais, car il est goud fallot,
et n'oublie Dehitoribus, ce sont lanternes; ainsi
auras et fallot et lanternes.
— Mon prognostic est, dist Pantagruel, que
par le chemin nous ne engendrerons melancholie.
Ja clairement je l'apperçois; seulement me desplaist
que ne parle bon Lanternoys. — Je, respondit Pa-
nurge, le parleray pour vous tous, je l'entends
comme le maternel; il m'est usité comme le vul-
gaire :
Briszmarg d'algotbric nubstzne zos,
Isquebfz prusq alborcz crinqs zacbac.
Misbe dilbarlkz morp nipp stancz bas,
Strombtz, Panrgc walmap quost grufz bac.
« Or, devine, Epistemon, que c'est?
3o
284 LIVRE III, CHAPITRE XLVII
— Ce sont, respondit Epistemon, noms de dia-
bles errans, diables passans, diables rampans. —
Tes parolles sont brayes, dist Panurge, bel amy;
c'est le courtisan languaige Lanternoys. Par le che-
min je t'en feray un beau petit dictionaire, lequel
ne durera gueres plus qu'une paire de souliers
neufz; tu l'auras plus toust aprins que jour levant
sentir. Ce que j'ay dict, translaté de Lanternoys en
vulgaire, chante ainsi :
Tout malheur, estant amoureux,
M'accompaignoit, oncq n'y eu bien.
Gens mariez plus sont heureux,
Panurge l'est, et le sçait bien.
— ■ Reste doncques, dist Pantagruel, le vouloir
du Roy mon père entendre, et licence de luy
avoir. »
CHAPITRE XLVIII
Comment Gargantua remonstre n'estre licite es
fans soy marier sans le sceu et adveu de leurs pères
en-
ci mères
NTRANT Pantagruel en la salle grande
du chasteau, trouva le bon Gargantua
issant du Conseil, luy feist narré som-
maire de leurs adventures, exposa leur
entreprinse, et le supplia que par son vouloir et
congié la peussent mettre en exécution. Le bon
PANTAGRUEL 235
home Gargantua tenoit en ses mains deux gros
paquetz de requestes respondues et mémoires de
respondre; les bailla à Ulrich Gallet, son antique
maistre des libelles et requestes, tira à part Pan-
tagruel, et, en face plus joyeuse que de coustume,
luy dist :
« Je loue Dieu, filz trescher, qui vous conserve
en désirs vertueux, et me plaist tresbien que par
vous soit le voyaige perfaict; mais je vouldroysque
pareillement vous vint en vouloir et désir vous
marier. Me semble que dorénavant venez en aage
à ce compétent. Panurge s'est assez ejfforce rompre
les difficultez qui luy pouvoientestre en empesche-
ment; parlez pour vous. — Père tresdebonnaire,
respondit Pantagruel, encores n'y avoys je pensé;
de tout ce négoce je m'en deportoys sus vostre
bonne volunté et paternel commendement. Plus
tost prie Dieu estre à vos piedz veu roydde mort en
votre desplaisir que sans vostre plaisir estre veu vif
marié. Je n'ay jamais entendu que par loy aulcune,
feust sacre, feust prophane et barbare, ayt esté en
arbitre des enfans soy marier, non consentants,
voulens et promovens leurs pères, mères et parens
prochains. Tous législateurs ont es enfans ceste
liberté tollue, es parens l'ont réservée,
— Filz treschier, dist Gargantua, je vous en croy,
et loue Dieu de ce que à votre notice ne viennent
que choses bonnes et louables, et que, par les fe-
nestres de vos sens, rien n'est on domicile de
236 LIVRE III, CHAPITRE XLVIII
vostre esprit entré, fors libéral sçavoir. Car de mon
temps a esté par le continent trouvé pays on quel
ne sçay quelz pastophores taulpetiers, aultant
abhorrens de nopces comme les pontifes de Cybele,
en Phrjgie, si chappons feussent et non galls pleins
de salacité et lascivie, les quelz ont dict loix es
gens mariez sus le faict de mariage; et ne sçay
que plus doibve abhominer, ou la tirannicque prae-
sumption d'iceulx redoubtez taulpetiers , qui ne se
contiennent dedans les treillis de leurs mystérieux
temples, et se entremettent des négoces contraires
par diamètre entier à leurs estats, ou la supersti-
tieuse stupidité des gens mariez, qui ont sanxi et
preste obéissance à telles tant malignes et barba-
ricques loigs ; et ne voyent, ce que plus clair est
que l'estaille matute, comment telles sanxions con-
nubiales toutes sont à l'adventaige de leurs mystes,
nul au bien et proufict des mariez, qui est cause
suffisante pour les rendre suspectes comme iniques
et fraudulentes.
<( Par reciprocque témérité pourroient ilz loigs
establir à leurs mystes sus le faict de leurs cérémo-
nies et sacrifices, attendu que leurs biens ilz déci-
ment et roignent du guaing prouvenent de leurs
labeurs et sueur de leurs mains, pour en abondance
les nourrir et entretenir ; et ne seroient, scelon
mon jugement, tant perverses et impertinentes
comme celles sont les quelles d'eulx ilz ont receup.
Car, comme tresbien avez dict, loy on monde
PANTAGRUEL 287
n'estoit qui es enfans liberté de soy marier donnast
sans le sceu, l'adveu et consentement de leurs pères.
Moyenantes les loigs dont je vous parle, n'est ruf-
fien, forfant, scélérat, pendart, puant, punais, ladre,
briguant, voleur, meschant, en leurs contrées, qui
violentement ne ravisse quelque fille il vouldra
choisir, tant soit noble, belle, riche, honneste, pu-
dicque que sçauriez dire, de la maison de son père,
d'entre les bras de sa mère, maulgré tous ses pa-
rens, si le ruffien se y ha une foys associé quelque
myste, qui quelque jour participera de la praye.
Feroient pis et acte plus cruel les Gothz, les Scythes,
les Massagetes, en place ennemie par longtemps
assiégée, à grands frays oppugnée, prinse par force ?
« Et voyent les dolens pères et mères hors leurs
maisons enlever et tirer par un incongneu, estrangier,
barbare, mastin, tout pourry, chancreux, cadavéreux,
paouvre, malheureux, leurs tant belles, délicates,
riches et saines filles, les quelles tant chèrement
avoient nourriez en tout exercice vertueux, avoient
disciplinées en toute honesteté, esperans en temps
opportun les colloquer par mariage avecques les
enfans de leurs voisins et antiques amis, nourriz et
instituez de mesme soing, pour parvenir à ceste
félicité de mariage que d'eulx ilz veissent naistre
lignaige raportant et haereditant non moins aux
mœurs de leurs pères et mères que à leurs biens
meubles et hœritaiges. Quel spectacle pensez vous
que ce leurs soit?
•^38 LIVRE III, CHAPITRE XLVIII
« Ne croyez que plus énorme feust la désolation
du peuple romain et ses confasderez entendens le
decés de Germanicus Drusus; ne croyez que plus
pitoyable feust le desconfort des Lacedemoniens,
quand de leurs pays veirent par l'adultère troian
furtivement enlevée Hélène Grecque ; ne croyez
leur deuil et lamentations estre moindres que de
Gères, quand luy feust ravie Proserpine sa fille;
que de Isis à la perte de Osyris, de Venus à la
mort de Adonis, de Hercules à l'esguarement de
Hylas, de Hecuba à la substraction de Polyxene.
(( Hz toutesfois tant sont de craincte du Daemon
et superstitiosité espris que contredire ilz n'ausent,
puisque le taulpetiery a esté prœsent et contractant ;
et restent en leurs maisons privez de leurs filles
tant aimées, le peremauldissantle jour et l'heure de
ses nopces, la mère regrettant que n'estoit avortée
en tel tant triste et malheureux enfantement, et en
pleurs et lamentations finent leur vie, laquelle
estoit de raison finir en joye et bon tractement de
icelles. Aultres tant ont esté ecstaticques et comme
maniacques que eulx mesmes de deuil et regret
se sont noyez, penduz, tuez, impatiens de telle
indignité.
« Aultres ont eu l'esprit plus heroicque, et, à
l'exemple des enfans de Jacob vengeant le rapt de
Dina, leur sœur, ont trouvé le ruffien associé de
son taulpetier, clandestinement parlementans et
subornans leurs filles, les ont sus l'instant mis en
PANTAGRUEL 289
pièces et occis felonnement , leurs corps après
jectans es loups et corbeaux parmy les champs; au
quel acte tant viril et chevaleureuz ont les Sym-
mjstes taulpetiers fremy et lamenté misérablement,
ont formé complainctes horribles, et en toute im-
portunité requis et imploré le bras séculier et justice
poHticque, instans fièrement et contendens estre
de tel cas faicte exemplaire punition. Mais ne en
asquité naturelle, ne en droict des gens, ne en loy
impériale quelconques, n'a esté trouvée rubricque,
paragraphe, poinct ne tiltre par lequel feust poine
ou torture à tel faict interminée, raison obsistante,
nature répugnante : car homme vertueux on monde
n'est qui naturellement et par raison plus ne soit
en son sens perturbé, oyant les nouvelles du rapt,
diffame et deshonneur de sa fille, que de sa mort.
Ores est qu'un chascun, trouvant le meurtrier sus
le faict de homicide en la persone de sa fille ini-
quement et de guet à pens, le peut par raison, le
doibt par nature, occire sus l'instant, et n'en sera
par justice appréhendé. Merveilles doncques n'est
si, trouvant le ruffien, à la promotion du taulpetier,
sa fille subornant, et hors sa maison ravissant, quoy
qu'elle en feust consentente, les peut, les doibt à
mort ignominieusement mettre, et leurs corps jecter
en direption des bestes brutes, comme indignes de
recepvoir le doulx, le desyré, le dernier embrasse-
ment de l'aime et grande mère la Terre, lequel
nous appelions Sépulture.
240 LIVRE III, CHAPITRE XLVIII
« Fils trescher, après mon decés, guardez que
telles loigs ne soient en cestuy royaume receues ;
tant que seray en ce corps spirant et vivent, je y
donneray ordre tresbon, avec l'ayde de mon
Dieu. Puis doncques que de vostre mariage sus
moy vous déportez, j'en suis d'opinion, je y pour-
voiray.
« Aprestez vous au voyage de Panurge. Prenez
avecques vous Epistemon, frère Jan et aultres que
choisirez. De mes thesaurs faictez à vostre plein
arbitre. Tout ce que ferez ne pourra ne me plaire.
En mon arsenac de Thalasse prenez équipage tel
que vouldrez, telz pillotz , nauchiers, trusche-
mens que vouldrez, et à vent oportun faictez voile
on nom et protection du Dieu servateur. Pendent
vostre absence, je feray les apprestz et d'une femme
vostre, et d'un festin que je veulx à vos nopces
faire célèbre, si oncques en feut. »
CHAPITRE XLIX
Comment Pantagruel feist ses aprestz pour monter
si^s mer, et de l'herbe nommée Pantagruelion.
EU de jours après Pantagruel avoir
prins congié du bon Gargantua, luy
bien priant pour le voyage desonfilz,
vâ^-^ -;^ - Js arriva au port de Thalasse, prés Sa-
malo, acompaigné de Panurge, Epistemon, frère
PANTAGRUEL 241
Jan des Entommeures, abbé de Theleme, et aultres
de la noble maison, notamment de Xenomanes,
le grand voyagier et traverseur des voyes péril-
leuses, lequel estoit venu au mandement de Panurge,
par ce qu'il tenoit je ne sçay quoy en arrière fief
de la chastellenie de Salmiguondin. Là arrivez,
Pantagruel dressa equippage de navires à nombre
de celles que Ajax de Salamine avoit jadis menées
en convoy des Gregoys à Troie : nauchiers, pilotz,
hespaliers, truschemens, artisans, gens de guerre_,
vivres, artillerie, munitions, robbes, deniers et
aultres hardes print et chargea, comme estoit be-
soing pour long et hazardeux voyage ; entre aultres
choses, je veids qu'il feist charger grande foison de
son herbe Pantagruelion, tant verde et crude que
conficte et praeparée.
L'herbe Pantagruelion ha racine petite, durette,
rondelette, fînante en poincte obtuse, blanche, à
peu de fîllamens, et ne profundeen terre plus d'une
coubtée. De la racine procède un tige unicque,
rond, ferulacé , verd au dehors , blanchissant au
dedans, concave comme le tige de smyrnium, olus
atrum, febves et gentiane; ligneux, droict, friable,
crénelé quelque peu à forme de columnes legie-
rement striées; plein de fibres, es quelles consiste
toute la dignité de l'herbe, mesmement en la partie
dicte Mesa, comme moyenne, et celle qui est dicte
Mylasea. Haulteur d'icelluy communément est de
cinq à six pieds. Aulcunes foys excède la haulteur
Rabelais. III. 5ï
242 LIVRE III, CHAPITRE XLIX
d'une lance, sçavoir est quand il rencontre terrouoir
doulx, uligineux, legier, humide sans froydure,
comme est Olone et ceWuy de Rosea, prés Prae-
neste, en Sabinie, et que pluje ne luy deffault en-
viron les feries des pécheurs et solstice œstival; et
surpasse la haulteur des arbres , comme vous dictez
Dendromalache par l'authorité de Theophraste, quoy
que herbe soit par chascun an dépérissante, non
arbre en racine, tronc, caudice et rameaux perdu-
rante; et du tige sortent gros et fors rameaux.
Les feueilles a longues trois foys plus que larges,
verdes tous jours, asprettes, comme l'orcanette,
durettes, incisées au tour comme une faulcille et
comme la betoine, finisantes en poinctes de larisse
macedonicque, et comme une lancette dont usent
les chirurgiens. La figure d'icelle peu est différente
des feueilles de fresne et aigremoine, et tant sem-
blable à eupatoire que plusieurs herbiers, l'ayant
dicte domesticque, ont dict eupatoire estre Panta-
gruelion saulvaginé; et sont par rancs en eguale
distance esparses au tour du tige en rotondité, par
nombre en chascun ordre ou de cinq ou de sept.
Tant l'a chérie Nature qu'elle l'a douée en ses
feueilles de ces deux nombres impars, tant divins
et mystérieux. L'odeur d'icelles est fort et peu
plaisant aux nez deliçatz.
La semence provient vers le chef du tige et peu
au dessoubs. Elle est numereuse autant que d'herbe
qui soit, sphaericque, oblonguc, rhomboïde, noire
PANTAGRUEL 24?
claire et comme tannée, durette, couverte de robbe
fragile, délicieuse à tous oyseaulx canores, comme
linottes, chardriers, alouettes, serins, tarins et aul-
tres; mais estainct en l'home la semence genera-
tive, qui en mangeroit beaucoup et souvent; et,
quoy que jadis entre les Grecs d'icelle l'on feist cer-
taines espèces de fricassées, tartres et beuignetz, les
quelz ilz mangeoient après soupper, par friandise
et. pour trouver le vin meilleur, si est ce qu'elle est
de difficile concoction, offense Pestomach, engen-
dre mauvais sang, et, par son excessive chaleur,
ferist le cerveau et remplist la teste de fascheuses
et douloreuses vapeurs.
Et, comme en plusieurs plantes sont deux sexes,
masle et femelle, ce que voyons es lauriers, palmes,
chesnes, heouses, asphodèle, mandragore, fougère,
agaric, aristolochie , cyprès, terebinthe , pouliot,
paeone et aultres, aussi en ceste herbe y a masle,
qui ne porte fleur aulcune , mais abonde en se-
mence , et femelle c|ui foisonne en petites fleurs
blanchâtres, inutiles, et ne porte semence qui vaille,
et, comme est des aultres semblables, ha la feuille
plus large, moins dure que le masle, et ne croist
en pareille haulteur. On semé cestuy Pantagruelion
à la nouvelle venue des hyrondelles; on le tire de
terre lors que les cigalles commencent s'enrouer.
244 LIVRE III, CHAPITRE L
CHAPITRE L
Comment doibt estre préparé et mis en auvre
le célèbre Pantagruelion.
' ' N pare le Pantagruelion soubs l'sequi-
nocte automnal en diverses manières,
scelon la phantasie des peuples et di-
/c) versité des pays.
L'enseignement premier de Pantagruel feut le
tige d'icelle desvestir de feueilles et semence, le
macérer en eaue stagnante, non courante, par cinq
jours si le temps est sec et l'eaue chaulde, par
neuf ou douze si le temps est nubileux et l'eaue
froyde ; puys au soleil le seicher, puys à l'umbre le
excorticquer et séparer les fibres, es quelles, comme
avons dict, consiste tout son pris et valeur, de la
partie ligneuse, laquelle est inutile, fors qu'à faire
flambe lumineuse, allumer le feu, et, pour l'esbat
des petitz enfans, enfler les vessies de porc. D'elle
usent aulcunes fojs les frians, à cachetés, comme
de syphons, pour sugser et avecques l'haleine atti-
rer le vin nouveau par le bondon. Quelques Panta-
gruelistes modernes, evitans le labeur des mains
qui seroit à faire tel départ, usent de certains in-
struments catharactes composez à la forme que
Juno la fascheuse tenoit les doigtz de ses mains
liez pour empcscher l'enfantement de Alcmene,
mère de Hercules. Et à travers icelluy contundent
PANTAGRUEL 24S
et brisent la partie ligneuse, et la rendent inutile,
pour en saulver les fibres.
En ceste seule prgeparation acquiescent ceulx
qui, contre l'opinion de tout le monde et en ma-
nière paradoxe à tous philosophes, guaingnent leur
vie à reculions. Ceulx qui à profict plus évident la
veulent avalluer font ce que l'on nous compte du
passetemps des trojs sœurs Parces, de l'esbatement
nocturne de la noble Circé, et de la longue excuse
de Pénélope envers ses muguetz amoureux, pen-
dant l'absence de son mary Uljxes. Ainsi est elle
mise en ses inestimables vertus, des quelles vous
expouseray partie, car le tout est à moy vous ex-
pouser impossible , si davant vous interprète la
dénomination d'icelle.
Je trouve que les plantes sont nommées en di-
verses manières. Les unes ont prins le nom de cel-
luy qui premier les inventa, congneut, monstra,
cultiva, aprivoisa et appropria, comme mercuriale,
de Mercure; panacea, de Panace, fille de ^Escula-
pius; armoise, de Artemis, qui est Diane; eupatoire,
du roy Eupator; telephium, de Telephus; euphor-
bium, de Euphorbus, medicin du roy Juba; clyme-
nos, de Clymenus; alcibiadion , de Alcibiades;
gentiane, de Gentius, roy de Sclavonie ; et tant a
esté jadis estimée ceste prserogative de imposer
son nom aux herbes inventées que, comme feut
controverse meue entre Neptune et Pallas de qui
prendroit nom la terre par eulx deux ensemble-
246 LIVRE III, CHAPITRE L
ment trouvée, qui depuys feut Athènes dicte, de
Athené, c'est à dire Minerve, pareillement Lyncus,
roy de Scythie, se mist en effort de occire en tra-
hison le jeune Triptoleme, envoyé par Cerés pour
es homes monstrer le froment, lors encore incon-
gneu, affin que par la mort d'icelluy il imposast
son nom, et feust en honneur et gloire immortelle
dict inventeur de ce grain tant utile et nécessaire à
la vie humaine, pour laquelle trahison feut par
Cerés transformé en oince ou loup-cervier ; pa-
reillement, grandes et longues guerres feurent jadis
meues entre certains roys de séjour en Cappadoce
pour ce seul différent, du nom des quelz seroit une
herbe nommée, laquelle pour tel débat feut dicte
Pokmonia, comme guerroyere.
Les aultres ont retenu le nom des régions des
quelles feurent ailleurs transportées, comme pom-
mes medices, ce sont poncires de Medie, en la-
quelle feurent premièrement trouvées ; pommes
punicques, ce sont grenades, apportées de Punicie,
c'est Carthage ; ligusticum, c'est livesche, apportée
de Ligurie, c'est la couste de Gènes; rhabarbe, du
fleuve barbare nommé Rha, comme atteste Am-
mianus ; santonicque, fœnu grec, castanes persic-
ques, Sabine, stœchas, de mes isles Hieres, antic-
quement dictez Stœchades; spica celtica et aultres.
Les aultres ont leur nom par antiphrase et con-
trariété, comme absynthe, au contraire de pynthe,
car il est fascheux à boire; holosteon, c'est tout de
PANTAGRUEL
247
OS, au contraire, car herbe n'est en nature plus
fragile et plus tendre qu'il est.
Aultres sont nommées par leurs vertus et opéra-
tions, comme aristolochia, qui ajde les femmes en
mal d'enfant; lichen, qui guérit les maladies de
son nom; maulve, qui mollifie; callithrichum, qui
faict les cheveulx beaulx; alyssum, ephemerum, be-
chium, nasturtium, qui est cresson alenoys ; hyos-
cyame, hanebanes et aultres.
Les aultres par les admirables qualitez qu'on a
veu en elles, comme héliotrope, c'est soulcil, qui
suyt le soleil, car, le soleil levant, il s'espanouist ;
montant, il monte; déclinant, il décline; soy ca-
chant, il se cloust; adiantum, car jamais ne retient
humidité, quoy qu'il naisse prés les eaues, et quoy
qu'on le plongeast en eaue par bien long temps;
hieracia, eryngion et aultres.
Aultres par métamorphose d'homes et femmes
de nom semblable; comme daphne, c'est laurier,
de Daphné ; myrte, de Myrsine ; pytis, de Pytis ;
cynara, c'est artichault; narcisse, saphran, smilax
et aultres.
Aultres par similitude, comme hippuris, c'est
prelle, car elle ressemble à queue de cheval; alope-
curos, qui semble à la queue de renard; psyUon,
qui semble à la pusse; delphinium, au daulphin ;
buglosse, à langue de beuf ; iris, à l'arc en ciel, en
ses fleurs; myosota, à l'aureil de souriz; corono-
pous, au pied de corneille, et aultres.
24i
LIVRE III, CHAPITRE I.
Par reciprocque dénomination sont dictz les
Fabies, des febves ; les Pisons, des pojs ; les Len-
tules, des lentiles; les Cicerons, des poys-chices.
Comme encores par plus haulte resemblance est
dict le nombril de Venus, les cheveulx de Venus,
la cuve de Venus, la barbe de Juppiter, l'œil de
Juppiter, le sang de Mars, les doigtz de Mercure,
hermodactyles, et aultres.
Les aultres de leurs formes, comme trefeueil,
qui ha trois feueilles; pentaphyllon , qui a cinq
feueilles; serpoullet, qui herpe contre terre; hel-
xine, petasites, myrobalans, que les Arabes ap-
pellent Been, car ilz semblent à gland et sont
unctueux.
CHAPITRE LI
Pourquoy est dicte Pantagruelion, et des admirables
vertus d'icdle.
AR ces manières, exceptez la fabu-
leuse, car de fable ja Dieu ne plaise
ique usions en ceste tant véritable his-
,toire, est dicte l'herbe Pantagruelion,
car Pantagruel feut d'icelle inventeur : je ne diz
pas quant à la plante, mais quant à un certain
usaige, lequel plus est abhorré et hay des larrons,
plus leurs est contraire et ennemy que n'est la
teigne et cuscute au lin, que le rouseau à la fou-
PANTAGRUEL 249
gère, que la presle aux fauscheurs, que orobanche
aux poys chices, aegylops à l'orge, securidaca aux
lentilles, antranium aux febves, l'yvraye au froment,
le lierre aux murailles; que le nenufar et nym.phea
heraclia aux ribaux moines; que n'est le férule et
le boulas aux escholiers de Navarre; que n'est le
chou à la vigne, le ail à l'aimant, l'oignon à la
veue, la graine de fougère aux femmes enceinctes,
la semence de saule aux nonnains vitieuses, l'umbre
de if aux dormans dessoubs, le aconite aux pards et
loups, le flair du figuier aux taureaux indignez, la
cigûe aux oisons, le poupié aux dents, l'huille aux
arbres. Car maintz d'iceux avons veu par tel usaige
fîner leur vie haut et court, à l'exemple de Phjllis,
royne des Thraces; de Bonosus, empereur de
Rome ; de Amate, femme du roy latin ; de Iphis,
Auctolia, Lycambe, Arachne, Pheda, Leda, Acheus,
roy de Lydie, et aultres; de ce seulement indignez
que, sans estre aultrement malades, par le Panta-
grueUon on leurs oppiloit les conduictz par les
quelz sortent les bons motz et entrent les bons
morseaulx, plus villainement que ne feroit la maie
angine et mortelle squinanche.
Aultres avons ouy, sus l'instant que Atropos
leurs couppoit le filletde vie, soy griefvement com-
plaignans et lamentans de ce que Pantagruel les
tenoit à la guorge. Mais, las ! cen'estoit mie Pan-
tagruel; il ne feut oncques rouart : c'estoit Panta-
gruelion faisant office de hart et leurs servant de
32
25o LIVRE IIÎ, CHAPITRE LI
cornette. Et parloient improprement et en solœ-
cisme. Si non qu'on les excusast par figure synecdo-
chique, prenens l'invention pour l'inventeur,
comme on prend Cerés pour pain, Bacchus pour
vin. Je vous jure icy par les bons motz qui sont
dedans ceste bouteille là, qui refraischit dedans ce
bac, que le noble Pantagruel ne print oncques à
la guorge,sinon ceulx qui sont negligens de obvier
à la soif imminente.
Aultrement est dicte Pantagruelion par simili-
tude : car Pantagruel, naissant on monde, estoit
autant grand que l'herbe dont je vous parle, et en
feut prinse la mesure aisément, veu qu'il nasquit on
temps de altération, lors qu'on cuilleladicte herbe,
et que le chien de Icarus, par les aboys qu'il faict
au soleil, rend tout le monde Troglodyte, et con-
trainct habiter es caves et lieux subterrains.
Aultrement est dicte Pantagruelion par ses vertus
et singularitez, car, comme Pantagruel a esté l'idée
et exemplaire de toute joyeuse perfection, je croy
que personne de vous aultres beuveurs n'endoubte,
aussi en Pantagruelion je recongnoys tant de vertus,
tant d'énergie, tant de perfection, tant d'effectz
admirables, que, si elle eust esté en ses qualitez
congneue lors que les arbres, par la relation du
Prophète, feirent élection d'un roy de boys pour
les régir et dominer, elle sans doubte eust emporté
la pluralité des voix et suffrages. Diray je plus? Si
Oxylus, filz de Orius, l'eust de sa sœur Hamadryas
PANTAGRUEL
25l
engendrée, plus en la seule valeur d'icelle se feust
délecté qu'en tous ses huyct enfans tant célébrez
par nos mythologes, qui ont leurs noms mis en mé-
moire éternelle. La fille aisnée eut nom Vigne, le
filz puysné eut nom Figuier, l'aultre Noyer, l'aultre
Chesne, l'aultre Cormier, l'aultre Fenabregue ,
l'aultre Peuplier; le dernier eut nom Ulmeau, et
feut grand chirurgien en son temps.
Je laisse à vous dire comment le jus d'icelle,
exprimé et instillé dedans les aureilles^ tue toute
espèce de vermine qui y seroit néepar putréfaction,
et tout aultre animal qui dedans seroit entré. Si
d'icelluy jus vous mettez dedans un seilleau de
eaue, soubdain vous verrez Teaue prinse, comme
si feussent caillebotes, tant est grande sa vertus.
Et est l'eaue ainsi caillée remède praesent aux che-
vaulx coliqueux et qui tirent des flans. La racine
d'icelle, cuicte en eaue, remollist les nerfz retirez,
les joinctures contractes, les podagres sclirrho-
tiques et les gouttes nouées. Si promptement
voulez guérir une bruslure, soit d'eaue, soit de feu,
appliquez y du Pantagruelion crud, c'est à dire tel
qui naist de terre, sans aultre appareil ne compo-
sition, et ayez esguard de le changer ainsi que le
voirez deseichant sus le mal.
Sans elle seroient les cuisines infâmes, les tables
détestables, quoy que couvertes feussent de toutes
viandes exquises; les lictz sans délices, quoy que y
feust en abondance or, argent, electre, ivoyre et
252 LIVRE III, CHAPITRE LI
porphyre. Sans elle neporteroient les meusniers bled
au moulin, n'en rapporteroient farine. Sans elle com-
ment seroient portez les playdoyers des advocatz
à l'auditoire? Comment seroit sans elle porté le
piastre à l'hastelier? Sans elle comment seroit tirée
l'eaue du puyz ? Sans elle que feroient les tabel-
lions, les copistes, les secrétaires et escrivains? Ne
periroient les pantarques et papiers rantiers? Ne
periroit le noble art d'imprimerie? De quoy feroit
on châssis ? Comment sonneroit on les cloches?
D'elle sont les Isiacques ornez, les Pastophores
revestuz, toute humaine nature couverte en pre-
mière position. Tous les arbres lanificques desSeres,
les gossampines de Tyle en la mer Persicque, les
cynes des Arabes, les vignes de Malthe, ne ves-
tissent tant de personnes que faict ceste herbe seu-
lette; couvre les armées contre le froid et la pluye
plus certes commodément que jadis ne faisoient les
peaulx; couvre les théâtres et amphithéâtres contre
la chaleur, ceinct les boys et taillis au plaisir des
chasseurs, descend en eaue, tant douce que marine,
au profîct des pescheurs. Par elle sont bottes, bo-
tines, botasses, houzeaulx, brodequins, souliers,
escarpins, pantofles, savattes mises en forme et
usaige. Par'elle sont les arcs tendus, les arbalestes
bandées, les fondes faictes. Et, comme si feust
herbe sacre, verbenicque et révérée des mânes et
lémures, les corps humains morts sans elle ne sont
inhumez.
PANTAGRUEL 253
Je diray plus. Icelle herbe moyenante, les sub-
stances invisibles visiblement sont arrestées, prinses,
détenues et comme en prison mises. A leur prinse
et arrest sont les grosses et pesantes moles tournées
agillement à insigne profîct de la vie humaine. Et
m'esbahys comment l'invention de telusaige a esté
par tant de siècles celé aux antiques philosophes, veue
l'utilité impreciable qui en provient, veu le labeur
intolérable que sans elle ilz supportoient en leurs
pistrines.
Icelle moyenant, par la rétention desflotz aërez,
sont les grosses orchades, les amples thalameges,
les forts guaillons, les naufz chiliandres et my-
riandres de leurs stations enlevées et poulsées à
l'arbitre de leurs gouverneurs. Icelle moyennant,
sont les nations que Nature sembloit tenir absconses,
imperméables et incongneues, à nous venues, nous
à elles, chose que ne feroient les oyseaulx, quelque
legiereté de pennaige qu'ilz aient, et quelque
liberté de nager en l'aer que leurs soit baillée par
Nature. Taprobrana a veu Lappia; Java a veu les
mons Riphées; Phebol voyra Theleme; les Islan-
doys et Engronelands boyront Euphrates. Par elle
Boreas a veu le manoir de Auster; Eurus a visité
Zephire. De mode que les Intelligences célestes,
les dieux tant marins que terrestres, en ont esté
tous effrayez, voyans par l'usaigedecestuy benedict
Pantagruelion les peuples Arcticques en plein aspect
des Antarcticques franchir la mer Athlanticque,
254 LIVRE III, CHAPITRE LI
passer les deux Tropicques, voItersoubslaZonetor-
ride, mesurer tout le Zodiacque, s^esbattre soubs
l'iEquinoctial, avoir l'un et l'autre Pôle en veue à
fleur de leur orizon.
Les dieux oljmpicques ont en pareil effroy dict :
« Pantagruel nous a mis en pensement nouveau et
tedieux plus que oncques ne feirent les Aloïdes,
par Tusaige et vertus de son herbe. Il sera de brief
marié, de sa femme aura enfans. A ceste destinée
ne povons nous contrevenir, car elle est passée par
les mains et fuseaulx des sœurs fatales, filles de
Nécessité. Par ses enfans, peut estre, sera inventée
herbe de semblable énergie, moyenant laquelle
pourront les humains visiter les sources des gresles,
les bondes des pluyes et l'ofïîcine des fouldres;
pourront envahir les régions de la lune, entrer le
territoire des signes célestes, et là prendre logis, les
uns à l'Aigle d'or, les aultres au Mouton, les
aultres à la Couronne, les aultres à la Herpe, les
aultres au Lion d'argent; s'asseoir à table avecques
nous, et nos déesses prendre à femmes, qui sont les
seulx moyens d'estre déifiez. » En fin, ont mis le
remède d'y obvier en délibération et conseil.
PANTAGRUEL 255
CHAPITRE LU
Comment certaine espèce de Pantagruelion ne peut
estre par feu consommée.
E que je vous ay dict est grand et ad-
mirable; mais, si vous vouliez vous
bazarder de croire quelque aultre di-
vinité de ce sacre PantagrueHon, je la
vous dirois. Croyez la ou non, ce m'est tout un;
me suffist vous avoir dict vérité. Vérité vous diray.
Mais, pour y entrer, car elle est d'accès assez
scabreux et difficile, je vous demande : si j'avois en
ceste bouteille mis deux cotyles de vin et une
d'eaue, ensemble bien fort meslez, comment les
demesleriez vous? comment les sépareriez vous de
manière que vous me rendriez l'eau à part sans le
vin, le vin sans l'eau, en mesure pareille que les
y auroys mis ? Aultrement, si vos chartiers et nau-
tonniers amenans pour la provision de vos maisons
certain nombre de tonneaulx, pippes et bussars de
vin de Grave, d'Orléans, de Beaulne, de Myre-
vaulx, les avoient buffetez et beuz à demy, le reste
emplissans d'eau, comme font les Limosins à belz
esclotz, charroyans les vins d'Argenton et San-
gaultier, comment en housteriez vous l'eau entiè-
rement? comment les purifieriez vous?
J'entends bien : vous me parlez d'un entonnoir
de lierre. Cela est escript, il est vray, et avéré par
256 LIVRE III, CHAPITRE LU
mille expériences, vous le sçaviez desja; maisceulx
qui ne l'ont sceu et ne le veirent oncques ne le croy-
roient possible. Passons oultre.
Si nous estions du temps deSylla, Marius, Caesar
et aultres romains empereurs, ou du temps de nos
antiques Druydes, qui faisoient brusler les corps
mors de leurs parens et seigneurs, et voulussiez les
cendres de vos femmes ou pères boyre en infusion
de quelque bon vin blanc, comme feist Artemisia
les cendres de Mausolus, son mary, ou aultrement
les reserver entières en quelque urne et reliquaire,
comment saulveriez vous icelles cendres à part, et
séparées des cendres du bust et feu funeral? Res-
pondez. Par ma figue, vous seriez bien empeschez.
Je vous en despesche, et vous diz que, prenent de
ce céleste Pantagruelion autant qu'en fauldroit
pour couvrir le corps du defunct, et ledict corps
ayant bien à poinct enclouz dedans, lié et cousu de
mesmes matière, jectez le on feu tant grand, tant
ardent que vouldrez|: le feu à travers le Panta-
gruelion bruslera et rédigera en cendres le corps et
les oz; le Pantagruelion non seulement ne sera
consumé ne ards, et ne deperdera un seul atome
des cendres dedans encloses, ne recepvra un seul
atome des cendres bustuaires, mais sera en fin du
feu extraict plus beau, plus blanc et plus net que
ne l'y aviez jecté. Pourtant est il appelle Asbcston.
Vous en trouverez foison en Carpasie et soubs le
climat ota Cycncs, à bon marché
PANTAGRUEL 257
O chose grande ! chose admirable ! Le feu, qui
tout dévore, tout deguaste et consume, nettoyé,
purge et blanchist ce seul Pantagruelion carpasien
asbestin. Si de ce vous défiez et en demandez
assertion et signe usual, comme Juifz et incrédules,
prenez un œuf frais et le liez circulairement
avecques ce divin Pantagruelion. Ainsi lié, mettez
le dedans le brasier tant grand et ardent que
vouldrez; laissez le si long temps que vouldrez.
En fin, vous tirerez l'œuf cuyt, dur et bruslé, sans
altération, immutation ne eschaufîement du sacré
Pantagruelion. Pour moins de cinquante mille
escuz Bourdeloys amoderez à la douzième partie
d'une pithe vous en aurez faict l'expérience. Ne me
parragonnez poinct icy la salamandre, c'est abus.
Je confesse bien que petit feu de paille la végète
et resjouit, mais je vous asceure que en grande
fournaise elle est, comme tout aultre animant, suf-
foquée et consumée, nous en avons veu l'expérience.
Galen l'avoit, long temps a, confermé et demonstré,
Lib. 3, De temperamentis, et le maintient Diosco-
rides, Lib. 2.
Icy ne me alléguez l'alum de plume, ne la tour
de boys en Pyrée, laquelle L. Syliane peut oncques
faire brusler, pour ce que Archelaus, gouverneur
de la ville pour le roy Mithridates, l'avoit toute
enduicte d'alum. Ne me comparez icy celle arbre
que Alexander Cornélius nommoit Eonem, et la
disoit estre semblable au chesne qui porte le guy,
Rabelais. III. 33
258 LIVRE III, CHAPITRE LIT
et ne povoir estre ne par eau ne par feu con-
sommée ou endommagée, non plus que le guy de
chesne, et d'icelle avoir été faicte et bastie la tant
célèbre navire Argos. Cherchez qui le croye, je
m'en excuse.
Ne me parragonnez aussi, quoj que mirificque
soit, celle espèce d'arbre que voyez par les mon-
tagnes de BriançonetAmbrun, laquelle de sa racine
nous produit le bon agaric, de son corps nous rend
la résine tant excellente que Galen l'ause eequi-
parer à la terebinthine, sus ses feueilles délicates
nous retient le fin miel du ciel, c'est la manne, et,
quoy que gommeuse et unctueuse soit, est incon-
sumptible par feu. Vous la nommez Larrix en Grec
et Latin; les Alpinois la nomment Me/ze; les Ante-
norides et Venitians, Larcge, dont feut dict La-
rignuni le chasteau en Piedmont lequel trompa Jule
Caesar venant es Gaules.
Jule Caesar avoit faict commendement à tous les
manens et habitans des Alpes et Piedmont qu'ilz
eussent à porter vivres et munitions es estappes
dressées sus la voie militaire, pour son oust passant
oultre. Au quel tous feurent obéïssans, exceptez
ceulx qui estoienl dedans Larigno, les quelz, soy
confians en la force naturelle du lieu, refusèrent à la
contribution. Pour les chastier de ce refus, l'em-
pereur feist droict au lieu acheminer son armée.
Davant la porte du chasteau estoit une tour bastie
de gros chevrons de larix, lassez l'un sus l'autre
PANTAGRUEL 259
alternativement comme une pyle de boys, conti-
nuans en telle haulteur que des mâchicoulis facile-
ment on povoit avecques pierres et liviers débouter
ceulx qui approcheroient. Quand Csesar entendit
que ceulx du dedans n'avoient aultres défenses
que pierres et liviers, et que à poine les povoient
ilz darder jusques aux approches, commenda à ses
soubdars jecter au tour force fagotz et y mettre le
feu. Ce que feut incontinent faict. Le feu mis es
fagotz, la flambe feut si grande et si haulte, qu'elle
couvrit tout le chasteau. Dont pensèrent que bien
tost après la tour seroit arse et demollie ; mais, cessant
la flambe et les fagotz consumez, la tour apparut
entière, sans en rien estre endommagée. Ce que
consyderant, Caesar commenda que, hors le jectdes
pierres, tout au tour l'on feist une seine de fossez
et bouclus.
Adoncques les Larignans se rendirent à compo-
sition, et par leur récit congneut Caesar l'admirable
nature de ce boys, lequel de soy ne fait feu,
flambe ne charbon, et seroit digne en ceste qua-
lité d'estre on degré mis de vray Pantagruelion ;
et d'autant plus que Pantagruel d'icelluy voulut
estre faictz tous les huys , portes , fenestres ,
goustieres, larmiers et l'ambrun de Theleme. Pa-
reillement d'icelluy feist couvrir les pouppes, prores,
fougons, tillacs, coursies et rambades de ses car-
racons, navires, gualeres, gualions, brigantins,
fustes et aultres vaisseaulx de son arsenac de Tha-
260 LIVRE III, CHAPITRE LU
lasse; ne feust que larix, en grande fournaise de
feu provenant d'aultres espèces de boys, est enfin
corrumpu et dissipé, comme sont les pierres en
fourneau de chaulx; Pantagruelion asbeste plus tost
y est renouvelé et nettoyé que corrompu ou altéré.
Pour tant,
Indes, cessez, Arabes, Sabiens,
Tant collauder vos myrrhe, encent, ebene.
Venez icy recongnoistre nos biens,
Et emportez de nostre herbe la grene;
Puis, si chez vous peut croistre, en bonne estrene
Grâces rendez es Cieuix un million.
Et affermez de France heureux le règne.
On quel provient Pantagruelion.
Fin du troisiesme Livre des faits et dicts heroïcques
du bon Pantagruel.
VARIANTES
Nous suivons le texte de l'édition de Paris, Michel Fezen-
dat, i5 52j petit in-S, et nous empruntons nos Variantes à
l'édition de Paris, Chrestien Wechel, i5 56, in-S'^. Elle est
désignée par la lettre A.
Page 12, ligne 4. A : cuydé no% antiques r.
— 60, 8. A : mocqueries, paronomasies, epanalepses et
redictes.
— 93, 8. A : six,
— 93, 9. A : la septiesme.
— 94, 27. A : rechignant.
— 106, 9. A : surdité, quantes heures estoieni à i'horo-
loge de la rocquette Tarpeïe. Elle.
— 106, 24. A : à Brignoles.
— I 20, 5. A : asne.
— 1 2 1 , 4. A : asne.
— 121, 20. A : asne.
139, 12. Dans A, cette liste est imprimée sur trois
262 VARIANTES
colonnes et dans l'ordre suivant, qui est le meilleur : Escoute,
Couillon mignon,
Couillon moignon,
Couillon de renom
c. pâté,
c. naté.
c. plombé,
c. laicté,
c. feutré,
c. calfaté.
c. madré,
c. relevé.
c, de stuc,
c. Grotesque,
c. arabesques,
c. asseré,
c, troussé à la levresque,
c. asceuré.
c. garance.
c. calandre,
c. requamé.
c. diapré.
c. estamé.
c. martelé,
c. entrelardé.
c. juré,
c. bourgeois,
c. grené.
c. d'esmorche.
c. endesvé,
c. goildronné,
c. palletoqué,
c. aposté,
c, lyrinipié,
c. désiré,
c. vernissé.
c. d'ebene,
c. de bresil,
c. de bouys,
c. de passe,
c. à croc.
c. d'estoc.
c, effréné,
c. forcené,
c. affecté,
c. entassé,
c. compassé,
c. farci.
c. bouffy,
c. polly,
c. jolly,
c, poudrebif.
c. brandif,
c. positif,
c. gérondif,
c. génitif.
c. actif,
c. gigantal.
c. vital.
c. oval,
c. magistral,
c. claustral,
c. monacha!.
c. viril,
c. subtil,
c. de respect,
c. de relés,
c. de séjour,
c. d'audace.
c. massif,
c. lassif,
c. manuel,
c. goulu,
c. absolu,
c. résolu,
c. membru,
c. camus,
c. gémeau,
c. courtoys.
c. turquoys,
c. fécond,
c. brislant,
c. sifflant,
c. estrillant,
•c. gent,
c. urgent,
c. banier,
c, luisant,
c. duisant,
c, brusquet,
c, prompt,
c. prinsaultier,
c. fortuné,
c, clabault,
c. coyrault,
c. usual,
c. de haulte lisse,
c exquis,
c. requis,
c. fallot,
c. cuUot,
c. picardent,
c. de raphe,
c. guelfe,
c. ursin,
VARIANTES
c.
patronimicque,
c.
pouppin,
c.
guespin.
c.
d'alidada,
c.
d'algamala.
c.
d'algebra.
c.
robuste.
c.
venuste.
c.
d'appétit,
c.
insuperable.
c.
secourable,
c.
agréable.
c.
mémorable,
c.
notable.
c.
palpable,
c.
musculeux,
c.
bardable.
c.
subsidiaire,
c.
tragique.
c.
satyricque,
c.
transpontin.
c.
repercussif,
c.
digestif.
c.
convulsif.
c.
incarnatif.
c.
restauratif,
c.
sigillatif.
c.
musculinant.
c.
ronssinant,
c.
refaict,
c.
fumilnant,
c.
tonnant,
c.
estincelant.
c.
martelant,
c.
arietant,
c.
strident.
c.
aromatisant.
c.
diaspermatisant,
c.
timpant,
c.
pimpant.
c.
ronflant,
c.
paillard.
c.
pillard.
c.
gaillard.
c.
hochant.
c.
brochant.
c.
talochant.
c.
farfouillant.
c.
belutant.
c.
culbutant.
t63
Couillon hacquebutant, couillon culletant, frère Jan, etc
Page 144, 19. A : troglodyte, braguettodyte, en.
— 149, 16. Dans A, ce passage, évidemment écrit
comme la liste analogue du chapitre précédent, pour être
imprimé sur trois colonnes, est disposé de la manière sui-
vante :
Couillon flatry, Couillon moisy, Couillon rouy, Couillon
chaumeny, Couillon transy, Couillon poitry d'eau froide,
Couillon pendillant.
c.
avallé.
c.
gavaché.
fené,
hallebrené,
embrené,
c.
c.
c.
esgrené,
lanterné,
engroué,
esrené,
prosternéj
amadoué.
ecremé,
chetif,
moulu,
courbatu.
c.
c.
c.
c.
exprimé,
rétif,
vermoulu,
morfondu.
supprimé,
putatif,
dissolu,
malautru,
2(
M
VARIANTES
dyscracié,
biscarié,
disgratié,
liegé,
fiacqué,
diaphane,
esgoutté,
desgousté.
avorté.
escharbotté,
eschalloté,
hallebotté,
mitre.
chapitré,
syndicqué.
baratté.
chicquané.
bimbelotté,
eschaubouillé,
entouillé.
barbouillé,
vuydé.
riddé.
chagrin.
bave,
démanché,
raorné.
véreux,
pesneux.
vesneux.
forbeu,
malandré.
meshaigné,
thlasié,
thibié.
spadonicque,
sphacelé.
historié.
deshinguandé,
farcineux,
hergneux.
varicqueux,
croustelevé,
escloppé,
dépenaillé.
franfreluché,
matté.
frelatté.
guoguelu,
farfelu.
trepelu,
trépané,
boucané.
basané.
effiUé,
eviré,
vietdazé,
feuilleté,
fariné.
mariné.
etrippé,
constippé^
nieblé,
greslé,
syncopé.
ripoppé.
souffleté,
buffeté,
dechicqueté.
corneté,
ventouse,
talemousé,
fusté,
poulsé.
de godalle.
frilleux,
fistuleux.
scrupuleux,
mortifié.
maleficié.
rance,
diminutif.
usé,
tintalorisé.
quinault.
marpault,
matagrabolisé.
rouillé,
macéré,
indague,
paralyticque.
antidaté.
dégradé,
manchot.
perclus.
confus,
de ratepenade.
maussade,
de petarrade,
acablé,
halle.
assablé.
dessiré.
désolé,
hebeté,
décadent,
cornant.
solœcisant,
appellant,
mince.
barré,
assassiné,
bobelinë,
devalizé.
VARIANTES 26^
c.
c.
c.
engourdely, c. anonchaly, c. aneanty,
de matafain, c. de zéro, c. badelorié,
frippé, c. extirpé, c. deschalandé,
Couillonnas Panurge, etc.
— 178, 21. A : par Fonshevrault, feut.
— 181, 8-9. A : de picques noires.
- 182, 12. A : Chapitre XXXIV.
— 186, 20, A : Me doibs je marier?
— 186, 28. A : en robbe, cela.
— 188, 20. A : Par la chair, je renie, je renonce. Il
m'eschappe.
— 195, 20. A : Les deux colonnes de cette ligne et
les deux suivantes sont remplacées par ;
f. royal. f. synodal,
— 200, I 2-1 3. A: biscentumvirale.
— 222, 3. A : l'affection des ^nvings et miTatrei envers.
— 2 36. 2 5. A: Nourrir et en ahe les entretenir.
TABLE
DU LIVRE TROISIÈME
Pages.
Privilège du Roy 3
Prologue de l'autheur 7
Chapitre I. Comment Pantagruel transporta une co-
lonie de Utopiens en Dipsodie 19
Chapitre II. Comment Panurge feut faict chastellain
de Salmiguondin en Dipsodie, et mangeoit son
bled en herbe 2 5
Chapitre III. Comment Panurge loue les debteurs et
emprunteurs 3 1
Chapitre IV. Continuation du discours de Panurge, à
la louange des presteurs et debteurs 37
Chapitre V. Comment Pantagruel déteste les deb-
teurs et emprunteurs . 42
Chapitre VI. Pourquoy les nouveaulx mariés estoient
exemptz d'aller en guerre 4 S
268 TABLE
Pages,
Chapitre VII. Comment Panurge avoit la pusse en
l'aureille, et désista porter sa magnifîcque braguette. 48
Chapitre VIII. Comment la braguette est première
pièce de harnois entre gens de guerre 5 2
Chapitre IX. Comment Panurge se conseille à Panta-
gruel pour sçavoir s'il se doibt marier 5 6
Chapitre X. Comment Pantagruel remonstre à Pa-
nurge difficile chose estre le conseil de mariage, et
des sors Homériques et Virgilianes 60
Chapitre XI. Conmient Pantagruel remonstre le sort
des dez estre illicite 64
Chapitre XII. Comment Pantagruel explore par sors
Virgilianes quel sera le mariage de Panurge ... 67
Chapitre XIII. Comment Pantagruel conseille Panurge
prévoir l'heur ou malheur de son mariage par
songes 72
Chapitre XIV. Le songe de Panurge et interprétation
d'icelluy 79
Chapitre XV. Excuse de Panurge et exposition de Ca-
balle monasticque en matière de beuf salé .... 85
Chapitre XVI. Comment Pantagruel conseille à Pa-
nurge de conférer avecques une sibylle de Panzoust. 89
Chapitre XVII. Comment Panurge parle à la sibylle
de Panzoust 9 3
Chapitre XVIII, Comment Pantagruel et Panurge di-
versement exposent les vers de la sibylle de Pan-
zoust 97
Chapitre XIX. Comment Pantagruel loue le conseil
des muetz io3
Chapitre XX. Comment Nazdecabre par signes res-
pond à Panurge . 108
TABLE 269
Pages.
Chapitre XXI. Comment Panurge prent conseil d'ung
vieil poëte françois nommé Rarainagrobis i i 3
Chapitre XXII. Comment Panurge patrocine à l'or-
dre des fratres Mendians 118
Chapitre XXIII . Comment Panurge faict discours
pour retourner à Raminagrobis 121
Chapitre XXIV. Comment Panurge prend conseil de
Epistemon 127
Chapitre XXV. Comment Panurge se conseille à Her
Trippa i32
Chapitre XXVI. Comment Panurge prent conseil de
frère Jan des Entommeures 189
Chapitre XXVII. Comment frère Jan joyeusement
conseille Panurge 144
Chapitre XXVIII. Comment frère Jan reconforte Pa-
nurge sus le doubte du coqiiage 147
Chapitre XXIX. Comment Pantagruel faict assemblée
d'un théologien, d'un medicin, d'un légiste et d'un
philosophe, pour la perplexité de Panurge .... i55
Chapitre XXX. Comment Hippothadée, théologien,
donne conseil à Panurge sur l'entreprinse de ma-
riage. , i58
Chapitre XXXI. Comment Rondibilis, medicin, con-
seille Panurge 162
Chapitre XXXII. Comment Rondibilis declaire co-
qiiage estre naturellement des apennages de ma-
riage 169
Chapitre XXXIII. Comment Rondibilis, medicin,
donne remède à coqiiage 174
Chapitre XXXIV. Comment les femmes ordinairement
appetent choses défendues . . 178
270 TABLE
Pages.
Chapitre XXXV. Comment Trouillogan, philosophe,
traicte la difficulté de mariage 182
Chapitre XXXVI. Continuation des responses de
Trouillogan, philosophe ephectique et pyrrhonien . i85
Chapitre XXXVII. Comment Pantagruel persuade à
Panurge prendre conseil de quelque fol ... . i 90
Chapitre XXXVIII. Comment par Pantagruel et Pa-
nurge est Triboullet blasonné -. . . . 194
Chapitre XXXIX. Comment Pantagruel assiste au ju-
gement du juge Brid'oye, lequel sententioit les pro-
cès au sort des dez 200
Chapitre XL. Comment Brid'oye expose les causes
pourquoy il visitoit les procès qu'il decidoit par le
sort des dez 204
Chapitre XLI. Comment Brid'oye narre l'histoire de
de l'Apoincteur de procès 208
Chapitre XLII. Comment naissent les procès, et com-
ment ilz viennent à perfection 2 i 3
Chapitre XLIII. Comment Pantagruel excuse Brid'oye
sus les jugemens faitz au sort des dez 218
Chapitre XLIV. Comment Pantagruel racompte une
estrange histoire des perplexitez du jugement hu-
main . 221
Chapitre XLV. Comment Panurge se conseille à Tri-
boullet 225
Chapitre XLVI. Comment Pantagruel et Panurge di-
versement interprètent les parolles de Triboullet . 229
Chapitre XLVII. Comment Pantagruel et Panurge dé-
libèrent visiter l'Oracle de la Dive Bouteille ... 281
Chapitre XLVIII. Comment Gargantua remonstre
n'estre licite es enfans soy marier sans le sceu et
adveu de leurs pères et mères 234
TABLE 271
Pages.
Chapitre XLIX. Comment Pantagruel feist ses apretz
pour monter sus mer, et de l'herbe nommée Panta-
gruelion '. 240
Chapitre L. Comment doibt estre préparé et mis en
œuvre le célèbre Pantagruelion .......... 244
Chapitre LI. Pourquoi est dicte Pantagruelion, et des
admirables vertus d'icelle 248
Chapitre LU. Comment certaine espèce de Pantagrue-
lion ne peut estre par feu consommée 2 5 5
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